L’entreprise n’est pas une mais multiple. Petite, grande, multinationale, à but lucratif ou non, elle peut être perçue comme un bien commun à faire fructifier (le modèle allemand) ou, dans la tradition de la common law, comme un objet économique relevant du seul pouvoir des actionnaires.

Depuis les années 1990, le modèle de la corporate governance, qui conçoit l’entreprise comme un bien plutôt que comme une institution, s’est généralisé, inspirant la plupart des réformes en droit des entreprises : normalisation comptable, qui fait du cours de bourse la référence de la valeur de l’entreprise, et flexibilisation de l’emploi, notamment. Or, une fois transformée en objet spéculatif, l’entreprise ne peut plus être un cadre stable de coopération, puisqu’elle suppose en interne comme en externe que la logique qui prévaut est celle d’une concurrence généralisée.

Régler l’entreprise sur les cours de la bourse tend à déconnecter la réalisation d’objectifs chiffrés des réalités économiques et sociales, pour les dirigeants comme pour les salariés. Dans le même temps, la globalisation, notamment la libre circulation des capitaux et des marchandises, ont émancipé les grandes entreprises de la tutelle des États, les précipitant dans un vide institutionnel qu’elles cherchent à conjurer en invoquant leur responsabilité sociale. Sous la direction d’Alain Supiot, professeur au Collège de France, des spécialistes du droit et de l’entreprise analysent l’impact des transformations sur la liberté d’entreprendre et sur le travail.