Quand un patron est aussi chercheur en sciences sociales, que fait-il lorsqu’il prend son poste ? Un diagnostic sociologique ! Arrivé en 2008 à la tête d’Aquitanis, office de HLM de la communauté urbaine de Bordeaux, Bernard Blanc voulait en savoir plus sur ce qu’il appelle « la face immergée de l’iceberg » de l’entreprise : son capital culturel et social, la façon dont les salariés exercent leur activité, etc. Ce docteur en sciences de gestion, également diplômé en sciences humaines et en sciences politiques, ne conçoit pas de piloter une entreprise sans ce bagage intellectuel : « C’est dans l’épaisseur des interactions entre les différents acteurs, dans l’épaisseur des relations humaines que se jouent la performance, la qualité, le climat social, l’identité des entreprises et le sens collectif de l’action. C’est cela qu’il faut travailler, et je ne peux le faire qu’avec une solide formation en sociologie des organisations », estime-t-il. Il mobilise donc une petite équipe de sociologues avec qui il avait déjà collaboré.

Le diagnostic, après six mois d’enquête, met en évidence une société très clivée, fonctionnant selon un mode bureaucratique. D’un côté le siège qui, loin d’être un appui pour les 16 agences de proximité, demandait au terrain de lui fournir de plus en plus d’informations pour réaliser ses propres activités. Conséquence : chaque responsable d’agence passait un tiers de son temps à remplir des tableaux qui n’étaient utiles qu’au siège. De l’autre côté, des agences libres de s’organiser et de fixer leurs propres objectifs, sans aucun lien de coopération les unes avec les autres. Bref, une organisation en silos mais encadrée par le contrôle de gestion du siège, puissant et très solide, le seul objectif commun étant de bien tenir les indicateurs économiques. « Au total, on gagnait de l’argent, mais ça n’avait aucun sens pour personne », résume Bernard Blanc.

Or le dirigeant a d’autres ambitions : il souhaite une société en connexion avec son territoire et ses habitants, et donc délivrer une offre complexe d’habitat. Comment amener les agences, dont les métiers se sont appauvris parce qu’ils se focalisaient sur les deux exigences attendues par le siège – remplir les logements et toucher les loyers – à se reconfigurer pour élaborer cette offre complexe ? Plutôt que d’imposer des descriptifs d’emploi, il a recours à un outil mis au point par le sociologue Renaud Sainsaulieu : le scénario de la créativité. Pendant un an, ce sont les personnes elles-mêmes qui, dans des groupes métier, travaillent sur l’identité de leur métier, écrivent leurs activités, définissent les outils nécessaires, leur niveau de performance, etc. Du gardien d’immeuble au directeur d’agence en passant par le chargé de gestion collective, six métiers ont ainsi été redéfinis en profondeur, en dialogue avec la direction.

L’année suivante, alors que l’office s’engage dans une démarche de RSE, les personnels des agences élaborent leur offre de services en allant à la rencontre des élus et des habitants. Ce qui les amène, notamment, à créer un bouquet de services autour du vieillissement : adaptation du logement, services à domicile…

D’année en année, leurs compétences s’enrichissent, leur champ d’action s’étend (à la maintenance technique, à la gestion des projets urbains – qui relevaient auparavant uniquement du siège) et la performance est au rendez-vous. En 2013, l’Office obtient une certification RSE (Afaq 26 000) avec le meilleur résultat du secteur du logement social. Aujourd’hui, la stratégie de transformation se poursuit au niveau du siège. La coopération entre siège et agences se construit progressivement.

La DRH d’Aquitanis, Laure Boissel, qui vient de se former à la sociologie des organisations, estime avoir désormais les outils pour accompagner le changement. Exemple : elle assiste, comme facilitatrice, à des groupes de métier interagences où s’échangent des bonnes pratiques : « On est là dans des processus d’innovation ordinaire décrits par le sociologue Norbert Alter. J’ai compris grâce à sa lecture qu’il ne fallait pas intervenir dans la démarche en ajoutant du prescriptif. En revanche, une fois qu’une pratique est testée et adoptée, mon rôle est de la valider et de l’institutionnaliser », illustre-t-elle, ravie de constater « le pouvoir d’agir apporté par cette formation et qui rend le métier de DRH beaucoup plus intéressant ».

Activité

Office de HLM (parc de 18 000 logements).

Effectif

365 personnes.

Capacité d’autofinancement

106 millions d’euros.