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MOBILITÉ : RETOUR D’EXPATRIATION : QUEL RÔLE pour les RH ?

L’enquête | publié le : 16.06.2015 | Élodie Sarfati

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MOBILITÉ : RETOUR D’EXPATRIATION : QUEL RÔLE pour les RH ?

Crédit photo Élodie Sarfati

Après une période plus ou moins longue d’expatriation, le retour dans l’entreprise d’origine est souvent une phase délicate à gérer. Pour les RH, il s’agit d’aider le salarié à reprendre ses marques et de lui retrouver un poste en adéquation avec l’expérience acquise. De nombreux outils peuvent être mobilisés pour anticiper au mieux la poursuite de la carrière.

C’est une enquête qui date de 2011 mais qui, selon Jean Pautrot, l’un des responsables du Cercle Magellan, un réseau professionnel de responsables de mobilité internationale, reste d’actualité : interrogés par BVA*, plus de 6 expatriés sur 10 affirmaient à l’époque que leur entreprise n’avait pas pris en compte leurs souhaits en termes de poste au moment de leur retour. Et près de la moitié avaient finalement quitté leur entreprise dans les deux années suivantes (62 % des Européens de l’Ouest). « Le retour reste, encore aujourd’hui, la phase la plus délicate d’une mobilité internationale, constate celui qui est également coach d’expatriés. Les entreprises sont plutôt en réduction d’effectifs et n’ont pas toujours les postes adéquats à proposer. De plus, l’expatrié a souvent le sentiment d’une carence d’accueil lorsqu’il réintègre sa société d’origine. »

De fait, le retour au bercail n’est pas toujours anticipé. C’est notamment ce qu’avait dénoncé, il y a deux ans, la CFE-CGC d’Orange, qui a dû intervenir en CE : « On avait constaté que les expatriés restaient à leur retour jusqu’à 6-8 mois sans retrouver de poste. Personne ne les attendait : pendant leur absence, on les avait oubliés, et les RH ne s’en occupaient qu’au dernier moment », se souvient Jean-Marc Dartagnan, DS coordinateur du syndicat dans l’entité fonctions supports et finances.

Même lorsque la nouvelle affectation est choisie, elle fait à beaucoup d’anciens expatriés l’effet d’une douche froide. D’une part, parce que reprendre un poste classique, quand la mission à l’étranger octroyait des responsabilités et une autonomie souvent plus importantes, peut être vécu comme une régression. D’autre part, à cause du décalage entre le salarié et l’organisation dans laquelle il doit retrouver ses marques : « C’est humainement difficile de revenir dans une équipe structurée quand on n’a pas été en place pendant plusieurs années, souligne Didier Hoff, responsable des activités human capital d’EY Société d’Avocats. Les expatriés ont perdu la relation sociale avec l’entreprise, or celle-ci a changé, a évolué, ce qui complique la réintégration, en particulier des profils de managers pour qui cette dimension est essentielle. Et plus il y a de mouvement dans l’entreprise, plus c’est problématique. »

POSTE INTERMÉDIAIRE

C’est donc tout un ensemble de paramètres qui est à prendre en compte pour remettre sur les bons rails la trajectoire professionnelle de ces salariés au parcours atypique. Ce dont les entreprises sont de plus en plus conscientes, selon Yves Girouard, président du Cercle Magellan. « Elles mettent en place des process pour mieux gérer les retours, en recherchant des modalités opératoires qui fonctionnent. Elles ont compris la perte que représente le départ d’un expatrié, en termes de compétences et de talent sur lequel on a investi. »

Chez Orange, l’alerte a porté ses fruits, constate Jean-Marc Dartagnan : « Aujourd’hui, il existe un accompagnement global du retour. Et si les personnes n’ont pas de poste immédiatement, la mission est rallongée ou un poste intermédiaire est proposé. On ne voit plus de personnes laissées dans un coin. » L’an dernier, Safran a fait plancher un groupe de travail ad hoc sur la problématique du retour (lire p. 23). À EDF, l’évolution du groupe et l’ouverture de l’expatriation à de nouveaux profils ont conduit l’entreprise à définir en juin 2014 une nouvelle politique d’accompagnement RH de la mobilité internationale, qui met notamment l’accent sur la gestion des carrières.

