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Conditions de travail : Les ergonomes investissent l’entreprise

L’enquête | publié le : 29.09.2015 | V.L.

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Conditions de travail : Les ergonomes investissent l’entreprise

Crédit photo V.L.

Face aux obligations des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail, l’ergonomie, qui a comme point d’ancrage le travail réel des salariés, est un allié de poids. Lorsque la discipline s’inscrit au cœur des stratégies d’amélioration des conditions de travail, elle optimise le bien-être des salariés et la performance de l’entreprise.

Depuis le 1er septembre, les formations à l’ergonomie prévues par l’accord sur la santé au travail d’Ikea France ont commencé à se déployer. Dans ce texte, paraphé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, Ikea s’est en effet engagé à sensibiliser l’ensemble des salariés à l’ergonomie des postes de travail, avec des formations adaptées à leur métier, proposées en complément des formations “gestes et postures” ou “Prap” (Prévention des risques liés à l’activité physique) déjà existantes. Une ligne budgétaire spécifique de 270 000 euros sur trois ans est dégagée sur le sujet de l’ergonomie (formations et expertise).

En construisant l’accord, Ikea ne s’y est pas trompé et a inscrit dans le marbre la nécessité de recourir à l’ergonomie afin d’améliorer les conditions de travail. « Nous considérons l’ergonomie comme une discipline de progrès pour tous et non uniquement comme un champ réservé aux spécialistes », affirme la nouvelle DRH, Majda Vincent. Et de souligner que la démarche santé de l’entreprise a été élaborée avec les salariés, qui ont participé à des groupes de travail avec le CHSCT, les médecins, les managers et les RH.

« Les DRH savent aujourd’hui ce qu’est un ergonome, constate Fanny Legendre, ergonome européenne(r) et responsable de l’activité santé au travail du cabinet JLO Conseil de Nancy. Le développement des équipes pluridisciplinaires en santé au travail, les évolutions du cadre réglementaire sur la pénibilité, et l’allongement des carrières leur ont permis d’identifier davantage notre rôle. Mais, parfois, l’ergonomie est encore trop réduite au champ des questions biomécaniques, ce qui occulte l’analyse globale de l’organisation du travail. » Or le champ de la discipline va bien au-delà. L’ergonomie s’occupe de la compréhension des interactions entre les hommes et les autres éléments d’un système.

L’homme dans sa globalité

« L’intérêt de l’ergonomie est de mettre en débat le travail réel et de prendre en compte l’homme dans sa globalité. Par ailleurs, les DRH ont compris que notre rôle peut être aussi celui de régulateur de tensions sociales », souligne Olivier Raquin, directeur du cabinet Ergonalliance.

La discipline s’intéresse donc à tout un ensemble de situations de travail. « Par exemple, au stade de la préparation d’un déménagement, en amont d’une réorganisation ou d’une évolution des compétences nécessaire pour certains salariés, ou bien encore en amont de la construction d’une ligne de production, la discipline est utile. Et, dans le domaine des RPS, elle permet de dépasser une vision psychologisante tournant autour des conflits interpersonnels. Le fait d’observer et d’interroger les salariés sur leur activité met en évidence des éléments du travail qui sont en jeu. Cela demande du temps, mais il faut l’accepter », illustre Johann Petit, maître de conférences en ergonomie à l’Institut Polytechnique de Bordeaux.

Interventions correctives

Idéalement, l’intervention des ergonomes devrait se situer en amont des projets de transformation, mais, en réalité, « nous intervenons surtout en correction, pas assez en prévention, constate Jean-Luc Reinero, président de Cinov Ergonomie, le syndicat de la profession, et dirigeant du cabinet Rainbow Ergonomie. Toutefois, au fil des années, certains de nos partenaires, comme le ministère de la Culture, nous ont associés dès la maîtrise d’ouvrage ».

Pour convaincre les DRH de la pertinence des démarches ergonomiques, « nous essayons, dans beaucoup de nos interventions, de reconstruire les problèmes posés à partir de leur point de vue, en analysant la représentation qu’ils se font des causes des TMS ou des risques psychosociaux », expose Sandrine Nahon, directrice générale du cabinet Solutions Productives. Un argument fait mouche quand le cabinet peut démontrer qu’un dysfonctionnement interne a une incidence directe sur la qualité du service rendu au client : « Dans une intervention chez un transporteur, nous avons pu montrer que les circuits d’information dysfonctionnaient ; le désordre qui en résultait affectait la qualité des réponses aux clients. Notre analyse a permis d’établir ce lien entre conception des processus et organisation du travail et in fine qualité de la production », rapporte Sandrine Nahon.

Autres arguments convaincants aux yeux des DRH, les données de santé avancées par les services de médecine du travail. « Le suivi des services de santé au travail permet de mettre en visibilité des indicateurs de santé disponibles bien en amont de la sinistralité (accident du travail, maladies professionnelles) et qui font forcément écho auprès des entreprises pour les inciter à agir le plus précocement possible », avance Nathalie Delattre, ergonome au Pôle Santé Travail Métropole Nord. « La fiche d’entreprise permet la formalisation de ce diagnostic santé-travail et constitue ainsi une bonne base de discussion pour accompagner l’employeur dans la définition de ses priorités d’actions », poursuit son collègue Tommy Dubois.

Si la discipline n’est pas nouvelle, la spécificité des méthodes déployées prend encore plus de sens face aux évolutions récentes du travail, où les questions d’organisation sont de plus en plus prégnantes. Selon Johann Petit, « avec l’industrialisation des services et l’augmentation des situations de services, on constate que les opérateurs et les managers ont perdu des capacités à réguler les variabilités de leur activité et qu’ils effectuent de moins en moins un travail qu’ils jugent de qualité. De plus, les managers de proximité connaissent parfois très bien les problèmes mais ne peuvent pas les traiter à leur niveau, ce qui est très coûteux pour leur propre santé ».

Des outils adaptables

« L’ergonomie est avant tout une démarche, et, pour qu’elle soit efficace, il lui faut des outils. Nous cherchons à adapter ces outils aux besoins des entreprises. Nous avons par exemple développé une méthode d’analyse de la charge physique de travail, conçue pour les salariés et leur encadrement », indique Jean-Pierre Zana, ergonome et expert sur la question des TMS à l’INRS.

En remplissant des grilles d’identification des risques par situations de travail, comprenant des questions sur les difficultés rencontrées, les salariés peuvent hiérarchiser les situations à risques et les comparer à des normes existantes (par exemple, le poids soulevé ou transporté).

« Nous avons accompagné des organisations professionnelles pour adapter certains items de la grille à leur secteur. La grande distribution et le BTP, notamment, se sont emparés de cette méthode. À travers ces questionnements, non seulement on tient compte de la connaissance des salariés sur leur travail, mais on les aide aussi à mieux comprendre leur activité et ses incidences sur leur santé », estime Jean-Pierre Zana.

Observation en binôme

Ce dernier point est au cœur de la démarche du cabinet Ergorythme, qui a initié des ateliers d’une heure, au cours desquels les salariés sont sensibilisés au fonctionnement de leur corps au travail. Horacio Alves de Oliveira, son directeur, perçoit les salariés « comme des sportifs de haut niveau. Il faut leur expliquer que cette activité physique n’est pas naturelle et comment faire pour s’économiser. Au cours des ateliers, on observe le travail des salariés en binôme, l’un effectue sa tâche et l’autre contrôle, l’objectif étant toujours de préserver la qualité du travail. »

Les interventions des ergonomes, par le biais de démarches participatives, s’avèrent particulièrement pertinentes. « Intégrer le point de vue des opérateurs fait partie des principes de base de nos interventions. Ils sont croisés avec ceux de la médecine du travail, des managers, et des RH », souligne Fanny Legendre. L’objectif étant d’aboutir à un compromis.

Monoprix, qui a équipé ses 9 000 hôtes et hôtesses de caisse de sièges et repose-pieds ergonomiques, l’a fait à la suite d’un travail avec les représentants du personnel et à la mise en place de tests dans certains magasins(1). De son côté, la Caisse d’épargne de Normandie, pour améliorer la conception de ses postes d’accueil, s’est engagée dans un processus d’écoute des salariés, accompagnée par un ergonome, qui a abouti à une réelle prise en compte des différents mouvements qu’ils étaient amenés à réaliser à un tel poste (lire p. 25). Même type d’approche dans l’usine Mersen à Amiens, où les opérateurs ont été associés au chantier d’amélioration d’un poste particulier, avec l’appui méthodologique d’un cabinet externe d’ergonomie (lire p. 23). À PSA, où le rôle des 42 ergonomes internes est très structuré, Alexandre Morais, responsable de l’ergonomie industrielle du constructeur automobile, cite par exemple l’usine de Mulhouse, où la technique de l’autoconfrontation a été utilisée. Le principe étant que plusieurs opérateurs occupant le même poste de travail discutent de leurs pratiques pour aboutir à une façon de faire partagée par eux (lire p. 24).

Espaces de discussion

Dans l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail de juin 2013, les partenaires sociaux ont clairement identifié comme levier de progrès les espaces de discussion sur le travail. En parallèle des démarches ergonomiques, cette dynamique devrait contribuer à replacer au premier plan le travail réel.

Un siège de bureau adaptable à l’activité

Alors que les salariés utilisent de plus en plus d’outils nomades, comme les tablettes, y compris à l’intérieur de l’entreprise, Steelcase a étudié les différentes positions adoptées par leurs utilisateurs. Il en a dénombré pas moins de neuf. L’étude souligne que « les sièges actuels ont été principalement conçus pour soutenir les pratiques habituelles, impliquant une tâche, une technologie et une position ». Or le corps « est obligé de s’adapter à ces nouvelles technologies compactes ». En outre, Steelcase observe que « le travail est un processus social, qui exige des individus qu’ils naviguent rapidement entre différents types de tâches – individuelles, concentration et collaboration créative ». Le spécialiste du mobilier de bureau a imaginé un siège, Gesture, capable de soutenir les mouvements et les divers changements de position.

(1) Lire Travail et sécurité n° 759, mars 2015.

Auteur

  • V.L.