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Égalité professionnelle : Des accords nouvelle génération

L’enquête | publié le : 13.10.2015 | Emmanuel Franck

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Égalité professionnelle : Des accords nouvelle génération

Crédit photo Emmanuel Franck

Parvenues à quasi-maturité sur les fondamentaux (salaire, mixité), les politiques d’égalité hommes-femmes des entreprises agrègent désormais des thèmes aussi divers que la parentalité, l’équilibre des temps, la qualité de vie au travail, les aidants familiaux, le sexisme, les violences. Ces politiques s’enracinent davantage et sont moins dépendantes des personnes qui les portent, mais au risque d’un certain éparpillement.

Fini les belles intentions : la recherche de l’égalité professionnelle est entrée dans une phase pragmatique, voire gestionnaire ! Oubliées les tentatives maladroites des Aéroports de Paris de faire de la discrimination positive pour féminiser ses métiers (lire Entreprise & Carrières du 26 février 2008). Oubliée la loi de 2006 sur l’égalité, qui programmait la suppression des écarts de salaires hommes-femmes pour… 2010. Moins flamboyante, plus réaliste, la loi du 4 août 2014 complète les indicateurs du rapport de situation comparée (RSC) et interdit l’accès aux marchés publics aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Tout aussi modestement, celle de juillet 2015 sur le dialogue social crée un droit à une expertise pour négocier sur l’égalité professionnelle. Elle ouvre une troisième phase dans l’histoire riche et parfois confuse des lois sur l’égalité professionnelle en entreprise (lire l’encadré).

Ajustement des dispositifs

La plupart des grandes entreprises sont, elles aussi, entrées dans une nouvelle phase de leurs accords sur l’égalité. Elles en sont aujourd’hui à leur troisième texte sur le sujet ; le moment de vérifier les résultats de leur politique, d’ajuster leurs objectifs et de peaufiner leurs indicateurs. Capgemini vient de revoir son objectif de recrutement de femmes : le précédent (29 %) était intenable ; le nouveau est indexé au nombre d’étudiantes qui sortent des cursus informatiques (lire Entreprise & Carrières du 25 août 2015). Devenue technique, « l’égalité professionnelle est sortie du champ des féministes prônant la guerre des sexes pour entrer dans celui des politiques d’entreprise », analyse Christina Lunghi, présidente de l’association Arborus, spécialisée dans les questions d’égalité professionnelle. Pour elle, le sujet est même devenu un « business » : sous l’effet des quotas, la recherche d’administratrices de société est désormais une offre des cabinets de chasse de têtes. Comme le calcul des écarts de rémunération, aujourd’hui si complexe que les entreprises doivent parfois se faire aider de prestataires extérieurs (lire Entreprise & Carrièresdu 17 février 2015).

Parvenues à quasi-maturité sur les questions centrales (salaires, mixité, parcours professionnels), certaines entreprises élargissent leur champ à d’autres thèmes connexes : la parentalité, l’équilibre des temps, la qualité de vie au travail, le bien-être, la lutte contre le sexisme. À Batigère, le troisième accord sur l’égalité, signé en juin, enrichit le contenu des précédents en mettant l’accent sur la parentalité (lire p. 24). Forts des bons résultats de leurs deux précédents accords, les partenaires sociaux de La Poste ont consacré le troisième, signé en juillet, à améliorer par petites touches les droits existants (lire p. 22). Ils maintiennent leur effort sur les thèmes classiques et en profitent pour en aborder de nouveaux (parentalité, déconnexion, sexisme, aidants familiaux). Batigère et La Poste ne sont pas seuls : la charte de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise compte désormais 500 entreprises signataires, représentant 30 000 établissements et 5 millions de salariés. L’accord de La Poste pourrait préfigurer la nouvelle négociation obligatoire, regroupant l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, instaurée par la loi Rebsamen sur le dialogue social de juillet 2015.

Si cet élargissement de la négociation sur l’égalité correspond à une volonté des pouvoirs publics, il est aussi rendu possible par « une légitimité nouvelle de l’entreprise sur des champs où on ne l’attendait pas », relevait Sylvain Forestier, président du gestionnaire de crèches d’entreprise La Maison Bleue, au cours d’un colloque qu’il coorganisait, le 25 septembre, sur la gestion de la parentalité en entreprise. Il l’explique par le recul de l’État dans l’aide à la parentalité, par la porosité entre la vie professionnelle et la vie privée du fait du numérique et par les attentes des nouvelles générations.

