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GESTION DES CARRIÈRES : QUELLE PROMOTION pour les NON-CADRES ?

L’enquête | publié le : 28.04.2015 | Elodie Sarfati

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GESTION DES CARRIÈRES : QUELLE PROMOTION pour les NON-CADRES ?

Crédit photo Elodie Sarfati

Si la mobilité interne est souvent une affaire de cadres, certaines entreprises veillent toujours à faire fonctionner l’ascenseur social par différents mécanismes de détection des potentiels et d’accompagnement de la promotion. Des people reviews aux parcours de formation, elles déploient tout une panoplie d’outils pour organiser la gestion de carrière des non-cadres.

Aux aspirants caissiers, Lidl promet, dès son site emploi, des « perspectives d’évolution » vers un poste d’adjoint manager ou de responsable de magasin ; de son côté, Gifi affiche en ligne son attention portée à la promotion interne, « vivement pratiquée et encouragée »… Mis en valeur par les recruteurs, l’ascenseur social fait-il encore recette ? « En termes d’attractivité, la promesse d’opportunités de carrière est un élément différenciant et les parcours ascensionnels, un moyen de valoriser et de fidéliser les employés », assure Chloé Guillot-Soulez, maître de conférence à l’IAE de Lyon 3. Une conviction partagée par Thierry Boukhari, entré en 2003 chez Gifi en tant que stagiaire, et désormais directeur délégué du groupe après en avoir été le DRH : « La culture de l’ascenseur social est dans l’ADN de l’entreprise et martelée régulièrement par le Pdg aux managers ; 50 % de nos mobilités sont des promotions, dont 60 % concernent des employés et des TAM. Et nous nous améliorons : 45 % des postes en centrale d’achats et 60 % dans les magasins ont été pourvus par la promotion interne en 2014, contre 35 % et 45 % en 2013. »

Un ratio que Gifi a atteint en actionnant plusieurs leviers : généralisation des entretiens de développement, outil de gestion des compétences, people review… « Pour lever les freins qui pourraient venir de la hiérarchie, nous avons également diffusé deux questionnaires à l’ensemble des salariés afin qu’ils fassent part de leurs souhaits d’évolution, complète Thierry Boukhari. Et mis en place une opération appelée “je crois en lui, je crois en elle”, qui permet aux managers de coopter des salariés d’autres équipes. »

SYSTÈMES DE PROMOTION INTERNE

Pour détecter et accompagner les salariés non cadres destinés à gravir les échelons, les entreprises déploient des dispositifs RH plus ou moins sophistiqués. Nature & Découvertes organise par exemple chaque année des journées “Co & Reco” à destination des vendeurs (“guides-conseils”) repérés par leur direction locale pour leur capacité et leur volonté à occuper un poste de responsable service clients : « réunis au siège, ils passent des tests de personnalité et des entretiens avec les RH et les directeurs régionaux afin de valider leur promotion, détaille Anne Deneux, la DRH. Tous les postes de responsable service clients, de statut agent de maîtrise, sont pourvus par la promotion interne ». Depuis l’an dernier, Nature & Découvertes a prolongé la démarche en organisant des sessions équivalentes pour accéder aux postes de directeur adjoint, puis de directeur de magasin.

Au sein de l’activité Eau France de Suez Environnement, un “accélérateur de carrière” existe depuis 2008 pour les opérateurs évoluant vers des postes d’encadrants. Formations en présentiel et en e-learning, immersion, tutorat et parrainage balisent le parcours, qui dure neuf mois. Chez Renault, une centaine de TAM passent chaque année par l’une des deux filières menant vers le statut cadre, détaillées dans un accord renégocié en 2011 : l’une s’adresse aux moins de 35 ans et vise à leur faire obtenir en alternance un diplôme bac +  5 ; l’autre est axée sur la valorisation des acquis et s’appuie sur une formation de 12 jours montée avec l’EM Grenoble. Au préalable, tous ont été mis en situation pendant environ un an « afin de tester leur capacité à occuper un poste de niveau supérieur », complète Caroline Markowitz, en charge de la gestion des talents à la DRH France pour le groupe automobile.

