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L’enquête

CARRIÈRES : DRH, avez-vous LE BON PROFIL ?

L’enquête | publié le : 12.05.2015 | NICOLAS LAGRANGE

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CARRIÈRES : DRH, avez-vous LE BON PROFIL ?

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Des opérationnels de plus en plus nommés patrons des RH, une fonction ressources humaines peu préparée aux mutations… les défis s’accumulent pour les DRH dans un contexte d’internationalisation croissante. Avec deux priorités qui s’imposent : mieux comprendre les enjeux du business – sans jouer les supplétifs – et s’ouvrir davantage aux problématiques sociétales. Revue de détail des profils de DRH qui compteront demain.

Le nouveau profil idéal pour la direction des ressources humaines serait-il celui d’un opérationnel sans passé RH, issu de l’interne et ayant une solide expérience internationale à son actif ? Provocatrice en apparence, l’idée n’a rien de saugrenu, si l’on se réfère à l’enquête de François Eyssette sur les origines, la sociologie et la formation des DRH du CAC 40(1). L’auteur révèle que plus de la moitié des nominations intervenues en 2011, 2012 et 2013 l’ont été au profit d’opérationnels, majoritairement déjà présents dans l’entreprise (lire l’entretien p. 23).

« Il s’agit d’une tendance lourde pour des “passages RH” de trois à cinq ans, qui ne se limite pas aux seuls DRH groupe, assure Sandra Enlart, directrice générale d’Entreprise & Personnel. Les dirigeants partent du présupposé que les opérationnels ayant réussi dans le business sont les mieux placés pour devenir DRH. Or le professionnel RH apporte un contre-regard et intègre la dimension humaine, sans laquelle le business ne peut réussir. » Cette montée en puissance des opérationnels « répond pour partie à la primauté du court-terme, analyse Frank Bournois, directeur général d’ESCP Europe. Les dirigeants choisissent des managers capables de prendre des décisions rapides, avec une prise en compte des incidences financières. Mais attention au risque de clonage et de perte d’expertise dans les équipes, car, si l’opérationnel a des pratiques de gestion plus larges et davantage connectées aux autres fonctions, le praticien RH a une connaissance plus spécialisée des dossiers ».

DÉPASSER LE RÔLE DE "BUSINESS PARTNER"

Si quelques DRH ressentent cette arrivée massive des opérationnels comme une « consécration business », la plupart affichent leur inquiétude. « Les praticiens RH n’ont pas réussi à démontrer qu’ils étaient indispensables, esti me Hervé Borensztejn, directeur associé du cabinet Karistem et ancien DRH. Le DRH se contente d’être consultant interne d’un opérationnel, au risque de perdre ses domaines régaliens. Or il est porteur d’une expertise complexe. Ainsi, par une analyse sociale, culturelle, fiscale, politique, il préconise un pays plutôt qu’un autre pour le développement inter national ; il pilote le développement des compétences “quanti” et “quali” ; il sait arbitrer entre court et long termes, un privilège partagé avec le DG. »

En dépassant le rôle de “business partner” (lire l’interview p. 24), cette posture implique une meilleure connaissance des enjeux du business et des risques : « Il faut renforcer la culture économique des DRH, souvent insuffisante, dès les formations initiales », assure Philippe Canonne, animateur de la commission Fonction RH et prospective de l’ANDRH. Des formations qui ont déjà sensiblement évolué ces dernières années (lire p. 25). « Un DRH doit intervenir sur la stratégie, la politique commerciale, industrielle, les investissements, comme tout membre de la direction générale », plaide Jean-Luc Vergne, ex-DRH de grands groupes industriels et financiers(2). Certains DRH choisissent de s’outiller davantage en allant sur le terrain des data analytics et des modèles prédictifs, qui peuvent contribuer à se situer plus en amont de la stratégie. Car, si 8 DRH sur 10 sont désormais membres des comex ou codir(3), seule une minorité d’entre eux semble pouvoir influencer la stratégie. Selon une étude internationale de DDI publiée en septembre 2014 auprès de 13 000 managers, les DRH sont perçus comme « anticipateurs » par 18 % de l’échantillon seulement (22 % les qualifiant de « suiveurs » et 60 % de business partners).

« Il y a un décalage entre l’ampleur des mutations et la réaction de la profession RH, globalement satisfaite de sa situation, souligne Philippe Canonne. Pourtant, même remises au goût du jour, les compétences RH traditionnelles ne suffiront pas à appréhender les changements ; il est donc nécessaire de changer de logiciel. » Et l’ANDRH d’appeler à prendre à bras-le-corps les problématiques du rapport au travail, de la digitalisation, des rapports intergénérationnels ou de la RSE, en inventant de nouvelles modalités d’interaction, « car les changements se feront de toute façon, avec ou sans les DRH », assure Philippe Canonne. « L’entreprise n’est pas une forteresse, abonde Sandra Enlart. Le DRH doit s’intéresser aux territoires, aux liens à tisser avec toutes les parties prenantes en externe. Il doit favoriser l’engagement des collaborateurs et a la responsabilité, au-delà de ses missions traditionnelles, de mettre en place de nouveaux modes d’apprentissage. C’est sa valeur ajoutée, qui lui permet de développer l’attractivité de l’entreprise et d’avoir les bonnes ressources. »

OUVERT À L’INTERNATIONAL

À côté des nouvelles thématiques à explorer, le métier de DRH implique de plus en plus une ouverture à l’international et un certain nombre de postures, quelles que soient les attentes des dirigeants à leur égard (lire p. 24). « Trop de praticiens l’oublient, il faut d’abord se préoccuper des hom mes, insiste Jean-Luc Vergne. Il faut être loyal en public envers le patron, tout en sachant parfois lui dire « non » dans son bureau ; refuser d’être un porteur de valises uniquement préoccupé par la gestion des hauts potentiels ; pouvoir délivrer une vision et donner du sens au travail. Ce qui suppose d’aller souvent sur le terrain et de connaître précisément les métiers pour être légitime. »

À quoi ressemblera le DRH du futur ? Difficile à dire, mais « il devrait avoir un rôle d’ensem blier de fonctions gravitant autour de lui, avec la main sur l’organisation et la gouvernance », espère Philippe Canonne. « Dans un tel contexte de mutations, la fonction RH a un boulevard devant elle, juge Hervé Borensztejn. Dans sa dimension moderne, elle est une des meilleures façons de préparer les dirigeants de demain. » Une assertion que ne renieraient pas Nonce Paolini, Jean-Paul Bailly ou Jean-Marie Simon, ex-DRH devenus DG ou Pdg de leurs groupes… même si ces parcours restent rares. N. L.

(1) Comment la DRH fait sa révolution, François Eyssette et Charles-Henri Besseyre des Horts. Eyrolles, 2014.

(2) Itinéraire d’un DRH gâté. Eyrolles, septembre 2013.

(3) Enquête Inergie-ANDRH-Liaisons sociales magazine (avril 2015).

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE