logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Séverine Ventolini : « SAVOIR DÉVELOPPER ET ENTRETENIR UN RÉSEAU EST UNE COMPÉTENCE »

L’interview | publié le : 30.06.2015 | Éric Delon

Image

Séverine Ventolini : « SAVOIR DÉVELOPPER ET ENTRETENIR UN RÉSEAU EST UNE COMPÉTENCE »

Crédit photo Éric Delon

Selon la presse managériale, la réussite et l’évolution professionnelle seraient indexées au développement de son réseau de relations. Or la réalité est plus complexe et dépend de la stratégie professionnelle du collaborateur.

E & C : Vous venez de réaliser une étude pour l’Apec, dont l’objectif est d’ “éclairer la boîte noire” des réseaux professionnels. Quel en était le contexte ?

Séverine Ventolini : Dans le cadre d’un partenariat de mon laboratoire de recherche (1) avec l’Association pour l’emploi des cadres, nous avons souhaité décrypter la notion de réseau de relations. Dans la presse managériale, l’injonction à développer ce dernier est omniprésente, sans que l’on sache précisément ce qu’est un bon réseau et comment il faut s’y prendre pour le développer. Les ressources ou les bienfaits que peut apporter un réseau pour favoriser le développement professionnel d’un individu ne sont pas si simples à analyser. Faut-il privilégier un réseau vaste, c’est-à-dire comptant de nombreux contacts, ou bien est-il préférable d’en développer un diversifié ? Est-il pertinent de se reposer sur des contacts issus majoritairement du même secteur d’activité que soi ? Comment entretient-on son réseau ? Un bon réseau est-il constitué d’un nombre limité de relations mais de relations sur lesquelles on peut compter et dont on est proche, ce que le sociologue américain Mark Granovetter a baptisé de “lien forts”, ou bien est-il préférable d’avoir des contacts qui seraient de simples connaissances, des “liens faibles” ?

Quels sont vos principaux constats ?

Notre première étude basée sur des entretiens auprès de consultants salariés de grands cabinets nous a permis d’identifier cinq grands types de ressources utiles pour la carrière d’un individu, que l’on peut trouver au sein de son réseau personnel. Premier type de ressources : un soutien politique consistant à “aider” un individu lors de promotions ou de conflits ou en lui proposant des missions professionnelles intéressantes qui pourront être valorisées par la suite. Deuxième type : le conseil de carrière ; des membres de votre réseau vous aident à analyser les orientations et les opportunités qui s’offrent à vous professionnellement. Troisièmement : la mise en relation, lorsque vos connaissances vous font profiter de leur propre réseau. Quatrième type : le soutien social, les individus éprouvant le besoin d’être entourés de personnes leur permettant de conserver leur confiance en eux. Cinquième et dernier type de ressources : des exemples-modèles à suivre dans l’entourage, qui permet aux cadres d’orienter leurs choix professionnels. La seconde étude que nous avons menée porte sur l’analyse du réseau de plus de mille cadres. Elle montre que ce sont surtout la mise en relation et le soutien politique qui exercent une influence déterminante sur le succès de carrière, même si c’est le soutien social qui reste la ressource la plus effective. Les résultats révèlent également que, hormis la mise en relation, les liens forts – des proches que l’on voit souvent – procurent davantage de ressources utiles pour sa carrière. Autre enseignement : dans le réseau du cadre, son manager – et a fortiori son ancien manager – sont des ressources stratégiques. D’où l’importance de conserver des contacts même si l’on change d’environnement professionnel.

Quel rôle joue le réseau dans les succès professionnels des individus ?