Dans leur version la plus élaborée, ces parcours de “cadration” demandent donc un important investissement. Mais c’est un gage de qualité, poursuit Caroline Markowitz : « Avant de les faire évoluer au sein de la population des cadres, nous devons être sûrs qu’ils pourront développer les compétences techniques et managériales requises, et qu’ils ne seront pas lésés en termes d’évaluation. Depuis que nous avons revu le parcours en 2011, nous avons pu nous rendre compte que les cadres issus de la filière diplômante ont la même évolution de carrière que leurs homologues diplômés recrutés directement à ce niveau. »

DÉTECTION DES POTENTIELS

Chez le constructeur, il n’y a pas d’autres voies que celles prévues par cet accord pour accéder au statut cadre si l’on n’a pas le niveau bac + 5. À Suez Environnement, en revanche, l’accélérateur de carrière, dont le coût tourne autour de 10 000 euros par personne, est une voie parmi d’autres pour évoluer vers le management. Le DRH, Laurent-Guillaume Guerra, juge néanmoins le dispositif utile : « Il permet aux populations concernées d’avoir une visibilité sur les parcours de carrière possibles et à l’entreprise de nommer sur les postes d’encadrant des personnes formées à nos enjeux et à nos pratiques managériales. »

Avec, « en toile de fond, les enjeux liés à la QVT et aux attentes des nouvelles générations », Alain Fusiller, dirigeant du cabinet Axone, recommande aux entreprises de faire des politiques de promotion « un axe de réflexion permanent, en formant les managers à la détection des potentiels, ou en organisant des people reviews pour toutes les catégories, y compris sur les fonctions support, que l’on a tendance à laisser de côté ».

Ne pas fonctionner en vase clos

De fait, ces politiques sont souvent déployées en direction du cœur de métier. À Nature & Découvertes, les programmes du type “Co & Reco” n’existent que dans les magasins, reconnaît Anne Deneux : « Mais, dans les entrepôts, il y a beaucoup moins d’opportunités pour les employés, car les encadrants restent bien plus longtemps en poste. » La question des postes disponibles s’est également posée à Suez Environnement, qui a dû ajuster son dispositif. « Nous veillons à ce qu’il y en ait un pour chaque personne dès la fin du parcours, quitte à laisser un poste vacant quelque temps, insiste Laurent-Guillaume Guerra. Car il est essentiel que les apports de la formation au management puissent être mis tout de suite en œuvre pour être efficaces. Cela nous a donc conduits, après quelques années, à réduire la taille des promotions – actuellement 35 personnes tous les deux ans. » Le curseur est sensible à régler : chez Gifi, Thierry Boukhari ne souhaite pas aller plus loin dans la part des promotions par rapport aux recrutements externes, « pour ne pas fonctionner en vase clos, même si nous sommes conscients que notre promesse peut créer des frustrations ».

Mais pour Martine Le Boulaire, directrice du développement d’Entreprise & Personnel, les politiques de promotion et de passage au statut cadre se heurtent à des écueils plus structurels : « La faiblesse des créations de postes limite les appels d’air, les départs à la retraite sont moins nombreux que prévu, et moins souvent remplacés. »

Et, même si les entreprises sont « de mieux en mieux outillées », selon Alain Fusiller, toutes ne prêtent pas la même attention au développement de carrière de leurs non-cadres. « Ils sont souvent plus nombreux et leurs compétences sont parfois très spécialisées, ce qui rend leur mobilité plus difficile à organiser, avance Chloé Guillot-Soulez. Du coup, beaucoup d’entreprises se focalisent sur la carrière des cadres. »

Chez HP, où 90 % des salariés sont cadres, les syndicats ont demandé à ce que l’accord GPEC, signé en 2014, prenne spécifiquement en compte la mobilité des non-cadres, raconte Françoise Montfollet, déléguée syndicale CFTC. Le texte prévoit qu’ils bénéficient d’un “bilan diagnostic” une fois par an, pouvant déboucher sur un “plan de carrière et de formation” ou sur un “objectif de passage cadre”. « Nous vivons au rythme d’un PSE tous les trois ans. Or ce sont les postes de non-cadres qui disparaissent en premier, explique la syndicaliste. Pour rester dans l’entreprise, ceux qui le souhaitent doivent pouvoir être accompagnés vers des postes de cadres. L’inscrire dans l’accord est une façon d’appuyer leur demande, surtout auprès des responsables business, qui n’ont pas forcément envie d’investir dans leur formation. »

Françoise Montfollet se doute bien que les cas seront peu nombreux, eu égard au faible volume des effectifs concernés, mais aussi parce que « devenir cadre, c’est aussi beaucoup d’heures de travail, des horaires décalés pour travailler avec les autres continents, et la nécessité d’apprendre l’anglais. Pour certains, c’est une montagne qu’ils ne veulent pas gravir ». La désaffection des non-cadres pour le statut est, au-delà du cas de HP, un phénomène de moins en moins anecdotique. C’est d’ailleurs l’une des hypothèses avancées par Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec, pour expliquer la baisse du nombre de promotions au statut cadre enregistrées par l’organisme : entre 2012 et 2014, celles-ci sont passées de 48 000 à 40 000 par an, soit un recul de près de 17 %. Une tendance récente, et qui reste à confirmer, mais qu’il juge déjà « significative ».

É. S.

Auteur

  • Elodie Sarfati