logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Sur le terrain

RETOUR SUR… La mise en place du forfait-jours à France Télévisions

Sur le terrain | publié le : 26.05.2015 | Laurent Poillot

Depuis 2013, le groupe audiovisuel public a généralisé le forfait-jours pour les journalistes et pour les fonctions administratives et techniques visées dans son accord d’entreprise. Mais les salariés éligibles n’ont pas tous accepté le nouveau dispositif, mal vécu dans le contexte de fusion et de plan de départs volontaires.

Paris, le 28 mai 2013. Au terme de 50 mois de négociations, la direction et les quatre syndicats représentatifs de France Télévisions (CFDT, CGT, FO et le Syndicat national des journalistes-SNJ) signent un accord collectif d’entreprise qui définit, en 300 pages, le statut social de l’entreprise unique. Ce sont ainsi quelque 10 000 salariés qui vont changer de convention collective, sur fond de fusion des rédactions nationales de France 2 et France 3, et de plan de départs volontaires.

L’accord qui crée cette nouvelle convention comprend trois volets : des dispositions communes à tout le personnel – sur la représentativité syndicale, la politique d’embauche, la formation… – et deux autres “livres”, l’un visant les journalistes, l’autre les personnels techniques et administratifs (PTA), qui abordent le temps de travail, dont l’application du forfait-jours, qui fait donc l’objet de tensions.

S’agissant des 26 000 journalistes, le forfait-jours a été justifié par l’article 29 de leur convention collective, qui indique que « les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail ». Tous ont été éligibles au forfait-jours, proposé sur la base du volontariat. Un “relevé de conclusions” sur la déontologie, les fonctions et filières des journalistes signé par la CFDT et le SNJ, devait, par ailleurs, sécuriser sa mise en application : par un entretien individuel pour sa mise en place, par la possibilité de changer d’avis et par une évaluation de la charge de travail de chaque salarié concerné.

Augmentations pour les non-journalistes

L’autre population éligible est celle des cadres des PTA : responsables de programmation, organisateurs d’activités, responsables de contrôle de gestion… Soit 1 600 personnes au siège (quatre sites) et dans les directions des pôles régionaux. Pour tous les personnels concernés, la direction propose une augmentation immédiate de 2 %, complétée par une seconde augmentation de 2 % deux ans plus tard.

Le projet sera présenté au CCE et aux 37 CHSCT de l’entreprise unique. Le déploiement s’étale sur toute l’année 2014. Au siège, il a fallu attendre janvier 2015 pour le voir mettre en place. La tenue des élections professionnelles, et l’hostilité des organisations syndicales vis-à-vis du plan de départs volontaires (340 départs) aussi ont retardé le processus.

Mais, dès les premiers mois, les organisations syndicales font état de difficultés managériales. « On a vu que, dans certains services, la direction avait abusé du forfait-jours pour augmenter la productivité des salariés, retient Patrice Christophe, délégué syndical central CFDT. Pour les journalistes restés au décompte horaire, la direction a imposé les temps de pause et refusé de valider leurs dépassements d’horaire. » Au début 2015, ce syndicat revendiquera d’être le seul à avoir retiré sa signature de l’accord.

L’hostilité au forfait varie selon les rédactions. « France 2 avait l’habitude de le proposer aux journalistes, mais pas France 3, où l’on recourait au décompte horaire, souligne Éric Vial, délégué central FO. Beaucoup craignaient une dérive. Quand on leur a dit : “Vous êtes à 40 heures hebdomadaires sur quatre jours, mais demain vous serez au forfait”, certains ont compris qu’il n’y aurait plus de limites. »

À France 3 Régions, 25 % des personnels sont restés au décompte horaire. Les frictions n’ont pas manqué de se produire. Difficile de mixer des équipes de reportage constituées de salariés au forfait et d’autres au décompte horaire, rapportent des sources internes. D’autant qu’en parallèle, l’accord réorganise le rythme de travail des PTA de la rédaction nationale de France 3. Leur direction a fait passer les équipes de 36 heures en trois jours à 40 heures sur cinq jours, et leur a attribué des temps de pause quotidiens de deux à trois heures, entre deux vacations.

La DRH, Murielle Charles, rappelle que, depuis la mi-2014, un système d’auto-contrôle du temps de travail permet aux salariés au forfait de déclarer leurs dépassements exceptionnels. Et elle affirme que « la commission de suivi de l’accord s’est réunie quasiment une fois par mois (contre deux réunions par an prévues par l’accord) pour accompagner les modifications », c’est-à-dire les difficultés managériales ou informatiques relevées dans les services. Fin avril, les salariés ont levé les préavis de grève quotidiennement annoncés dans les rédactions depuis le 29 janvier, pour contester les temps de pause imposés. De nouvelles négociations sont déjà prévues pour traiter les situations les plus éruptives.

L’application de l’accord en chiffres

Parmi les 1 700 salariés éligibles de France 3 Régions, 74 % ont signé leur avenant forfait-jours (73 % de journalistes et 83 % des cadres PTA). Tandis qu’aux rédactions nationales, 98 % des salariés éligibles de France 2 ont signé leur avenant au contrat de travail, contre 61 % de ceux de la rédaction nationale de France 3.

Depuis la mise en place de l’accord, le groupe a réduit les embauches pour la production d’émissions, mais augmenté fortement les équipes administratives chargées de superviser l’organisation du temps de travail : elles ont doublé, selon les syndicats.

Auteur

  • Laurent Poillot