Selon les organisations ou les milieux professionnels, la place du réseau dans l’évolution professionnelle est variable même si, dans tous les cas, une certaine visibilité est utile, pour que l’on pense à vous lorsque des opportunités se présentent. Précisons qu’il est impératif que l’on parle de vous de manière “positive” et non l’inverse, car l’effet boomerang peut être dévastateur. Par ailleurs, les individus sont plus ou moins capables de décrypter leur environnement professionnel et de comprendre si leur réseau est stratégique. Certains le comprennent seuls, d’autres ont eu l’opportunité d’être “drivés” par des mentors qui leur ont expliqué le fonctionnement de leur organisation. Trois types de profils coexistent parmi les cadres. D’abord, ceux qui estiment que le réseau est essentiel et que son soutien est aussi important que leurs compétences, ce qui les conduit à entretenir régulièrement des relations avec des personnes “influentes”. Puis ceux qui estiment que le réseau accroît leurs compétences, car ils peuvent y puiser des idées nouvelles, d’autres types de connaissances… Ces cadres vont s’efforcer d’élargir leur éventail de relations, même si celles-ci ne s’étendent pas au-delà de la sphère professionnelle. Enfin, ceux qui considèrent que les compétences professionnelles restent primordiales et que le réseau en découle naturellement.

Comment un réseau s’entretient-il ?

Être visible, savoir développer et entretenir un réseau représente une compétence en soi, même s’il n’existe pas de modèle unique de progression professionnelle. Tout dépend des objectifs que se fixent les cadres. Dans quelle mesure le développement de leur réseau est-il lié à leur carrière interne ou à leur activité professionnelle, même si le lien entre les deux est souvent patent. Certains métiers comme celui de consultant, par exemple, dont le volet commercial est prépondérant, nécessitent de posséder un réseau étoffé pour mieux répondre aux appels d’offres, décrocher des contrats ; de nombreux consultants poursuivant leur carrière chez des clients. Au sein de la communauté des chercheurs, où l’innovation est au cœur de leur problématique, il est indispensable de pouvoir échanger sur des avancées technologiques et d’obtenir des informations sur certains process ou méthodologies… Par ailleurs, au sein de cette profession, il est notoire que la reconnaissance vient souvent des pairs. S’agissant du réseau, il ne faut donc pas de se demander s’il est opportun ou non de le développer, mais se questionner sur l’intérêt d’en avoir un, en fonction de quel objectif, et acquérir ainsi les relations adaptées. Attention au discours normatif qui scanderait le développement d’un réseau à tout va comme seule source de réussite professionnelle.

Le lien entre réseau personnel et succès de carrière n’est donc pas automatique ?

Ce lien est souvent mis en avant d’une telle manière qu’il occulte les autres dimensions du succès professionnel, comme par exemple les compétences ou les performances d’un collaborateur, sa capacité à être proactif sur ses choix professionnels. Le réseau ne représente qu’un aspect de la “réussite professionnelle” – dont le sens reste par ailleurs propre à chacun –, et son importance fluctue en fonction des milieux professionnels. Qu’est-ce qu’un réseau personnel peut apporter « en plus » que je ne puisse obtenir par d’autres moyens, qui sont les contacts véritablement utiles ? Connaître le plus de monde possible est-il si important, si efficace au final ? Au-delà du développement quantitatif des contacts, il ne faut pas oublier que l’entretien des relations est une activité éminemment chronophage.

(1) Crego : Centre de recherche en gestion des organisations.

Séverine Ventolini PROFESSEURE EN SCIENCES DE GESTION

Parcours

→ Séverine Ventolini est maître de conférences à l’IAE de Dijon (université de Bourgogne) et est rattachée au laboratoire Crego (Centre de recherche en gestion des organisations).

→ Elle est coauteure, avec A.-L. Gatignon-Turnau et C. Fabre, d’un article à paraître prochainement, intitulé “Proactivité de carrière : un processus de planification ou d’anticipation d’événements” (Revue de gestion des ressources humaines).

Lectures

→ Le Travail invisible : enquête sur une disparition, Pierre-Yves Gomez, François Bourin, 2013.

→ Gestion des carrières, Sylvie Saint-Onge, Sylvie Guerrero (dir), HEC Montréal, 2013.

→ Le Marché autrement, M. Granovetter, Desclée de Brouwer, 2000.

Auteur

  • Éric Delon