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Rémunérations : Épargne salariale, un mode d’emploi à réviser

L’enquête | publié le : 15.09.2015 | H. T.

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Rémunérations : Épargne salariale, un mode d’emploi à réviser

Crédit photo H. T.

Comment rendre les salariés acteurs de leur épargne ? La question est délicate tant la culture financière est déficiente dans l’Hexagone. Si certaines entreprises vont jusqu’à proposer des formations, beaucoup se reposent sur le gestionnaire de comptes pour « éduquer » leurs collaborateurs. La baisse des rendements monétaires et les nouvelles dispositions de la loi Macron devraient au moins les inciter à communiquer davantage.

Développer l’épargne salariale dans les PME, favoriser l’épargne longue… Des dispositions de la loi Macron qui vont dans le bon sens. Mais qui ne changent rien au manque de culture financière d’une grande majorité de salariés (lire l’encadré p. 21) : « Nous en sommes encore à expliquer ce que sont l’intéressement et la participation, et les exonérations fiscales liées au blocage de ces sommes sur le PEE ou le Perco », explique Olivier de Fontenay, associé fondateur de la société de conseil et de gestion Eres. De là à parler d’une gestion éclairée de leur pécule…

« Il y a beaucoup de lacunes et d’incompréhension autour de l’épargne salariale, y compris parmi les correspondants RH de nos différents sites, reconnaît Bruno Henri, représentant syndical du Sictame-Unsa Total et membre du conseil de surveillance des fonds d’épargne salariale du groupe pétrolier. D’autant que certaines grandes entreprises, à l’instar de Total, présentent différents régimes sociaux plus ou moins favorables en fonction des populations de salariés, d’où des dispositifs d’épargne en “poupées russes”, avec des croisements entre supports financiers et des politiques d’abondement différentes. Il est difficile de s’y retrouver. »

Difficile, également, pour le salarié épargnant, de sélectionner les fonds en toute connaissance de cause, poursuit Bruno Henri : « Les gens apprécient mal la notion de risque sur la durée. L’indicateur AMF du risque – la volatilité historique – suscite d’ailleurs des débats chez Total. »

Autre problème majeur : contrairement à ce qui se passe pour les particuliers, « le salarié investisseur ne bénéficie d’aucun conseil personnalisé adapté à sa situation. La spécificité collective de l’épargne salariale et le mode particulier de placement des produits financiers excluent de ce rôle l’entreprise et les sociétés de gestion », rappelaient, fin 2013, les Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF), chargées d’une mission d’évaluation des différents dispositifs(1).

Pas de conseils personnalisés

De l’information, les salariés en ont certes à foison. Outre les réglementaires documents d’information clé pour l’investisseur (Dici), qui présentent les caractéristiques essentielles des FCPE, les gestionnaires de comptes mettent en ligne toutes les informations utiles, certains s’appuyant sur les toutes dernières technologies numériques (vidéos, avatars, applications mobiles…) pour faire de la pédagogie. Encore faut-il que les intéressés prennent la peine de se saisir de ces services, et sachent quoi chercher, où chercher. Sans se noyer dans la masse.

« Même les membres des conseils de surveillance des FCPE, pourtant plutôt bien formés, manquent de compétences pour juger de l’évolution des fonds et challenger les gestionnaires, qui suivent leur propre logique. Dans les fonds multientreprises, les conseils de surveillance sont une plaisanterie ! », confesse Bruno Henri. Membre du conseil de surveillance du fonds obligataire de Total, le syndicaliste se félicite que ce fonds ait été débarrassé des titres grecs dès le début de la crise. « Il ne faut pas se laisser « balader » sur ces sujets ! »

Les porteurs de part lambda, eux, se limitent généralement au strict minimum. « Les salariés recourent volontiers aux plans d’épar ? gne à l’occasion du versement des primes de participation et d’intéressement, des augmentations de capital réservées au personnel ou pour dégonfler leur compte épargne-temps, observe Charles Keller, représentant CFE-CGC et administrateur représentant les salariés actionnaires chez Total. Mais ils sont assez peu actifs sur leur épargne et ne s’en soucient que lorsqu’un besoin se présente : achat de la résidence principale, événement familial ou retraite. »

« Quand nous demandons à des salariés : pourquoi épargnez-vous ? Quels sont vos besoins ? Votre horizon de placement ? Ils ne savent pas toujours répondre », appuie Hubert Clerbois, associé d’EPS Partenaires (conseil et formation en épargne d’entreprise et protection sociale).

