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L’enquête

DIALOGUE SOCIAL : L’instance UNIQUE, C’EST POUR BIENTÔT

L’enquête | publié le : 19.05.2015 | EMMANUEL FRANCK

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LE NOMBRE D’ÉLUS BAISSERAIT DANS LES ENTREPRISES DE 200 À 299 SALARIÉS…

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Le projet de loi sur le dialogue social prévoit la possibilité de regrouper les institutions représentatives du personnel (IRP). Les professionnels des RH attendent cette simplification avec impatience. Les représentants du personnel craignent une baisse des moyens des IRP et du nombre de candidats aux élections. D’ici à l’adoption de la loi, le débat va se focaliser sur le nombre d’élus et sur leurs heures de délégation.

Un vœu ancien des DRH est en passe de se réaliser : le projet de loi sur le dialogue social ouvre grand la porte au regroupement des institutions représentatives du personnel (IRP). Si le texte, qui passe à l’Assemblée nationale entre le 26 et le 29 mai pour une adoption définitive prévue mi-juillet, est voté en l’état, les directions des PME de moins de 300 salariés pourront décider, comme le peuvent déjà celles de moins de 200 salariés, de réunir leurs délégués du personnel (DP), leur comité d’entreprise (CE) et leur comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) dans une délégation unique du personnel (DUP): 3 000 nouvelles entreprises seraient alors éligibles. Celles employant 300 salariés et plus pourront, elles aussi, regrouper leurs IRP, à condition de conclure un accord majoritaire (50 %) avec leurs syndicats (lire l’encadré p. 21).

L’Association nationale des DRH (ANDRH) s’est immédiatement félicitée de ces mesures « visant à la simplification et à la rationalisation [du dialogue social] » (lire p. 21 ce que prévoit le projet de loi). Avec d’autres organisations professionnelles, cela faisait longtemps que l’ANDRH réclamait une telle réforme (lire l’interview p. 25).

UN PROJET DE LOI ÉQUILIBRÉ

Les autres “grandes voix” des RH sont également satisfaites du projet de loi. « Ce texte ne va pas, par magie, rendre le dialogue social performant et efficace si les acteurs dans les entreprises ne le souhaitent pas et ne changent pas de posture. En revanche, il contient des mesures qui vont simplifier la vie des DRH », déclarait, dans nos colonnes, Michèle Rescourio-Gilabert, de l’association Entreprise & Personnel (lire Entreprise & Carrières n° 1237). L’association d’avocats d’entreprise en droit social Avosial se félicite également des « avancées » de la loi que représentent certaines mesures de simplification. Stéphane Béal, qui dirige le département droit social du cabinet d’avocats Fidal, par ailleurs président de la commission juridique de l’ANDRH, estime aussi que le projet de loi est « équilibré » entre les attentes syndicales et patronales, et que l’instance commune va dans le sens d’une « simplification ».

« On est loin du projet patronal d’il y a six mois dont le fil rouge était “stop aux IRP qui tuent l’emploi” », se réjouit, de son côté, Alexia Alart-Mantione, juriste dans le cabinet d’expertise-comptable Exco Loire (réseau Exco).

Philippe Pataux, avocat associé au cabinet Barthélémy, estime que le projet de loi est « assez osé »: « Je ne m’attendais pas à ce que le CHSCT intègre la DUP, et je pense que les syndicats n’y sont pas prêts. Je crois d’ailleurs que ce regroupement n’est pas une bonne chose, car le CHSCT est une instance qui travaille avec l’employeur à l’amélioration des choses, tandis que le CE est plus politique ; le rapprochement des deux risques de politiser le CHSCT. Cette disposition sera-t-elle maintenue ? Je n’en suis pas certain ». De fait, la CFDT demande que la création de la DUP chez les moins de 300 salariés se fasse par accord d’entreprise et non par décision unilatérale de l’employeur.

