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Prévention du suicide dans la police : PREMIER BILAN

ZOOM | publié le : 07.07.2015 | Rozenn Le Saint

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Prévention du suicide dans la police : PREMIER BILAN

Crédit photo Rozenn Le Saint

En début d’année, le ministre de l’Intérieur annonçait un plan de 22 mesures pour lutter contre les souffrances au travail des agents de police. Il en a dressé un bilan d’étape le 17 juin. Si les suivis post-traumatiques psychologiques sont de plus en plus mis en œuvre, la gestion de l’urgence laisse moins de temps aux actions de sensibilisation en amont.

Au premier semestre 2015, 22 suicides ont été dénombrés dans les rangs des policiers. « Contre sept chez les gendarmes depuis le début de l’année, or eux aussi ont une arme de service », compare Pierre Dartigues, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). Une étude de l’Inserm de 2010 avait déjà montré que « le risque de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui du reste de la population. »

Cinquante-cinq policiers s’étaient donné la mort en 2014, contre une quarantaine en moyenne les années précédentes, ce qui a poussé Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à présenter un plan de 22 mesures de lutte contre le suicide le 28 janvier dernier. L’une d’entre elles, expérimentale à l’origine, est déjà en voie de généralisation tant elle fait l’unanimité : la mise à disposition de casiers individuels pour que les policiers qui le souhaitent y déposent leur arme de service. Les responsables voient ceux qui l’ont fait ou pas, ce qui peut aider à prévenir les gestes désespérés quand la situation de détresse d’un agent est remarquée.

Certaines mesures n’étaient pas nouvelles, le plan a simplement eu le mérite de les répertorier. Le suivi post-traumatique, notamment, occupait déjà principalement le Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO). D’ailleurs, en 2014, les interventions des psychologues à la suite d’événements choquants ont augmenté de 23 %. Et, même si le plan a prévu le recrutement de sept psychologues en renfort de l’équipe déjà composée de 63 professionnels, cette hausse des requêtes leur laisse moins de temps à consacrer à leur seconde mission, qui consiste à épauler les policiers en souffrance sur le long terme, notamment pour prévenir les suicides dans la police.

Séances de prévention en baisse

Résultat : en 2014, le service a animé 3,7 % de séances de prévention des suicides de moins par rapport à 2013. Elles ont été « régulièrement annulées au regard des impératifs de service », indique un rapport présenté au CHSCT. Car, en cas d’activité intensive, ces actions de sensibilisation passent au second plan. « Depuis quelques mois, l’activité des services est très dense. L’opérationnel prime, reconnaît Catherine Pinson, psychologue clinicienne, chef du SSPO. Mais au détour d’un événement, nous arrivons souvent à faire le point sur des parcours individuels. Quand les policiers ont été touchés par un événement, ils peuvent se dégager de l’idée que c’est parce qu’ils sont fragiles : quelque chose de l’extérieur est venu les ébranler, ce qui peut les inciter davantage à se faire suivre. » Car, « dans la police, le collègue qui va voir un psy est rapidement stigmatisé comme asocial, fragile… Ce n’est pas encore entré dans les mœurs », témoigne Véronique Daumerie, secrétaire nationale section action sociale d’Alliance, syndicat majoritaire dans la police. Le SSPO en est bien conscient : « Le fait d’intervenir en groupe banalise l’accès au psychologue et, si une personne se sent fragilisée, elle peut demander un entretien. À l’issue des séances collectives, nous avons souvent des conversations informelles avec les policiers, qui nous identifient davantage », constate la psychologue.

Leur identification est un enjeu essentiel. Le SSPO est rattaché aux ressources humaines, comme la médecine de contrôle. Or il y a deux médecines dans la police : celle de contrôle, qui vérifie notamment les arrêts maladies, et celle de prévention. « Les deux médecines sont complémentaires, des confusions subsistent cependant pour beaucoup de fonctionnaires de police, qui ne font pas toujours bien la différence », indique la psychologue. « Il est impératif de rendre plus simple et compréhensible les différents dispositifs de soutien, savoir quelle est la mission du psychologue, de l’inspecteur de santé, de l’assistant social », revendique Véronique Daumerie. D’ailleurs, l’objectif du plan de prévention du suicide est de « renforcer les différents services de soutien et notamment la médecine de prévention, pour qu’elle soit systématiquement sollicitée dès qu’il y a un problème et qu’elle déclenche les pôles de vigilance, qui s’occupent des cas individuels », décrit la psychologue. Ceux-ci ont été mis en place depuis 2013.

