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Un suicide, ET ENSUITE ?

Les clés | publié le : 30.06.2015 | Sabine Germain

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Un suicide, ET ENSUITE ?

Crédit photo Sabine Germain

Gestion de crise. Le suicide d’un collaborateur est un événement traumatique pour une équipe. Il doit absolument être pris en charge sur le court et le long termes, sous peine de laisser des traces durables.

C’était un jour férié, mais une partie de l’équipe logistique avait travaillé dans l’entrepôt de cette entreprise industrielle. Tout se déroulait normalement jusqu’à ce qu’un coup de téléphone jette l’effroi : l’un des collaborateurs s’était suicidé dans la nuit. « J’étais absent ce jour-là, raconte Pierre, manager de cette équipe d’une vingtaine de personnes. La direction a immédiatement contacté le prestataire en charge de l’assistance psychologique. Quand je suis revenu, le lendemain, un psychologue était toujours là. Mais je n’imaginais pas reprendre le travail sans parler de l’événement. Tout le monde était abasourdi : par le drame lui-même, et par le sentiment de s’être totalement mépris sur la personnalité de ce collègue qui renvoyait une image gaie, enjouée, plutôt grande gueule, certainement pas le genre à se suicider. »

Avec l’équipe du matin, l’émotion était palpable : « Dans les entrepôts, on trouve plutôt des gars qui n’ont pas l’habitude de s’épancher, poursuit Pierre. Mais quand l’un d’entre eux a raconté le cauchemar qu’il avait fait durant la nuit, tout le monde s’est senti autorisé à parler de ses angoisses. Durant plus d’une heure, chacun a vidé son sac. Puis nous avons pu reprendre le travail normalement. » Ambiance très différente avec l’équipe de l’après-midi : « Je leur ai proposé, de la même façon, de parler du drame et de leurs sentiments. Ca a été très bref : ils ont préféré reprendre le travail et retourner dans l’action. »

L’expérience de Pierre le montre : « Le suicide est un traumatisme que chaque salarié vit différemment selon la manière dont cet événement résonne en lui, explique Olivier Herlin, expert en management des équipes et en développement personnel (Pactes Conseil). Il n’est donc pas étonnant que chacun réagisse à sa façon. » Colère (« Pourquoi ne m’a-t-il pas appelé à l’aide ? »), culpabilité (« Je m’en veux de n’avoir rien vu »), incompréhension (« Comment a-t-il pu faire cela alors qu’il a deux enfants ? ») : « Après une période de sidération, qu’on peut évacuer en mettant des mots sur ses émotions, la question des responsabilités peut se poser », poursuit Olivier Herlin.

De fait, dans ce flot d’émotions, « le manager doit aussi penser à se protéger et à protéger l’entreprise, ajoute Bénédicte Haubold, fondatrice d’Artélie Conseil. On pense, en premier lieu, au soutien psychologique, et c’est normal. Mais il faut aussi se prémunir contre le contentieux en ouvrant très rapidement une enquête au sein de l’équipe et auprès de tous ceux qui ont pu côtoyer, de près ou de loin, le défunt dans son cadre professionnel ».

C’est aussi une façon de faire revenir le collectif dans un événement qui est vécu de façon très individuelle : « Le groupe permet d’écouter les autres, de se rendre compte qu’ils peuvent vivre ce choc de façon très différente, et de sortir de l’émotionnel », explique Viviana Dore, psychologue spécialisée dans la prise en charge du psycho-traumatisme.

Ce n’est pas un hasard si les rituels liés au deuil restent si importants : « Mieux vaut faire quelque chose ensemble que laisser des photos du défunt partout, poursuit Viviana Dore. Il faut absolument éviter que cet absent devienne trop envahissant. Si l’équipe veut garder un souvenir, elle peut ouvrir un cahier sur lequel chacun est invité à laisser un message. Cela donne un autre moyen d’expression à ceux qui ont du mal à parler de leurs émotions. Et c’est une façon de garder une trace de cet événement. » « Le manager peut proposer à ses collaborateurs de se rendre et de se recueillir dans un lieu où leur collègue avait l’habitude de travailler ou de se détendre », suggère Bénédicte Haubold.

réorganiser l’espace de travail

En revanche, il faut absolument éviter que son poste de travail devienne un mausolée. « Le réattribuer immédiatement à quelqu’un d’autre est évidemment délicat, admet Téric Boucebci, psychologue (lire ci-contre). Mieux vaut réorganiser entièrement l’espace de travail ou, si ce n’est pas possible, attendre huit à dix semaines avant de laisser quelqu’un s’installer à ce poste. Et si le défunt doit absolument être remplacé rapidement, mieux vaut embaucher un intérimaire ou un CDD en précisant bien à l’équipe qu’il n’est pas là pour prendre sa place, mais pour faire face à la charge de travail. »

Enfin, il faut « accepter que cet événement fasse à présent partie de l’histoire de l’entreprise, conseille Olivier Herlin. Même si l’employeur et le manager sont disculpés par l’enquête, ils ne doivent pas enterrer cette affaire ou chercher à la relativiser. On ne sait pas à quel rythme les plaies se referment : certains auront besoin de continuer à en parler pendant longtemps. Le manager sortira grandi d’avoir su parler d’un sujet aussi sensible. »

LES CONSEILS DU COACH

TÉRIC BOUCEBCI

Psychologue et directeur de CIS Assistance.

– 1 –

Prendre la mesure du choc

Le suicide d’un collaborateur est une situation d’urgence qui impose de proposer une prise en charge psychologique pour tous les membres de l’équipe. Libre à chacun d’en bénéficier : cela ne doit évidemment pas être obligatoire.

– 2 –

Laisser toutes les émotions s’exprimer

Même les émotions les plus difficiles à entendre doivent s’exprimer : le simple fait de ne pas avoir vu, collectivement, qu’un collaborateur allait suffisamment mal pour passer à l’acte est forcément mal vécu. Au point que le management peut être mis en cause, pour harcèlement ou négligence. Il faut laisser ces accusations s’exprimer et leur répondre en étant transparent, notamment si une enquête est ouverte. Sinon, il devient impossible de renouer la confiance.

– 3 –

Se protéger

Le manager est doublement exposé, en tant qu’humain, qui a le droit d’être affecté comme les autres, et en tant que manager, qui doit soutenir son équipe et organiser la poursuite de l’activité. Il doit alors accepter une certaine impuissance : il peut écouter ses collaborateurs, les accompagner, mais il ne pourra pas forcément les “sauver”. Il doit garder une certaine distance et ne pas absorber toutes les souffrances s’il ne veut pas, à son tour, s’écrouler.

Auteur

  • Sabine Germain