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Les clés

OUVRIR UN ESPACE D’EXPRESSION SUR LE TRAVAIL

Les clés | publié le : 08.09.2015 | NICOLAS LAGRANGE

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OUVRIR UN ESPACE D’EXPRESSION SUR LE TRAVAIL

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

BIEN-ÊTRE. Permettre aux salariés de s’exprimer librement sur le travail, pour accroître la performance et le bien-être : un défi de taille pour les managers, qui implique beaucoup d’écoute et de distanciation et qui passe aussi par de réelles marges de manœuvre et le soutien de la hiérarchie.

Enseignants, personnels techniques, fonctions support… tous les lundis matins, les salariés du CFA interpro de la ville de Tours débattent en petits groupes dans le cadre d’ateliers thématiques. « Notre travail auprès des jeunes en alternance est difficile, relate la directrice, Christine Lecoq, initiatrice de ces espaces d’expression. Les problématiques opérationnelles et de longue haleine ne manquent pas : une classe compliquée, des phénomènes de violence, la pertinence des pratiques enseignantes, les partenariats avec les entreprises, le sens de nos missions… »

Structurés à partir des questions soulevées par les personnels ou la direction, les ateliers sont animés par les managers : « Ils doivent apprendre à se départir de leurs propres représentations et de la peur d’échouer, qui génère parfois des jugements sur les pratiques exposées et mises en discussion. Les salariés ne doivent pas se sentir piégés. » Un compte rendu est diffusé à tous les participants, avec des pistes d’action, reprises à la réunion suivante. « La réussite d’un espace d’expression repose notamment sur la capacité du manager à suspendre son jugement, confirme Patrick Conjard, chargé de mission à l’Anact. C’est une posture nouvelle, dans laquelle le manager n’a pas réponse à tout et recherche la solution au sein de l’équipe. Cela implique de pouvoir prendre du recul et de centrer la discussion sur le travail. »

UNE ANALYSE EN PROFONDEUR

« Pour inciter les salariés à s’exprimer librement, nous sommes partis des irritants, en commençant par les motifs d’insatisfaction des clients », explique Guillaume Malbo, responsable du pôle souscription artisans-commerçants de Groupama Paris-Val-de-Loire. À la tête d’une équipe de 30 collaborateurs, avec trois managers de proximité en relais, il a mis en place des espaces d’expression avec les salariés volontaires, représentant près de la moitié de l’effectif. « Notre objectif de long terme est d’opérer un vrai changement culturel. Jusque-là, les salariés faisaient ce que le chef leur demandait de faire. Pour mieux répondre aux attentes des clients, la représentation qu’ils se font de leur job doit évoluer. » Pour chaque thématique, quatre réunions espacées de quinze jours, avec un diagnostic, des suggestions, des tests et la finalisation. « Nous avons identifié des blocages et revu de nombreux process, assure Guillaume Malbo. Cela nous a apporté du confort et de l’efficacité, avec moins de réclamations clients. Les collaborateurs s’expriment plus facilement, sont plus critiques et “mieux dans leurs basques”. Mais cela implique de pouvoir analyser en profondeur ce qui ressort des espaces d’expression, pour ne pas passer à côté des vraies problématiques. »

D’où l’utilité d’une formation à l’utilisation des espaces d’expression. Le CFA de Tours a fait appel à un consultant pendant un an pour sensibiliser le personnel, en lien avec l’Aract, en formalisant aussi des protocoles pour cadrer la démarche. Pour mettre à profit ces lieux de dialogue, les managers doivent-ils obligatoirement les animer ? Non, si l’on se réfère à l’initiative menée depuis le printemps 2013 sur le site de Bordeaux du Service industriel de l’aéronautique(dépendant du ministère de la Défense, le SIAé assure la maintenance des matériels). « Nous voulions mieux répartir les tâches annexes, hors cœur de métier, dans les périodes creuses de production, explique Philippe Meynard, chef d’équipe. J’ai proposé à mon équipe d’y réfléchir sans moi – pour ne pas peser sur les discussions – au moins une heure par mois dans un local dédié, en dehors de l’atelier. » Avec un rapporteur (tournant) au sein de l’équipe de neuf opérateurs pour présenter le compte-rendu au manager et lui détailler les pistes d’actions envisagées. Ensuite, c’est à lui d’arbitrer ou d’orienter les demandes.

