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Renault Flins : LA QUALITÉ DU TRAVAIL AU CŒUR DU DIALOGUE

ZOOM | publié le : 21.04.2015 | Mélanie Mermoz

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Renault Flins : LA QUALITÉ DU TRAVAIL AU CŒUR DU DIALOGUE

Crédit photo Mélanie Mermoz

Fruit d’une expérimentation menée pendant plusieurs années avec l’équipe d’Yves Clot, du Cnam, le dispositif “Dialogue pour la qualité du travail” a mis au jour les difficultés quotidiennes des opérateurs et chefs d’unité.Des référents sont élus par leurs pairs pour remonter leurs problèmes.

En mai prochain, les salariés de deux nouveaux ateliers de l’usine de Renault à Flins (78) vont élire leurs “référents” pour une durée de six mois dans le cadre du dispositif “Dialogue pour la qualité du travail” mis en place en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il vise à recueillir la parole des opérateurs sur les difficultés qu’ils rencontrent pour effectuer un travail de qualité et traiter les problèmes soulevés le plus rapidement possible.

Tout a commencé fin 2010. À la suite de la parution du livre d’Yves Clot, Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Patrice Pelata, alors directeur général de Renault, contacte l’auteur pour réaliser une expérimentation dans l’usine des Yvelines. En avril 2012, Jean-Yves Bonnefond, psychologue du travail chargé de recherches au Cnam, arrive à l’unité élémentaire de travail (UET) dite des “Portes” (lieu d’assemblage des portes) avec sa collègue Livia Scheller. Pendant près de deux mois, ils passent trois jours par semaine à l’UET, échangent avec la soixantaine de salariés répartis en deux équipes. « Les opérateurs que je rencontrais avaient le sentiment de ne pas pouvoir faire leur travail correctement, mais ils étaient massivement résignés », raconte le chercheur. Difficulté supplémentaire pour les deux intervenants, la très grande proportion d’intérimaires dans cette UET : « Ils représentaient près de 70 % des effectifs et nous parler n’était pas simple pour eux, car ils avaient peur de perdre leur mission s’ils dénonçaient des problèmes. »

Des Performances gâchées

Après cette première phase de prise de contact, de fin mai à fin juillet 2012, le travail des opérateurs volontaires est filmé et donne lieu à des échanges entre professionnels, enregistrés eux aussi (lire l’encadré p. 7). « Les opérateurs montraient comment leur performance était gâchée, car ils devaient compenser un mauvais aménagement des postes, voire des problèmes de conception de pièces, rapporte Jean-Yves Bonnefond. Les rebus étaient nombreux, la casse aussi était fréquente, ce qui entraînait des arrêts de chaîne. Ces problèmes étaient vécus très douloureusement par les opérateurs, qui se sentaient empêchés de fournir un travail de qualité. » La vidéo n’est pas seulement utilisée pour ouvrir un espace de parole collectif sur le travail, elle sert de support de discussion lors du comité de suivi qui rassemble, en septembre 2012, la direction, les organisations syndicales et l’équipe du Cnam.

Création d’une liste unique de problèmes

À l’automne 2012, une nouvelle phase d’expérimentation commence, alors que l’usine de Flins produit en même temps trois véhicules (la Clio 4, la Clio 3 et la Zoé, une voiture électrique), chacun avec des options différentes. Le travail des opérateurs se complexifie considérablement et il n’est plus possible de les sortir de la chaîne aussi facilement. Lors du comité de suivi de juillet 2013, la dizaine d’opérateurs qui s’est le plus investie dans le processus participe néanmoins aux discussions avec la direction, les syndicats et les chercheurs afin d’envisager une pérennisation de l’expérience. « C’est l’un d’entre eux qui a proposé qu’ils soient délégués par leurs collègues », se souvient Jean-Yves Bonnefond. Belkacem Ihamouine, alors chef d’atelier en fabrication, se voit, en plus de son travail, confier la mission de construire avec l’équipe du Cnam et les opérateurs un processus de collecte et de résolution des problèmes rencontrés par les opérateurs : ceux-ci sont ensuite classés en fonction de leur priorité et de leur degré de résolution dans la liste unique de problèmes (LUP).

En janvier 2014, l’UET des Portes élit pour six mois ses deux référents. En mai suivant, c’est l’ensemble des UET de l’atelier montage qui fait de même. Onze heures par mois, les deux référents peuvent quitter leurs postes : dans chaque équipe, ils échangent avec leurs collègues, notent leurs problèmes. Chaque semaine, une réunion rassemble les deux référents avec les chefs d’unité. Les problèmes sont alors examinés. « Les trois quarts des demandes concernent l’aménagement des postes de travail », souligne Lætitia Paineau, référente de l’UET des Portes, devenue “référente des référents” lors de l’élargissement du dispositif. Les modifications demandées peuvent améliorer notablement les conditions de travail à certains postes. « Les crochets d’assistance pour transporter les berceaux de moteurs de voiture n’étaient pas adaptés, les gars étaient donc obligés de les porter eux-mêmes. Dix à quinze kilos, 327 fois dans la journée, ça pèse ! Grâce à la LUP, en un mois et demi, ils ont été modifiés », se félicite Yohan Courbot, référent élu en mai à l’UET moteurs.