VÉRIFIER LES CAPACITÉS D’ADAPTATION

Ces approches combinent plusieurs leviers afin de traiter l’ensemble des questions soulevées. À commencer par le volet psychologique, lié au fameux “choc culturel inversé”, au deuil de l’expatriation, auquel les salariés sont rarement préparés. Dans le groupe Adeo (Leroy-Merlin, Bricoman, Weldom…), Pierre-Marie Cusset, responsable de la mobilité interentreprises, a récemment mis en place un coaching sur les six derniers mois de la mission : « Depuis longtemps, nous sommes très vigilants sur la phase de départ, avec, par exemple, un assessment visant à vérifier les capacités d’adaptation du candidat à l’expatriation. Mais nous étions moins attentifs à la phase de retour, car nous partions du principe que la personne rentrait dans un environnement connu. Or il est nécessaire de lui faire prendre conscience de ce qu’elle va rencontrer : perte du statut, baisse de rémunération, évolutions culturelles de son environnement… Et six mois après la prise du nouveau poste, nous organisons un dîner avec la coach et les anciens expatriés pour qu’ils puissent partager leurs difficultés, leur vécu. »

En parallèle, il s’agit de remettre en route le circuit de la mobilité interne pour identifier dans les temps le meilleur point de chute possible. À EDF, dès le départ, une convention tripartite signée par l’expatrié, la société d’origine et celle d’accueil prévoit dans quelle unité il sera réintégré. Puis, entre un an et six mois avant le retour, « les expatriés participent à un séminaire où nous leur présentons ce qu’est devenu le groupe, où ils rencontrent les gestionnaires de carrière et les dirigeants du groupe », détaille Nicole Verdier-Naves, directrice Dirigeants, formation manager et mobilité internationale. En parallèle, le gestionnaire de carrière reprend contact pour « tracer les perspectives d’avenir. Il n’y a pas systématiquement de concordance immédiate mais nous nous focalisons sur les débouchés possibles. S’il doit y avoir une période intermédiaire, nous faisons en sorte qu’elle soit constructive, soit par une période d’immersion, soit par une formation ». D’ailleurs, constate Jean Pautrot, « c’est souvent au deuxième poste après l’expatriation que la carrière s’accélère, car le salarié s’est réajusté à l’organisation et à sa culture d’origine. Si on a réussi à le fidéliser jusque-là ».

Ce qui passe également, poursuit-il, par la prise en compte des compétences acquises qu’il faut rendre lisibles, notamment au manager qui le recrute. « Pour éviter que le salarié s’ennuie, pourquoi ne pas lui confier des tâches qui mettent à profit les capacités d’adaptation, de conduite du changement, généralement mobilisées lors de l’expatriation ? » De fait, à EDF, des entretiens désormais systématiques permettent de faire le bilan de l’expatriation avec le manager local, et ainsi de préparer l’intégration dans la future équipe : « Nous étions frappés de voir que les managers qui devaient les accueillir au retour ne connaissaient pas précisément les missions que les expatriés avaient exercées, quelles aptitudes ils avaient développées », poursuit Nicole Verdier-Naves.

Le groupe Adeo a pour sa part édité un guide avec des conseils à destination des managers qui accueillent un ancien expatrié. En outre, Pierre-Marie Cusset organise chaque année une people review dédiée aux expatriés : « Je présente aux recruteurs du groupe chaque profil, chaque projet professionnel, sur la base d’un dossier complet enrichi des entretiens annuels. Et j’essaye de faire en sorte que l’expérience acquise à l’international soit valorisée. » Moyennant quoi, assure-t-il, 45 % des expatriés connaissent une évolution de carrière entre le poste occupé avant le départ et celui occupé au retour. Et 87 % sont toujours dans l’entreprise 36 mois plus tard.