« L’équipe a rapidement constaté les résultats de son implication, assure l’intéressé. Après les tâches annexes, elle a planché sur d’autres problématiques, parfois sensibles, comme les relations interpersonnelles avec d’autres services. Bilan, après vingt réunions : les opérateurs ont retrouvé du sens à leur travail, sont plus soudés et parviennent à régler de nombreux conflits entre eux… ce qui m’a dégagé du temps pour être avec les salariés et travailler sur leur développement. »

Mais il faut accepter de ne pas tout contrôler et s’assurer que tout le monde s’exprime. « Cette expérience très intéressante s’inscrit dans une démarche de QVT, estime Michel Bracquemond, sous-directeur gestion-organisation sur le site de Clermont-Ferrand du SIAé. Un chef d’équipe sur notre site devrait entamer prochainement une démarche similaire. »

ESPACES EN CASCADE

« Les salariés veulent parler de problèmes quotidiens, mais ils souhaitent aussi aborder des sujets qui relèvent de la stratégie de l’entreprise », ajoute Patrick Conjard. Une analyse partagée par Christine Lecoq. Le CFA qu’elle dirige a appliqué une autre préconisation de l’Anact : créer des espaces d’expression en cascade, puisqu’un espace est dédié aux managers eux-mêmes, un autre à l’ensemble du personnel (une centaine de salariés) et un dernier aux élèves en alternance…

LES CONSEILS DU COACH

SÉGOLÈNE JOURNOUD

Chargée de mission à l’Anact*

– 1 –

Être clair sur la finalité

Un espace de discussion peut-être un espace pérenne et dédié, destiné à opérer une régulation du travail, entre le prescrit et le réel, avec son lot de différends, d’imprévus, d’arbitrages à effectuer. Il peut également être utilisé pour intégrer la réalité du travail dans la conception et le déploiement de projets ou encore constituer un espace dans lequel les managers parlent de leurs rôles avec leurs pairs. Les managers (et plus largement les acteurs de l’entreprise) doivent connaître précisément la (les) finalité(s).

– 2 –

Installer la confiance avec des règles précises

Le fonctionnement doit être bien cadré pour éviter de faire émerger toutes sortes de demandes : qu’est-ce qui peut être discuté et qui peut en sortir ? Pour créer la confiance, le manager ne doit pas être perçu comme “l’œil de Moscou”, mais permettre à ses collaborateurs de raconter leurs difficultés sans préjudice pour eux. Cela nécessite qu’il ait un minimum de compréhension des modèles d’analyse du travail et de ce qui s’y joue, des processus d’engagement et de reconnaissance, des problématiques de santé au travail, afin de posséder un cadre de lecture adéquat des propos échangés.

– 3 –

Démontrer rapidement l’impact de la parole

Que le manager anime ou non lui-même l’espace d’expression, il lui faut rapidement montrer que la parole a eu un impact précis, sous peine de voir la discussion sur le travail s’essouffler. Il est important d’avoir une traçabilité de ce qui a été évoqué, décidé et mis en suspens. Autres clés de succès : le soutien affiché par l’entreprise aux managers concernés et les moyens alloués pour prendre des décisions ou obtenir des réponses de leur hiérarchie dans des délais courts.

* Co-auteure (avec Patrick Conjard) d’“Ouvrir des espaces de discussion pour manager le travail” (revue Management & Avenir, juillet-août 2013, n° 63).

(c) WavebreakMediaMicro/Fotolia

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE