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L’interview

CÉCILE DEJOUX : « L’INDIVIDU EST LA PIÈCE MAÎTRESSE DU JEU DE L’APPRENTISSAGE EN ENTREPRISE »

L’interview | publié le : 12.05.2015 | Pauline Rabilloux

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CÉCILE DEJOUX : « L’INDIVIDU EST LA PIÈCE MAÎTRESSE DU JEU DE L’APPRENTISSAGE EN ENTREPRISE »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Les outils numériques qui permettent de proposer des cours de masse en ligne et la nouvelle législation sur la formation individuelle changent la place et les modalités de la formation au sein des entreprises. Les ressources humaines ont un rôle à jouer dans cette évolution.

E & C : Pourquoi est-il devenu nécessaire de changer le système de formation de l’entreprise ?

Cécile Dejoux : Plusieurs raisons obligent à revoir aujourd’hui le système de formation de l’entreprise. La loi du 6 mars 2014 relative à la formation professionnelle, entrée en vigueur en janvier de cette année, change la donne pour les salariés comme pour les entreprises en introduisant un compte personnel de formation (CPF) attaché à l’individu tout au long de sa carrière professionnelle. Là où son droit à la formation individuelle était tributaire de son ancienneté dans l’entreprise, il est maintenant transférable d’une entreprise à l’autre, et le bénéfice “formation” peut être mis à profit pendant une période de chômage, même si celle-ci ne permet pas d’abonder le compte. Les individus ont donc à la fois les moyens et intérêt à utiliser le CPF dans une stratégie de formation à long terme, qui excède le temps passé dans une entreprise particulière.

Par ailleurs, la généralisation du digital dans l’entreprise et dans la société fait également pencher la responsabilité de l’employabilité du côté du salarié. Là où, il y a seulement quelques années encore, l’entreprise formait des collaborateurs triés sur le volet à l’acquisition de compétences ciblées en fonction de référentiels précis, il appartient aujourd’hui au salarié de saisir les opportunités de formation interne ou externe pour parfaire sa culture, dont sa culture digitale. Si l’entreprise garde sa responsabilité quant au maintien de l’employabilité du salarié sur ce plan, c’est davantage pour favoriser le travail collaboratif de tous les acteurs en son sein que pour sélectionner et préparer tel ou tel à occuper des fonctions spécifiques. Le digital est devenu un domaine stratégique en ce qu’il concerne tous les salariés. C’est non seulement une manière de travailler à valeur potentiellement universelle mais aussi un apprentissage qui sert de socle à la capacité collective de l’organisation à évoluer et à innover.

Enfin, des outils de formation en ligne apparaissent à la suite des Massive open online courses (Mooc), les Corporate open online course (Cooc), qui changent à la fois l’espace-temps des formations, le coût, les cibles et, plus généralement, le rapport des individus et des entreprises à l’apprentissage. À charge évidemment pour l’entreprise de maintenir l’intérêt de ces formations et de les déléguer à des formateurs compétents sur ce type de communication en ligne.

Que faut-il entendre sous le terme “écosystème d’apprentissage” ?

La paternité du terme “écosystème d’apprentissage” revient à Quentin Deslandres, de l’Anvie(1), qui a adjoint cette formule au titre des journées d’échange organisées par cet organisme sur le thème “former et apprendre à l’ère numérique”. Ce terme est particulièrement pertinent car, en effet, l’entreprise peut être considérée comme un “écosystème d’apprentissage” à plusieurs titres. D’une part, parce qu’elle forme un système : elle réunit des acteurs différents – opérationnels, managers, professionnels des fonctions support, experts… – autour d’un projet qui fait sens collectivement et dont le résultat concerne chacun en raison même de son appartenance au tout de l’entreprise. D’autre part, parce que l’apprentissage est aujourd’hui, parmi d’autres, l’une des forces cohésives de ce système, elle-même susceptible de générer des situations d’apprentissage complémentaires : job training et, plus simplement, situations de management, rencontres informelles, communautés de pratiques et d’échange, etc. On a donc la double idée présente dans le concept d’écosystème, celle de milieu, d’ensemble complexe mais relativement cohérent, et celle de développement, d’évolution dynamique à partir de ce qui se présente non comme la somme de phénomènes individuels mais comme phénomène social.

Concrètement, qu’est-ce que cela change ?

Au-delà des évolutions législatives et techniques, c’est peut-être le sens même du mot formation qui a changé au sein de l’entreprise. En effet, former dans les organisations ne signifie pas tant proposer des contenus qu’accompagner et valoriser les projets professionnels des collaborateurs, pour autant qu’ils sont en phase avec ceux de l’entreprise. Il ne s’agit pas de formater mais de faire émerger et de développer pour l’individu comme pour l’entreprise un potentiel de création de valeur qui servira aussi bien la carrière de l’intéressé que la capacité de l’entreprise à innover et à être performante dans un marché de plus en plus concurrentiel.

Quelles sont les conséquences de ces changements pour les ressources humaines ?

Les ressources humaines sont situées au cœur de la transformation numérique des entreprises. Elles ont un rôle majeur à jouer. Elles doivent, d’une part, se transformer elles-mêmes pour acquérir les compétences nouvelles requises par les évolutions technologiques numériques. Concernant la formation, il leur appartient d’apprendre à former les salariés au travail collaboratif avec les clients, voire avec les concurrents, sans pour autant mettre en péril les données stratégiques de l’activité. De même, l’évaluation doit cesser d’être annuelle pour devenir un processus continu de reconnaissance et d’accompagnement du collaborateur dans ses efforts, la réalisation ou la révision de ses objectifs. D’autre part, il appartient aux RH d’accompagner la transformation des métiers de l’entreprise, notamment en contribuant à promouvoir la culture digitale mais aussi en passant d’une logique de gestion des compétences à une logique de développement des talents, qui prenne acte du fait que l’individu est aujourd’hui la pièce maîtresse du jeu de l’apprentissage. Non pas objet des dispositifs qui s’imposeraient à lui en fonction des besoins de l’entreprise définis indépendamment de lui, mais acteur de son destin professionnel en collaboration avec le projet de développement de l’organisation qui l’emploie.

(1)Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises.

CÉCILE DEJOUX ENSEIGNANTE AU CNAM

Parcours

→ Cécile Dejoux est maître de conférences en gestion au Cnam. Responsable opérationnelle du master RH, elle a créé et animé en 2014 le Mooc le plus populaire de France, intitulé “Du manager au leader”, puis, en 2015 « Du manager au leader 2.0 ». Les deux sessions ont été suivies par plus de 63 000 personnes.

→ Elle enseigne également à l’ESCP et à l’ÉNA.

→ Elle a publié plusieurs livres et articles sur le sujet du management et des compétences. Elle animera entre mai et juin 2015 un groupe de travail à l’Anvie consacré à la formation et l’animation en entreprise à l’heure digitale.

Lectures

→ La nouvelle société du coût marginal zéro, Jeremy Rifkin, Les Liens Qui Libèrent, 2014.

→ Pour un humanisme numérique, Milad Doueihi, Seuil, 2011.

Auteur

  • Pauline Rabilloux

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