Du coup, l’actionnariat salarié représente la majeure partie des encours de l’épargne salariale (voir l’infographie p. 20), devant le monétaire, jusqu’ici réputé sûr et souvent désigné comme placement par défaut dans les règlements de PEE. L’Association française de la gestion financière (AFG) note, par ailleurs, une forte progression des fonds solidaires et ISR (lire p. 23), des placements éthiques, plutôt choisis par conviction personnelle. Et, à l’exception de quelques épargnants aguerris, les salariés ne sont guère rompus aux arbitrages ? individuels. « Chez Total, le fonds d’actionnariat draine la majeure partie de l’épargne, illustre Charles Keller. Les salariés qui souscrivent aux augmentations de capital ne rééquilibrent pas leurs avoirs par la suite. À 30 ans, c’est une stratégie, mais à 55 ans, c’est risqué ! »

Il faut dire que les entreprises ne sont jamais avares de communication lorsqu’il s’agit d’entretenir leur actionnariat salarié. Le reste est plus délicat à aborder… « L’épargne salariale est un sujet mature particulièrement dans les grandes entreprises jusqu’au mid-market. Mais il y a beaucoup de difficultés, notamment dans les grands groupes, qui ne se sentent pas toujours en capacité d’“éduquer” leurs salariés », constate Olivier Dessane, directeur du ? développement épargne retraite entreprise (ERE) de Siaci Saint Honoré (conseil et courtage en assurances).

Vers des fonds multientreprises

Face à l’ampleur de la tâche, la problématique est souvent relayées aux sociétés de gestion. « La tendance est d’ailleurs à la simplification dans les grandes structures, qui souhaitent, autant que possible, sortir d’une logique de fonds dédiés, avec une gouvernance propre mais dont la préparation des conseils de surveillance est très lourde, pour aller vers des fonds multientreprises qui sont communs à plusieurs entités et moins contraignants », ajoute-t-il. Un manque d’implication qui tient sans doute aussi, dans l’Hexagone, au faible poids de l’épargne salariale dans la préparation de la retraite.

Pourtant, de plus en plus d’employeurs se soucient de la dégradation du taux de remplacement de leurs cadres et estiment de leur responsabilité sociale d’encourager, via des abondements incitatifs, l’épargne longue de tous leurs collaborateurs. Comment rendre ces derniers véritablement acteurs de leur épargne ? Beaucoup aimeraient voir se développer la formation sur le sujet.

Améliorer les connaissances

Qui finance ? Là est la question. « Nous intervenons là où il y a des budgets. Nous travaillons donc essentiellement avec des grands comptes », souligne Gérard Ampeau, responsable des programmes de l’École de la bourse, qui propose des formations destinées aux membres des conseils de surveillance et aux responsables RH, et qui développe des modules en e-learning pour les salariés.

EPS Partenaires a, pour sa part, élaboré une formation par le jeu, Cartes sur tables, précédemment accessible dans le cadre du DIF. Elle permet, en 1, ou 1/2 journée, de sensibiliser les salariés d’une entreprise aux tenants et aboutissants de leurs placements. De quoi provoquer un déclic salutaire chez les participants, « qui auraient aimé être initiés plus tôt », assure Hubert Clerbois. Le chimiste Arkema y a eu recours et envisage de nouvelles sessions (lire p. 25). « Mais si l’amélioration des connaissances financières n’est pas éligible au nouveau compte personnel de formation (CPF), il y aura un coup d’arrêt sur ce type modules », déplore-t-il.

L’épargne salariale étant un des sujets de prédilection des cadres, chez Total, la CFE-CGC s’est ? emparée de la problématique, avec une newsletter dont le dernier numéro explique l’art de l’arbitrage (lire p. 21), qui semble tant rebuter les épargnants salariés.

« Nous avons tout de même constaté, après la crise monétaire et la politique des taux bas, que les salariés ont tendance à diversifier leur épargne », nuance Olivier Dessane, qui y voit les effets d’une bonne communication des sociétés de gestion. Reste, tout de même, un énorme décalage entre, d’un côté, les attentes des salariés qui, faute de connaissances appropriées, sont en quête de conseils ; de l’autre, la frilosité et le manque de moyens des entreprises.

Mais, pour Olivier de Fontenay, le rendement nul, voire négatif, des fonds monétaires auxquels des salariés souscrivent même dans le cadre du Perco est en train de changer la donne. « En matière d’épargne salariale, l’entreprise ne veut pas risquer de faire des recommandations qui pourraient s’avérer fâcheuses, mais ce nouveau contexte mérite une alerte de la part de l’employeur, qui est légalement démarcheur financier vis-à-vis de ses salariés(2). » Donc en principe tenu de les informer de manière claire et compréhensible sur cette situation.

Autre élément qui devrait secouer le paysage et au moins réenclencher une dynamique de communication et d’information : le passage à la gestion pilotée par défaut pour le Perco (lire ci-dessous), sur lequel sont d’ores et déjà fléchés 50 % de la participation en l’absence de choix du bénéficiaire. Une disposition clé de la loi Macron. Celle-ci impose aussi que le livret d’épargne remis aux salariés ne soit plus générique, mais précisément axé sur les dispositifs en vigueur dans leur entreprise ; elle permet aux employeurs d’effectuer des versements périodiques sur le Perco en l’absence de contribution du salarié ; et – autre petite révolution – instaure, dans une optique d’épargne, l’affectation par défaut de l’intéressement dans le PEE.

Faciliter le choix

Impossible, pour les entreprises, de faire l’impasse sur une explication de texte. Ainsi, la gestion pilotée vise à faciliter la vie de l’épargnant par des arbitrages automatisés qui prennent mieux en compte l’horizon de long terme du Perco. « Mais il faudra que les jeunes, qui ne viennent au Perco que par l’abondement et la possibilité de déblocages anticipés, comprennent bien le fonctionnement de cette modalité de gestion. Au cas, par exemple, où ils envisageraient d’utiliser cette épargne pour l’achat de leur résidence principale, et que les marchés actions dévissent peu avant. » Au-delà de cet éclairage, il est sans doute opportun, pour les employeurs, de toiletter l’ensemble de leurs dispositifs d’épargne. En commençant par réfléchir à l’affectation par défaut des PEE.

De grosses lacunes financières

Les dernières études menées sur le sujet sont édifiantes. En 2011, le Credoc(1) pointait les difficultés des Français « à maîtriser des concepts pourtant élémentaires en la matière » et « à faire des calculs financiers simples : seule une personne sur deux sait que 100 euros placés à 2 % par an conduisent à un capital de 102 euros au bout d’un an ». Et la situation ne semble pas devoir s’améliorer : en 2012, l’enquête Pisa de l’OCDE, axée sur le niveau de culture financière des élèves de 15 ans(2), montrait que les Français obtenaient des scores inférieurs à la moyenne des pays étudiés.

1) Mission d’évaluation – diagnostic sur les dispositifs d’épargne salariale, IGF, Igas, décembre 2013 (www.igas.gouv.fr)

2) Articles L 341-3 et L 341-11 du Code monétaire et financier (Lire Entreprise & Carrières n° 1248).

(1) “La culture financière des Français”, étude menée à la demande de l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP) en partenariat avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), par le Centre de recherche pour l’étude et d’observation des conditions de vie (Credoc) auprès de 1 500 personnes en juin 2011.

(2) L’évaluation Pisa 2012 a porté sur environ 29 000 élèves dans 18 pays et économies.

Auteur

  • H. T.