Résolutions

Mais les niveaux de résolutions de problèmes varient : « Certains peuvent être pris en charge par les opérateurs eux-mêmes, d’autres sont traités par le chef qui fait appel aux fonctions supports. Cela peut même remonter jusqu’au Technocentre », détaille Belkacem Ihamouine, devenu chef adjoint du département qualité mais toujours en charge du dispositif. Tous les quinze jours, la chaîne est arrêtée vingt minutes : référents et chefs d’unité expliquent aux opérateurs comment sont traités les points soulevés, ils sont invités à donner leur avis sur les solutions proposées. La résolution très complexe de certains problèmes prend parfois du temps. À l’UET des Portes, ce n’est que cet été que sera résolu complètement le problème de pièces particulières – les coulisses de la porte automobile –soulevé régulièrement depuis… 2012. Les opérateurs sont obligés d’utiliser du savon, pour faire rentrer les coulisses. « Au début, comme cela n’était pas prévu, ils allaient eux-mêmes le prendre aux toilettes. Maintenant, il leur est donné et ils ont le choix entre un pulvérisateur et un pinceau pour l’appliquer… », explique la référente.

Le dispositif a permis, selon Olivier Talabard, le directeur de l’usine, « un changement des pratiques de dialogue social. Cela nous demande d’aller plus souvent sur le terrain et me confronte à des sujets qui n’avaient jamais été remontés », se réjouit-il. Il note une amélioration du climat qui règne à l’usine : « Même s’il n’y a pas forcément de lien de cause à effet, on observe une diminution de l’absentéisme depuis la généralisation du dispositif. »

Impératifs de production

Belkacem Ihamouine pointe aussi une baisse des passages à l’infirmerie et une amélioration de la qualité des produits. Malgré son intérêt, le dispositif se heurte parfois aux impératifs de la production. « Il arrive que les réunions hebdomadaires entre les référents et le chef d’unité soient supprimées ou, qu’en raison du manque d’effectifs, le référent soit incité à mots couverts à ne pas trop prendre de temps pour la collecte d’infos auprès de ses collègues », regrette Yassine Aldidi, représentant CFDT au CE de l’usine. Si l’ambiance a changé, la conflictualité s’exprime aussi parfois plus ouvertement. En septembre 2014, une quinzaine d’intérimaires de l’UET des Portes a ainsi débrayé. « Ils étaient excédés car ils ne voyaient pas d’avancée dans les problèmes qu’ils avaient soulevés depuis des mois », raconte Lætitia Paineau.

En voie de généralisation dans l’usine de Flins, le dispositif fait l’objet d’intérêt au plus haut niveau de l’entreprise : une fois par an, un comité de suivi national a lieu, auquel participe maintenant Lætitia Paineau en tant que “référente des référents” de l’usine. L’expérimentation commence maintenant au Technocentre de Guyancourt. Un premier pas vers une généralisation dans le groupe ?

Filmer le travail pour libérer la parole

Au cœur du “Dialogue pour la qualité du travail”, la vidéo permet un échange en profondeur sur le travail. Les salariés volontaires sont d’abord filmés à leur poste. Chacun visionne ensuite la vidéo en compagnie du chercheur et lui décrit son travail et les difficultés qu’il rencontre pour le mener à bien. « En tant que psychologue du travail, notre savoir-faire nous permet d’accompagner le professionnel dans l’analyse de son activité », précise Jean-Yves Bonnefond, chercheur au Cnam.

Une autre discussion rassemble le chercheur, le salarié et son homologue de la seconde équipe. Chacun regarde le film du travail de son collègue et ils confrontent leurs expériences. Ces échanges, ou “autoconfrontations croisées” sont eux aussi filmés.

À partir de ce matériau vidéo, les chercheurs réalisent un montage qu’ils font valider aux opérateurs filmés avant de le présenter à l’ensemble des deux équipes en présence des chefs d’unité.

Quatre postes problématiques sont ciblés et font l’objet de films et d’autoconfrontations croisées. Puis ce sont les chefs d’unité qui se livrent au même exercice. Une réunion est ensuite organisée entre les opérateurs et les chefs autour de la question : « Qu’est-ce qu’il faudrait changer ? ». « Opérateurs et encadrement ont pu se parler des difficultés concrètes qu’ils rencontraient. Cela a permis de modifier le regard des uns sur les autres. Le climat s’est amélioré dans l’UET », souligne le chercheur.

Auteur

  • Mélanie Mermoz