La seule note vraiment dissonante vient du très libéral président du Cercle des DRH : « Si la loi se contente d’élever le seuil d’éligibilité à la DUP, c’est une loi asthmatique qui manque d’ambition, estime Sylvain Niel, par ailleurs directeur associé chez Fidal. Il faut une instance unique incluant le CHSCT quelle que soit la taille de l’entreprise, quitte à passer par un accord d’entreprise. »

“AMÉLIORATION” MARGINALE

La DUP va-t-elle “prendre” dans les PME employant 200 à 299 salariés ? Le gouvernement en est persuadé, arguant que 60 % des entreprises de 50 et 199 salariés sont déjà en DUP, et qu’il n’y a pas de raison que les 200 à 299 ne suivent pas le même chemin. Il estime même que « la réforme de la DUP devrait contribuer à l’amélioration de la présence d’élus et de représentants syndicaux dans les PME ». Mais cette “amélioration” serait marginale : la nouvelle DUP viendrait se substituer aux IRP existantes, puisque 94 %(1) des grosses PME en possèdent déjà au moins une. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 1993 lors de la création de la délégation unique de personnel. « La DUP ne permet pas principalement de créer de nouvelles IRP mais vient le plus souvent se substituer aux formes antérieures », relevait l’étude d’évaluation de la loi d’alors(2).

AFFAIBLISSEMENT DU CHSCT

Par ailleurs, l’intérêt des représentants du personnel à regrouper les trois IRP dans la nouvelle DUP n’est pas évident. Les confédérations syndicales voient surtout que le nombre de mandats et leurs moyens vont baisser et que le CHSCT en sortira affaiblit. Les élus de terrain craignent, quant à eux, de ne plus réussir à recruter des salariés pour prendre un mandat (lire p. 23 à 25). Ils soulignent que la charge qui pèse sur les élus est lourde, qu’il est déjà difficile de susciter des vocations chez les salariés et qu’il le sera encore plus si les élus cumulent trois casquettes, a fortiori s’ils sont moins nombreux.

Les directions leur rétorquent que la baisse du nombre d’élus ne fera qu’entériner le manque de mobilisation des salariés pour leurs IRP (lire notamment le point de vue d’Aurélie Lainé, d’Etam, p. 23). Et, comme beaucoup de PME voient en fait dans les réunions des IRP une ponction sur leurs ressources humaines, elles attendent du projet de loi qu’il baisse réellement le nombre d’élus.

Ce que ne disent ni les syndicats ni les organisations patronales – contrairement à Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH –, c’est qu’avec la délégation unique, les élus ne pourront plus cumuler les mandats dans plusieurs instances, comme ils le font actuellement, et qu’il va donc falloir trouver davantage de candidats qu’aujourd’hui. C’est un paradoxe de ce projet de loi.

HEURES DE DÉLÉGATION

La marge de manœuvre du gouvernement, pris dans ces injonctions contradictoires, est étroite et se trouve du côté des heures de délégation. C’est pourquoi il prend un soin extrême à ne surtout pas les réduire dans sa future DUP (lire l’encadré p. 22). Il est même vraisemblable que, dans le futur décret fixant ces heures de délégation, celles-ci soient revues à la hausse. La simplification a un prix. E. F.

(1) Dares Analyses n° 026, avril 2013.

(2) La délégation unique du personnel, une chance pour notre système de représentation ?, Jean-François Amadieu, Nicole Mercier, Revue Travail et emploi n° 73, avril 1997.

REGROUPEMENT DES IRP : CE QUE PRÉVOIT LE PROJET DE LOI

ENTREPRISES DE MOINS DE 300 SALARIÉS

– Extension de la possibilité de créer une DUP pour les entreprises employant entre 200 et 299 salariés. La décision de créer une DUP reste du seul ressort de l’employeur.

– Élargissement de la DUP au CHSCT.

– Dans les entreprises multiétablissements, la DUP est mise en place dans chacun des établissements.

– La DUP se réunit au moins une fois tous les deux mois (une fois par mois actuellement) ; les sujets du CHSCT sont abordés quatre fois par an (comme actuellement).

– Le secrétaire de la DUP exerce les fonctions de secrétaire du CE et du CHSCT.

– Ordre du jour commun.

– Avis unique sur les questions relevant à la fois du CHSCT et du CE ; l’avis est rendu dans les délais applicables au CE.

– Expertise commune sur les questions relevant à la fois du CHSCT et du CE.

– Mutualisation des heures de délégations entre membres de la DUP.

