Après un an de test, Senior’Innov est reconduit. Avec ce dispositif, les PME normandes s’appuient sur des cadres de plus de 50 ans au chômage pour réaliser des projets dormants qu’elles n’ont pas les moyens de mener à bien.
Testé dans le Calvados pendant un an, le dispositif expérimental Senior’Innov vient d’être reconduit et élargi à la région Basse-Normandie. Il allie trois objectifs : faire émerger les projets dormants dans les PME du territoire, en s’appuyant sur les compétences de cadres seniors au chômage ; remettre le pied à l’étrier à ces demandeurs d’emploi qui ont des difficultés à retrouver un travail du fait de leur âge ; dynamiser le tissu entrepreneurial régional.
En termes d’emploi, le premier bilan est mitigé. Sur les cinq cadres intégrés dans une PME d’avril à septembre 2014, un seul s’est vu proposer un CDD à la fin de son stage de six mois. Les autres n’ont pas eu autant de chance. Mais, comme le rappelle Vincent, 53 ans, l’un des seniors concernés : « Il n’y a pas d’obligation de recrutement, on nous avait prévenus. » En revanche, il a maintenu le lien avec le bureau d’études qui l’a employé via des missions de conseil. « J’ai travaillé sur le projet d’un véhicule hippomobile. Il nécessitait un consortium d’entreprises et je savais qu’il ne pouvait pas déboucher en six mois. » Il en a cependant récemment défendu le dossier pour le compte de son ancien employeur devant l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), à Paris. « C’est très bon pour le moral », sourit cet ancien directeur des opérations pour la filiale d’un grand groupe international, toujours en recherche d’emploi.
L’idée de Senior’Innov est née lors d’une journée sur l’emploi des seniors, organisée en février 2011 par l’Accompagnement normand de cadres en recherche d’emploi (Ancre). « Il s’agissait de contrer les stéréotypes habituels : les seniors coûtent cher, ils vont tomber malades, ils sont difficiles à bouger », résume Raynald Le Nechet, chef de projet à la Maison de l’emploi et de la formation de l’agglomération caennaise (Mefac), qui a travaillé à la mise au point du dispositif.
« Nous avions parcouru la France pour voir ce qui se faisait en termes de reclassement des seniors », signale Michel André, président de l’Ancre de 2010 à 2013. Les Actions régionales pour le développement d’activités nouvelles (Ardan), repérées en Rhône-Alpes, ont inspiré l’association. L’idée de base – repérer des projets non développés dans les PME, et mettre en face les compétences nécessaires – a été reprise et ciblée sur un public de plus de 50 ans. « Les cadres au chômage dans notre région viennent souvent de grands groupes et ne connaissent pas le tissu des PME », remarque Raynald Le Nechet.
Senior’Innov permet une « rencontre », l’initiative étant adossée à une formation diplômante en gestion de projet, dispensée par l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Caen. « Nous souhaitions aussi améliorer l’employabilité des seniors concernés », insiste le chef de projet. Le positionnement étant celui d’une formation-action, les cadres engagés dans le dispositif ont le statut de stagiaire.
Financée par l’État et la région, l’expérimentation mobilise la Mefac pour détecter les projets dormants dans les entreprises grâce à ses réseaux locaux. De cette première sélection ont émergé cinq pistes intéressantes, aussi diverses qu’une réflexion autour du recyclage des fauteuils roulants, le test de la plus-value d’une technologie nouvelle ou encore la soudure par friction. Pôle emploi, l’Apec et les autres acteurs de l’emploi avaient pour tâche de repérer les profils ad hoc. Mais les PME choisies ont eu le dernier mot sur le recrutement.
« Nous avions besoin de quel qu’un qui ait une vision transversale de l’entreprise, donc un cadre expérimenté et sachant faire preuve d’autonomie pour mettre en place une démarche d’éco-conception, témoigne Christophe Riou, directeur industriel chez Coulidoor, un fabricant de portes de placard qui emploie 220 personnes. Le projet a été au-delà de l’objectif : il mène désormais sa propre vie, et l’expérience a été vécue comme un point fort par l’équipe. Le cadre est devenu un référent sur lequel elle a pu s’appuyer. » L’entreprise, qui n’avait pas les ressources pour une embauche définitive, a prolongé l’expérience avec un CDD. Et le stagiaire a finalement été engagé en CDI comme responsable qualité dans une autre entreprise.
Au bout du compte, Senior’Innov a été vu comme une belle opportunité par l’ensemble des acteurs, même si ceux-ci s’accordent sur ses points faibles et sur les améliorations à apporter : nécessité d’une formation moins théorique, meilleure intégration, dans les entreprises, de ces cadres qui vivent mal d’être présentés comme de simples stagiaires, meilleure participation des entreprises au dispositif. « Nous avons dépensé 300 euros par mois, ce qui était ridicule au regard de la valeur ajoutée dégagée par le cadre », admet Christophe Riou.
Ces remarques ont été prises en compte dans l’organisation de la deuxième session, qui concerne, cette fois-ci, neuf personnes et PME, et qui a commencé le 2 mars dernier. Selon Camille Lixon, la nouvelle chargée de mission Senior’Innov à la Mefac, un autre organisme de formation, l’AIFCC (proche des CCI), a été choisi lors d’un nouvel appel d’offres et un coaching individualisé a été mis en place. Par ailleurs, la cotisation des entreprises à Senior’Innov varie désormais de 400 à 800 euros par mois selon le chiffre d’affaires.
Une chose est sûre pour Raynald Le Nechet : « Les chefs d’entreprise sont satisfaits de l’implication des cadres et ont changé de regard sur les seniors. »