Parmi les nouvelles mesures présentées par le ministre en janvier, certaines visent à sensibiliser davantage les chefs d’équipe. Selon Catherine Pinson, cela commence à porter ses fruits : « L’augmentation des demandes d’intervention post-événements en 2014 montre que les responsables sont de plus en plus sensibilisés ; c’est la meilleure preuve que la situation évolue », assure-t-elle. Cela prouve aussi qu’ils étaient en demande de conseils pour gérer des situations délicates. « Nous leur donnons un éclairage sur l’impact que peuvent avoir ces événements, quelles peuvent être les réactions des personnes en état de choc, comment, en tant que managers, ils peuvent aussi soutenir leur équipe, adapter le service pour soulager les personnels les plus touchés, comment prendre en compte une famille endeuillée, etc. Les responsables sont un peu en première ligne, ce n’est pas évident, et ils sont souvent seuls », admet-elle.

Implication du management

Après les traumatismes, les arrêts maladie se prolongent souvent. Et le retour à la réalité peut être brutal. Une note interne propose aux managers une sorte de guide qui détaille la procédure à suivre. « Cette note demande aux responsables hiérarchiques de mobiliser les partenaires du soutien et de s’impliquer, de recevoir la personne qui revient d’un long arrêt maladie. C’est un peu dommage de devoir l’écrire, mais il arrivait encore parfois que cela ne soit pas fait », regrette-t-elle.

Sur ce point, les responsables syndicaux sont bien d’accord : la faute à un manque de formation de ces responsables. En formation initiale, il y a bien quelques modules sur la question des risques psychosociaux (RPS) et certains risques plus spécifiques au métier, mais ce n’est pas suffisant. Selon eux, l’organisation du travail dans son ensemble est à revoir. « On a une tendance à médicaliser le suicide : on demande beaucoup aux assistants sociaux, médecins, psychologues, mais en voyant le problème sous l’angle individuel et non collectif ; on ne se pose pas de questions sur le management et les conditions de travail. Les mesures prises n’ont rien de révolutionnaire », estime le représentant du SCSI. « Dans le champ de la prévention, on a souvent tendance à insister sur la prévention tertiaire, c’est-à-dire l’accompagnement de gens déjà en difficulté, or il est important de se pencher sur les causes primaires, de s’interroger sur ce qui peut être source de difficultés dans le fonctionnement institutionnel, admet également Catherine Pinson. La réforme des cycles de travail en cours, qui vise à un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et familiale, va dans ce sens. »

Cellules de veille

Pour ce faire, l’administration s’est dotée d’un outil : « Les cellules de veille font remonter les problèmes grâce à des indicateurs tels que le nombre d’arrêts maladie dans les différents services. Ainsi, l’information est partagée, car, pour les chefs de service, cela peut être compliqué de constater qu’il y a un souci ; il faut l’objectiver. Ensuite nous essayons de trouver ensemble des solutions », relate la responsable du SSPO. Un indicateur plus fiable, selon les syndicats, que l’identification d’un « référent de l’accompagnement des personnels », qui fait partie du plan de la Place Beauvau. Il serait une sorte de thermomètre de la souffrance de ses collègues et aurait pour rôle de les accompagner si besoin vers la médecine de prévention. « On demande à des personnels formés pendant deux jours seulement ou alors pas formés du tout, d’assurer des fonctions sensibles », constate, dubitatif, Pierre Dartigues. À Alliance, on y est fermement opposé pour les mêmes raisons. « Ils seraient vus comme des sentinelles qui détecteraient les fragilités des collègues. Quid de la responsabilité engagée du fonctionnaire qui orienterait un policier vers un assistant social plutôt que chez le psy ? Quid de son sentiment de culpabilité s’il se suicide ?, interroge Véronique Daumerie. Et puis les policiers ne sont pas des éponges à chagrin. » La place Beauvau a prévu des points étapes tous les quatre mois pour évaluer son dispositif et l’adapter.

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  • Rozenn Le Saint