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Mobilité géographique : Comment lever les freins ?

L’enquête | publié le : 06.10.2015 | Élodie Sarfati

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Mobilité géographique : Comment lever les freins ?

Crédit photo Élodie Sarfati

De l’accompagnement des transformations à la gestion de carrière, la mobilité géographique est au cœur de multiples enjeux. Mais elle est parfois délicate à mettre en œuvre et, bien souvent, les entreprises échouent à convaincre les salariés de franchir le pas. Accompagnement personnalisé, aides financières ou encore sécurisation des transitions, quelles sont les pistes pour susciter l’envie d’ailleurs ?

Trente-cinq salariés et leur famille qui s’installent dans le Tarn-et-Garonne pour accompagner le lancement d’une plate-forme logistique de près de 200 personnes chez Stef ; plus de 600 mobilités en trois ans dans le cadre de la réorganisation du réseau de la Maif (lire p. 24) ; 50 % de salariés d’un site picard d’Arkema reclassés dans une autre région (lire p. 25)… La mobilité géographi ? que des salariés, c’est donc possible ? Pas si simple : si ces trois expériences se sont montrées concluantes, elles font toutefois figure d’exception. « Les gens sont très ancrés dans leur territoire, et les DRH souvent déçus des résultats, alors que, dans certains cas, la mobilité géographique pourrait préserver des emplois », affirme Xavier Tedeschi, dirigeant du cabinet Latitude RH. Marie-Pierre Grimaud, consultante RH à l’Apec, constate elle aussi que la mobilité des cadres est de moins en moins évidente : « La mobilité géographique est un projet à la fois personnel et professionnel et, dans cette perspective, certaines régions sont peu attractives : celles où le conjoint aura du mal à retrouver du travail, celles où le potentiel économique est moindre, au risque de peser sur les performances commerciales et l’évaluation professionnelle. »

Conserver le savoir-faire

Volontaire ou contrainte, collective ou individuelle, ponctuelle ou régulière, la mobilité géographique est pourtant au cœur de multiples enjeux RH. Chez Stef, « la localisation de nos sites logistiques dépend de celle de nos clients. Nous nous sommes implantés à Montbartier, dans le Tarn-et-Garonne, après avoir gagné un appel d’offres en décembre 2013, explique Odile Meunier-Hourtane, directrice du développement RH du groupe. En six mois, nous devions pourvoir tous les postes, des opérateurs de ligne à l’encadrement, et, surtout, nous assurer de conserver nos savoir-faire, d’où un enjeu fort autour de la mobilité géographique de nos salariés ».

Chez Schneider Electric, elle est « indissociable de la GPEC, insiste Laure Collin, la DRH France. L’objectif est d’inciter les collaborateurs à prendre des postes sur des métiers d’avenir, ce qui peut impliquer de changer de lieu de travail ».

Tandis qu’à Toupargel, spécialiste de la livraison à domicile de produits surgelés, « la mobilité géographique est avant tout adossée à la promotion interne, décrit Aline Arnoud, RRH en charge de l’emploi et de la formation. L’évolution professionnelle ne peut se faire qu’en changeant de site, en particulier lorsque les superviseurs deviennent chefs d’agence ». Problème : « Malgré un accompagnement financier – prime de mobilité, prise en charge du déménagement –, nous n’avons enregistré que 5 à 6 mobilités géographiques cette année, sur une vingtaine de postes à pourvoir », poursuit Aline Arnoud.

Car, si les besoins sont nombreux, les obstacles à la mobilité géographique le sont tout autant. Hormis le coût du logement et l’emploi du conjoint, tout un ensemble de paramètres entrent en jeu. « Chaque cas est particulier, détaille Luc Morena, directeur de développement de Cilgère (Action Logement), qui a copublié avec Far & MG, en juillet dernier, un livre blanc de la mobilité géographique. Il peut y avoir des problèmes de permis de conduire, de dépendance des parents, de garde ou de scolarité des enfants ou encore de qualité de vie… Une mobilité géographique a des coûts visibles et invisibles : c’est tout un équilibre qu’il s’agit de retrouver ailleurs. »

Les entreprises s’adaptent

Dans ce contexte, les entreprises tentent de trouver la parade. Toupargel a choisi d’agir sur les prérequis du recrutement : « Nous mettons en place depuis 2014 une “masterclass” de six personnes, recrutées en alternance et en CDI, sur des postes de superviseur avec l’engagement de leur part d’être mobiles, expose la RRH. Pendant leur formation, ils tournent sur toute la France, puis sont affectés dans différentes régions. »

En matière d’accompagnement, « on voit se développer les formules de mobilité à la semaine avec des aides à la double résidence, remarque Marie-Pierre Grimaud. Ou encore des aides à la recherche d’emploi pour le conjoint, voire des formations de reconversion ».