Obligations et expérimentations

Mais l’agrandissement du champ d’action des entreprises au-delà de l’égalité ne va pas sans poser des questions : « Les entreprises ne peuvent pas tout, déclarait ainsi Alain Benlezar, directeur de la qualité de vie au travail d’Air France, au cours du même colloque. Il faut se poser la question de savoir jusqu’où elles peuvent accompagner la parentalité. Et est-ce vraiment leur rôle de travailler sur le bien-être ? » Il distinguait ce qui relève des obligations (égalité, RPS) et ce qui est du domaine de l’expérimentation (QVT).

Lors de ce même colloque, Jérémy Mailly, DRH du groupe Bel, pointait le risque d’un excès de marketing des entreprises vantant leurs actions pour le bien-être des salariés. « Les salariés veulent un discours de vérité », prévenait-il. Lui-même n’a pas signé la charte de l’Observatoire de la parentalité, parce qu’il n’était « pas sûr de pouvoir tout faire ». Il soulignait, en outre, le risque de hiatus entre les salariés du siège qui bénéficieraient de services et les opérateurs moins bien lotis. C’est ce qui se passe à Carrefour : aux premiers la crèche d’entreprise, la salle de sport et les cours de cuisine ; aux caissières les horaires en îlots.

Enfin, l’élargissement tous azimuts du champ de l’entreprise au-delà de ce que prévoit la loi pose tout simplement la question de savoir s’il est compatible avec l’économie telle qu’elle est. « J’ai rencontré une entreprise qui a arrêté de travailler sur l’équilibre des temps parce que, au même moment, elle supprimait des postes », témoignait Jérémy Mailly. « Entre performance économique et performance sociale, l’injonction peut sembler contradictoire, et il pourrait être tentant de ne plus rien faire pour la qualité de vie au travail, convient Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité et président de 1762 Consultants. Mais c’est dangereux, car elle est un moteur d’engagement. »

Pour Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’université de Paris Ouest(1), « l’équilibre des temps déplace le curseur vers le père, mais encore faudrait-il que la logique de performance et de concurrence n’arrête pas le mouvement sociétal des hommes qui veulent prendre leur part de paternité ». Elle estime, en outre, que les questions de la parentalité et de la qualité de vie au travail, pour importantes qu’elles soient, ne doivent pas faire perdre de vue les enjeux sociaux de l’égalité professionnelle, au premier rang desquels la précarité et les temps partiels courts.

Auteure d’Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalité des salaires. La Découverte, 2014.

Les trois phases des lois sur l’égalité professionnelle

Il est de tradition de dire que les lois sur l’égalité professionnelle sont trop nombreuses, redondantes et inefficaces. Leur enchaînement obéit cependant à une logique sur le long terme. Une première série de lois (2001-2006) a créé des obligations de négocier sur l’égalité puis sur les salaires. Elles étaient peu respectées faute de sanctions. Ensuite (2010-2014) sont donc venus les outils de coercition : pénalité financière et fermeture aux marchés publics (mais dans les deux cas avec des outils de régulation) ; l’idée d’une « mise à l’index » (Darcos 2009) ayant été vite abandonnée.

Les pouvoirs publics se sont à ce moment-là rendu compte que, nonobstant la mauvaise volonté des entreprises, les indicateurs et les objectifs sur l’égalité étaient difficiles à utiliser. Ils ont donc ouvert une troisième phase (juillet 2015), celle de l’accompagnement des entreprises (droit à l’expertise sur l’égalité professionnelle). Pour autant, le risque de sanction pèse toujours, rappelle Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (lire son interview p. 26) ; elle estime en effet que la méthode a fait ses preuves.

Cela dit, le cheminement de ces lois n’a pas été un long fleuve tranquille. Dernier exemple en date, la loi Rebsamen sur le dialogue social (juillet 2015), dont la première mouture faisait complètement l’impasse sur le transfert des informations du rapport de situation comparée vers la base de données économiques et sociales. Autrement dit, il n’y avait plus aucun moyen de connaître la situation de l’entreprise au regard de l’égalité hommes-femmes. « On a eu chaud, commente Rachel Silvera, maîtresse de conférence à l’université de Paris Ouest. En l’absence d’un ministère des Droits des femmes, le dossier n’a pas été suivi. Cet épisode souligne qu’en matière d’égalité professionnelle, rien n’est gravé dans le marbre. »

Auteur

  • Emmanuel Franck