– Le nombre d’élus à la DUP et leurs heures de délégation seront fixés par décrets. L’étude d’impact du projet de loi donne toutefois des indications précises (voir les tableaux p. 22).

ENTREPRISES DE 300 SALARIÉS ET PLUS

– Regroupement possible des IRP (DP, CE, CHSCT) par accord majoritaire (50 %).

– L’instance unique peut aller en justice et gérer un patrimoine (si elle intègre le CE).

– Le nombre d’élus, de même que le nombre d’heures de délégation dont ils bénéficient, sont fixés par accord majoritaire avec un seuil décidé par un décret en Conseil d’État.

– Les modalités de fonctionnement de l’instance (nombre minimal de réunions, ordre du jour, rôles respectifs des titulaires et des suppléants) sont fixées par accord majoritaire.

PLUS DE 300 SALARIÉS
Le regroupement négocié des IRP sera compliqué et coûteuxc

Le projet de loi sur le dialogue social prévoit la possibilité, par accord majoritaire, de regrouper les IRP des entreprises employant au moins 300 salariés. L’accord déciderait de la configuration de la nouvelle instance (DP + CE + CHSCT ou seulement deux IRP), du nombre des élus et de leurs heures de délégation et des modalités de fonctionnement des instances.

« Je ne vois pas l’intérêt des syndicats à négocier », déclare Alexia Alart-Mantione, juriste dans le cabinet d’expertise-comptable Exco Loire. « Cette disposition ne sera pas un succès, mais il fallait que cette possibilité soit proposée », estime Stéphane Béal, du cabinet d’avocats Fidal. Dans l’hypothèse d’un regroupement, il pointe le risque d’un « trop grand nombre d’élus en réunion, qui se transformerait en assemblée générale ». Il souhaite que la loi permette de négocier un nombre d’élus inférieur à ce qu’il est actuellement. Philippe Pataux, avocat associé chez Barthélémy, est moins pessimiste : « Je conseillerai à mes clients, dans les entreprises de taille intermédiaire, de tenter la négociation. Ce n’est pas parce qu’on est nombreux dans les IRP qu’elles sont plus efficaces. Mais, pour que les syndicats négocient, il faudra que les directions leur donnent davantage de moyens. L’efficacité des IRP aura une contrepartie : la sécurisation des élus. » Voilà qui devrait relancer la négociation d’accords de droit syndical.

MOINS DE 300 SALARIÉS
Un risque de professionnalisation des élus

En comparant le nombre d’élus actuel dans les DUP et leurs heures de délégation avec la situation issue du projet de loi, trois évolutions apparaissent.

Primo : une légère progression (+ 1) du nombre d’élus dans les entreprises de 50 à 199 salariés en même temps qu’une baisse importante (- 4) dans celles de 200 à 299 salariés.

Secundo : le volume global d’heures de délégation se maintient ou progresse dans les 50 à 199 salariés (sauf dans celles de 100 à 124), et il se maintient dans celles de 200 à 299 salariés.

Pour “vendre” sa nouvelle DUP aux directions d’entreprises, notamment aux 3 000 nouvellement éligibles, le gouvernement “rogne” donc sur le nombre d’élus. Mais, pour que la loi ne soit pas taxée de régressive par les syndicats, il maintient le nombre d’heures de délégation. Celles-ci se concentreraient donc sur un nombre plus réduit d’élus qui, par ailleurs, pourront mutualiser leurs heures. Cette dernière disposition porte en germe une professionnalisation des élus, n’était-ce que le cumul d’heures est plafonné.

De l’intégration du CHSCT dans la DUP, il résulte une troisième évolution : l’augmentation du nombre d’heures de délégation dévolue à la fonction hygiène-sécurité : 2 à 5 heures dans le CHSCT actuel contre 13 à 19 heures – réparties entre trois IRP – dans la future DUP. Arithmétiquement, l’hygiène-sécurité sortirait renforcée de la réforme. E. F.

LE NOMBRE D’ÉLUS BAISSERAIT DANS LES ENTREPRISES DE 200 À 299 SALARIÉS…… MAIS LE NOMBRE D’HEURES DE DÉLÉGATION SERAIT MAINTENU

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK