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L’INTERVIEW : Julien Cusin Maître de conférences à l’IAE de Bordeaux, spécialiste du droit à l’erreur

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 20.10.2015 | S. M.

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L’INTERVIEW : Julien Cusin Maître de conférences à l’IAE de Bordeaux, spécialiste du droit à l’erreur

Crédit photo S. M.

« Dans notre imaginaire, la célébration et l’échec sont antinomiques »

Les États-Unis sont-ils réellement en avance sur la France concernant la question du droit à l’erreur ?

Oui. Mais il ne faut pas imaginer que toutes les entreprises américaines sont dans cet esprit. Mettre en valeur la meilleure idée qui échoue est surtout pratiqué entre les côtes ouest et est, la Silicon Valley restant la plus avancée dans ce domaine. En France, ce genre de manifestations prête encore à sourire quand on en parle à des cadres. Dans notre imaginaire, la célébration et l’échec sont antinomiques, nous sommes encore dans la caricature du bonnet d’âne, parce que nous ne voyons pas que, derrière l’échec, il y a eu une prise de risque. Cette tendance à stigmatiser la faute est très présente dans notre société. Même pour un enfant, il n’est pas évident de perdre à un jeu. À l’université, on n’étudie pas assez l’erreur, on est toujours dans la présentation des meilleures pratiques. Dans les entreprises, la vision de l’échec est très manichéenne : or il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Un projet peut être un échec commercial, mais avoir bénéficié par exemple d’une bonne campagne de communication.

Ce contexte explique que cette culture ne se décrète pas dans une entreprise : elle va mettre du temps à émerger, d’où l’importance de célébrer les erreurs. L’utilisation d’une image d’Épinal, avec des proverbes du type “On apprend plus de ses échecs que de ses réussites”, ne suffit pas.

Mais le droit à l’erreur ne conduit-il pas à un droit à la négligence ?

On ne peut pas tout accepter, car toutes les erreurs ne se valent pas. Un manager doit savoir repérer les différentes typologies d’erreurs, car elles ne peuvent pas être gérées de la même manière. Ce peut être une inattention ; un manque de compétence ; une erreur liée à un contexte de travail ; la résultante d’un process inadapté ; l’échec d’une innovation réfléchie avec des risques mesurés. Ou une déviance délibérée, par exemple ne pas respecter le protocole de sécurité car il est fastidieux. Ce dernier cas n’est pas tolérable. La culture du droit à l’erreur, ce n’est pas sombrer dans la culture de l’angélisme. Le droit à l’erreur doit s’accompagner d’une responsabilisation des acteurs. Il faut aussi faire attention de ne pas tomber dans le biais de l’autocomplaisance : j’ai échoué du fait de causes extérieures, d’une résistance au changement contre laquelle je ne peux rien… C’est rassurant, mais on n’apprend rien : il y a peut-être des facteurs qu’on ne maîtrise pas, mais n’y a-t-il pas des facteurs internes sur lesquels on peut agir ?

Que pensez-vous de l’erreur la plus cuisante du moment, celle du groupe automobile allemand Volkswagen ?

Il faut se poser une question simple. Est-ce qu’une autre personne, dans les mêmes circonstances et avec le même profil, commettrait la même erreur ? Si la réponse est oui, la sanction n’a aucun sens. Si la réponse est non, c’est que le dirigeant a sûrement dévié par rapport à un comportement idoine, et ne peut pas faire l’objet d’une tolérance. Dans le cas de Volkswagen, un décideur lucide et éthique n’est pas censé prendre une décision comme celle-là [accepter un logiciel qui truque les résultats des émissions de pollution de ses moteurs diesel, NDLR]. On n’est pas dans les mêmes registres que l’erreur issue d’une innovation.

Auteur

  • S. M.