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L’interview

Anne Dietrich : « Il conviendrait de soutenir le manager de proximité dans ses missions RH »

L’interview | publié le : 15.09.2015 | Pauline Rabilloux

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Anne Dietrich : « Il conviendrait de soutenir le manager de proximité dans ses missions RH »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Le manager de proximité est aujourd’hui censé assurer une part des missions RH auprès des salariés. Outre le fait que ces missions sont chronophages, cet encadrant manque souvent de moyens pour assurer cette délégation.

E & C On note aujourd’hui un intérêt renouvelé pour la figure du manager de proximité. Pourquoi ?

Anne Dietrich : Le passage d’une économie fondée sur une production industrielle de masse à une économie de services a profondément changé le travail. Compte tenu de la diversité des compétences, des parcours, des modes de rémunération, la gestion des salariés s’est individualisée et, quand les effectifs de l’entreprise sont importants, le manager de proximité apparaît comme le plus à même d’appréhender la réalité des données individuelles. Dans le même temps, les réorganisations, fusions, restructurations d’entreprise ont éloigné la fonction RH de la base opérationnelle, les business units sont trop nombreuses et trop dispersées pour relever d’un service RH centralisé. Le manager est ainsi devenu son relais naturel au plan local et opérationnel. La focalisation sur l’importance du management de proximité est, dans une large mesure, une délégation. Celui-ci doit se charger de ce qu’on ne peut pas ou ne souhaite pas faire à un niveau hiérarchique plus élevé. Mais il s’agit aussi d’une mise sous tension : moins on connaît le travail réel au niveau des directions d’entreprise, plus on s’en désintéresse, plus il incombe au manager de proximité de faire en sorte que tout fonctionne sur le terrain.

Les activités RH du manager de proximité sont chronophages et vous semblent parfois contradictoires avec ses autres missions. Pourriez-vous l’expliquer ?

Le manager reste d’abord focalisé sur l’objectif de performance de son équipe : produire un bien ou un service. Il n’a souvent que peu de marges de manœuvre quant à la détermination quantitative des objectifs à atteindre. Les normes qualité et autres procédures déterminées en externe par les contraintes réglementaires, législatives et les prescriptions internes émanant du siège lui laissent également peu de marges au plan qualitatif. Il est la courroie de transmission qui assure la mise en œuvre des objectifs et des directives sur lesquels il n’a pas la main et sur lesquels il n’est pas consulté.

Les activités RH qui lui sont confiées viennent en plus. Elles se présentent d’emblée comme un surcroît : de travail, de temps, de responsabilités. Obligé de formater le travail du fait des consignes émanant de sa propre hiérarchie, il peut difficilement laisser à ses collaborateurs la liberté d’autonomie qui leur permettrait d’exprimer pleinement leurs compétences. L’évaluation annuelle est d’abord l’occasion de décliner les objectifs quantitatifs individuellement et d’uniformiser les manières de faire pour tenter de les faire coïncider avec le travail prescrit par la hiérarchie. Les managers de proximité sont pris entre le marteau et l’enclume.

Par ailleurs, la GRH n’est pas leur métier. Les managers de proximité ont une vision des compétences parfois peu compatible avec les découpages analytiques des référentiels. S’ils constatent les lacunes d’un collaborateur, un besoin de formation, ils ne sont pas forcément en mesure d’en identifier la cause, qui requiert l’intervention d’un spécialiste. Enfin, le manager de proximité est pris dans des situations paradoxales : envoyer en formation et réduire son effectif, favoriser la mobilité des meilleurs salariés pour leur permettre une progression de carrière et mettre en péril sa performance. Sa responsabilité en matière de répartition des primes peut virer au casse-tête quand les enveloppes dont il dispose sont insuffisantes pour motiver tous les collaborateurs. Il arbitre souvent entre un saupoudrage qui ne satisfait personne mais ne nuit pas trop au collectif et une répartition plus inégalitaire qui récompense mieux la performance mais peut créer des dissensions dans les équipes et affaiblir sa légitimité auprès de ceux qui se sentent sanctionnés par ses décisions.

Comment sortir de l’impasse ?

La question n’est pas simple. Pour favoriser les missions RH du manager de proximité, il conviendrait de le soutenir plutôt que de lui déléguer des responsabilités supplémentaires et parfois contradictoires qui ne peuvent trouver de solution à son niveau. Il faudrait à la fois le seconder dans certaines tâches RH et lui octroyer des marges d’autonomie dans ses choix opérationnels et de management.

L’enjeu dudit partage de la fonction RH avec les managers de proximité était de redonner de la cohérence et de la cohésion au management des hommes, avec pour objectifs le développement et la reconnaissance des salariés. On en est loin ! Ce qu’il en reste aujourd’hui, ce sont des dispositifs de gestion qui servent d’alibi au maintien d’une emprise durable de la logique financière et de la rentabilité à court terme. Ils légitiment la pression sur les objectifs et les diminutions d’effectifs, car ils renforcent en permanence les exigences portées par la DRH de conformation des salariés aux comportements attendus. Les formes de contrôle ne cessent de se renforcer, insidieuses – clients-mystère –, contraignantes – scripts comportementaux – avec des activités de reporting qui accaparent les managers au détriment du suivi des individus.

La multiplication des obligations “responsables” en matière de droit du travail a aidé la fonction RH à mettre du baume sur les plaies en la dotant d’objectifs comme l’employabilité ou la sécurisation des parcours professionnels, mais pour mieux la recentrer sur les dimensions juridiques de sa fonction, à savoir garantir la conformité des pratiques de l’entreprise au droit du travail et lui éviter des problèmes juridiques. Se conformer aux obligations légales peut finalement dédouaner l’entreprise d’une véritable GRH. On charge la fonction RH de faire de la GPEC, des plans seniors, d’éviter les inégalités de traitement trop flagrantes entre hommes et femmes, etc. Mais cette conformité a minima permet d’éluder les questions : la GPEC ignore le travail réel, les plans seniors ne débouchent sur rien, les écarts de salaire entre hommes et femmes perdurent. Déléguer une partie des missions RH aux managers de proximité participe de cette logique du semblant. Les managers ont de fait en charge la GRH de proximité même s’ils n’en ont pas les moyens. Pris dans cet étau, ils font de leur mieux, ce qui conforte l’entreprise dans l’idée que c’est suffisant, puisqu’elle peut continuer d’ignorer les problèmes. Mais pour combien de temps ?

Anne Dietrich Responsable du master GRH à l'IAE de Lille

Parcours

→ Anne Dietrich est maître de conférences en sciences de gestion, responsable du master GRH de l’IAE de Lille-École universitaire de management (Lille 1) et chercheure au CNRS (Lille économie et management UMR 9221).

→ Elle a notamment publié Management des compétences (Vuibert, 2015) et Dérives et perspectives de la gestion. Échanges autour des travaux de J. Brabet, avec F. Pigeyre et C. Vercher-Chaptal (coord.) (Septentrion, 2015).

Lectures

→ Le Travail invisible, enquête sur une disparition, Pierre-Yves Gomez, François Bourin Éditeur, 2013.

→ Refonder l’entreprise, B. Segrestin et A. Hatchuel, Seuil, 2012.

Auteur

  • Pauline Rabilloux