GESTIONNAIRES DE CARRIÈRE

Pour lui, l’anticipation et l’accompagnement individuel expliquent le succès de la démarche. Mais le fait qu’il fasse lui-même le lien est également décisif. Qui suit le salarié le temps de sa mission à l’international, qui prépare sa réintégration ? « Souvent, l’expatrié est pris en tenaille entre les RH de l’entité locale où il mène sa mission et les RH de sa société d’origine et, au final, plus personne ne s’occupe vraiment de lui », glisse Didier Hoff. D’où, observe-t-il, la « tendance récente » à créer des postes de gestionnaires de carrière dédiés aux profils internationaux. À la SNCF, un département RH internationales existe depuis 2012 (lire p. 24). « L’intérêt est aussi d’avoir une vision globale, à l’heure où émergent d’autres formes de mobilité internationale : des missions plus courtes, effectuées entre les filiales étrangères et non plus seulement depuis le pays d’origine du groupe. Ce qui génère de nouveaux défis : identifier les flux, les personnes concernées et bâtir un catalogue des compétences rares à travers la planète. »

De quoi renouveler la gestion de carrière de ces profils épargnés, semble-t-il, par le mal du pays : d’après l’étude Mobicadres publiée par Deloitte et Nomination début juin, en 2014, la moitié des cadres expatriés qui ont connu une mobilité ont choisi de rester à l’étranger. Soit 11 % de plus qu’en 2013.

É. S.

* Pour Berlitz, le Cercle Magellan, Insead et Eura.

RETOUR DES EXPATRIÉS : QUE DIT LA LOI ?

Le Code du travail est peu disert sur le sort du contrat de travail à la fin de l’expatriation. « Il prévoit simplement que, lorsqu’un salarié est mis à disposition par une société mère dans une de ses filiales et que cette dernière le licencie, la société mère a l’obligation d’assurer son rapatriement et de lui fournir un poste compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein », précise Nathalie Cerqueira, avocate au cabinet Bersay Associés.

Dans les autres cas de figure, et notamment si le salarié arrive au terme prévu de sa mission, les obligations de l’employeur en matière de réintégration et de rapatriement sont le plus souvent fixées par l’avenant au contrat de travail signé au moment du départ, mais peuvent également résulter de la convention collective applicable ou d’accords d’entreprise. « Les entreprises ont intérêt à anticiper, car lorsque le contrat local prend fin, y compris par la démission du salarié, le contrat initial, qui normalement est suspendu, reprend vie, poursuit l’avocate. Si rien n’a été prévu par voie d’avenant, le salarié pourra réclamer le poste qu’il occupait avant son expatriation et qui, généralement, aura été confié à un autre salarié. »

En cas de contentieux sur la notion de poste « compatible avec les précédentes fonctions », les juges vérifieront que le niveau hiérarchique, les responsabilités managériales, la rémunération, sont au moins identiques à ceux du poste occupé avant le départ. Mais il n’y a pas d’obligation à prendre en compte l’expérience acquise pendant l’expatriation. Sauf, donc, si l’avenant au contrat de travail ou un accord collectif en dispose autrement : ainsi, la convention collective de la métallurgie prévoit que l’entreprise devra affecter ses cadres et ingénieurs expatriés « dès leur retour à des emplois aussi compatibles que possible avec l’importance de leurs fonctions antérieures à leur rapatriement ».

Autrement dit, celles occupées pendant la mission à l’étranger.

Une partie du contentieux se cristallise également autour des recherches engagées par l’entreprise d’origine pour identifier les postes de reclassement possibles, les juges exigeant des recherches sérieuses, précises, menées au sein de l’entreprise d’origine mais plus largement au niveau du groupe. « L’entreprise d’origine doit porter une attention toute particulière à cette phase de recherches et veiller à la documenter dans la perspective d’un éventuel litige, de simples échanges d’e-mails étant, en la forme, suffisants pourvu que le contenu soit pertinent », souligne Nathalie Cerqueira.

Enfin, l’employeur d’origine a d’autant plus intérêt à soigner la réintégration de l’expatrié qu’en cas d’impossibilité, et donc de licenciement, les indemnités de rupture devront, en principe, être calculées sur la base du salaire perçu pendant l’expatriation.

Auteur

  • Élodie Sarfati