Il y a trois ans, Schneider Electric a remodelé son dispositif sur la base d’une enquête menée avec les partenaires sociaux auprès des salariés : « Des mesures existaient dans l’accord GPEC de 2004, mais elles n’étaient plus adaptées, raconte Laure Collin. Nous avons regardé ce qui avait évolué pour définir les accompagnements les plus pertinents, afin d’inciter les salariés à bouger davantage. » Signé en mars 2013, l’accord sur les mobilités comprend quelques innovations, comme une indemnité de mobilité modulable selon la région d’origine et celle d’arrivée, le versement d’une allocation transitoire permettant le maintien du salaire du conjoint ayant quitté son emploi…

Le temps de la réflexion

Ajuster les mesures aux caractéristiques des personnes, c’est aussi ce que recommande Olivier Labarre, responsable du réseau Transition & Territoires à Oasys, y compris lorsque les mobilités se font “à chaud” : « Dès le début des procédures, l’entreprise a intérêt à recevoir les salariés individuellement pour identifier s’ils sont prêts à suivre et, si non, pourquoi. Cette démarche anticipée permet de nourrir la négociation sur les mesures du PSE et de donner aux salariés le temps de mûrir leur réflexion et leur décision. »

Sur le site d’Alcatel à Orvault, près de Nantes, 140 personnes devraient, ces prochains jours, être reclassées à Lannion (Côtes d’Armor) ou à Villarceaux, en région parisienne, dans le cadre du PSE. Les aides au déménagement ont été négociées un an avant la fermeture du site. « Mais on s’est rendu compte au fil des mois que la plupart des salariés n’avaient pas l’intention de déménager et préféraient faire des allers-retours, ce que nous n’avions pas imaginé, indique Hubert Lebrin, secrétaire CFDT du CE. Nous avons donc négocié avec la direction de nouvelles mesures, comme un troisième jour de télétravail et une navette entre Nantes et Lannion pendant six mois, ou encore des aides financières à la double résidence. »

Difficile, la décision des salariés d’Alcatel est aussi motivée par la prudence, analyse le syndicaliste. « Alcatel a mené de nombreuses restructurations, fermé des sites, et le rapprochement avec Nokia génère de l’inquiétude. Les salariés ne sont pas rassurés : quelle garantie ont-ils qu’ils ne seront pas licenciés dans quelques années »

Si nécessaires soient-elles, les mesures financières et d’accompagnement ne suffisent donc pas à déclencher l’envie d’ailleurs. Dans les restructurations, « le problème de la confiance est un frein puissant, qui amplifie la prise de risque », confirme Olivier Labarre. Par ailleurs, souligne-t-il, les salariés acceptent d’autant plus de bouger que la mobilité a du sens pour leur parcours. « La mobilité géographique doit être perçue comme un accélérateur de carrière et une façon d’enrichir son portefeuille d’expérience, abonde Odile Meunier-Hourtane, chez Stef. Ainsi, pour inciter les salariés à venir à Montbartier, nous avions en amont réalisé de grandes campagnes de communication afin de montrer l’intérêt du projet. » L’accord de Schneider Electric prévoit pour sa part une augmentation de salaire de 5 % pour toute mobilité. « Nous développons également des périodes de découverte de type “vis ma vie”, pour lever les préjugés sur certains métiers et aider les collaborateurs à se projeter », ajoute Laure Collin. Le groupe s’attache enfin à sécuriser les transitions, en prévoyant une période probatoire de trois à six mois pour toute mobilité.

Davantage de cadres que de non-cadres

Complet, le nouveau dispositif de l’équipementier électrique n’a cependant pas généré beaucoup plus de flux. Laure Collin parle de « quelques mobilités supplémentaires, avec toujours deux fois plus de cadres que de non-cadres ». Mais, poursuit-elle, « l’essentiel, c’est d’abord de montrer qu’une mobilité géographique peut être réussie. Sinon, les collaborateurs en font une, pas deux ». Changer de vie, mais pas à n’importe quel prix.

Auteur

  • Élodie Sarfati