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Calculer le R.O.I. de la RSE : la quadrature du cercle ?

ZOOM | publié le : 31.03.2015 | Séverine Charon

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Calculer le R.O.I. de la RSE : la quadrature du cercle ?

Crédit photo Séverine Charon

Démontrer que la RSE est un investissement rentable peut servir à convaincre les esprits les plus sceptiques. Mais la lourdeur du calcul du ROI (Return on investment) et le nombre d’hypothèses nécessaires compromettent la démarche.

Depuis plusieurs années déjà, la question du calcul du retour sur investissement (ROI) de la politique responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSE) agite les spécialistes. C’était d’ailleurs le thème central du baromètre des enjeux RSE édité à l’occasion du salon Produrable 2013.

« Tant qu’un chef d’entreprise militant porte sa politique RSE, elle dure, mais seul le calcul de son ROI peut véritablement pérenniser la démarche en démontrant que la RSE n’est pas une charge pour l’entreprise, mais une source de valeur », explique Patrick Bourdil, directeur de mission du cabinet Goodwill management, spécialiste du conseil en capital immatériel.

La méthode développée par le cabinet est simple à appréhender : elle consiste à répertorier les actions initiées dans le cadre de la RSE, le coût associé à chacune d’entre elles, et l’ensemble des impacts de toutes ces actions, qu’il s’agisse de conséquences internes à l’entreprise, d’effets sur les partenaires (fournisseurs, clients…) ou de répercussions sur la société civile.

« Une fois que tous les effets des actions de la RSE ont été inventoriés, nous regardons ce qui est financiarisable de manière objective et nous reprenons ces seuls éléments. Dans la quasi-totalité des cas, la RSE est rentable pour l’entreprise », se félicite Patrick Bourdil.

« La mise en place d’une crèche coûte, déduction faite des aides d’État, de l’ordre de 4 000 euros par an. En mettant ce coût en regard de la réduction de l’absentéisme des jeunes parents, nous avons pu montrer que le bilan était largement positif dans une entreprise comme Ferrero », indique-t-il.

Mesure des effets financiers

La méthode relève du simple bon sens, reste à l’appliquer… La Française des jeux l’a testée. L’entreprise avait déjà une réflexion assez avancée en matière de RSE. Ainsi, une partie de la rémunération variable de certains managers est assujettie à la réalisation de certains critères RSE. « Nous avons voulu travailler sur l’évaluation de notre RSE pour expliquer tant en interne qu’en externe l’intérêt de la démarche, explique Lætitia Olivier, directrice de la communication et du développement durable, notamment parce que le principal axe de la RSE de la Française des jeux vise à prévenir les pratiques de jeu excessives. L’équipe “jeu responsable” peut être perçue comme l’empêcheur de tourner en rond qui ralentit le développement du groupe. »

L’entreprise a donc travaillé à démontrer que la disparition du jeu Rapido, dénoncé comme étant très addictif – et qui a représenté jusqu’à un quart du chiffre d’affaires du groupe – avait eu, en dépit des apparences, un bilan économique neutre au niveau de l’entreprise, et largement positif en prenant en compte les retombées sur la société civile. Chaque axe de la RSE s’est vu ainsi jaugé à l’aune de ses effets financiers. À l’issue de ce projet de chiffrage de longue haleine – un travail qui s’est déroulé sur plus de dix-huit mois –, Læticia Olivier se montre prudente sur l’intérêt de la démarche, car tous les calculs reposent sur de nombreuses hypothèses, souvent difficiles à factualiser par manque de sources d’informations externes. Désormais, la responsable veut continuer à évaluer la RSE, mais s’oriente vers une appréciation qualitative, plus que quantitative.

Sofiann Yousfi-Monod, responsable de la RSE au sein de D2SI, une entreprise de services numériques créée en 2006, qui intègre dans son ADN le développement durable et la RSE, pense aussi que le nombre d’hypothèses rend la démarche hasardeuse et ajoute que « la RSE est par essence transversale. Le calcul d’un ROI fiable nécessite de pouvoir donner une valeur numéraire à toute chose – produit, service, échange informel, etc. –, ce qui n’est pas possible, voire pas souhaitable ». Par exemple, pour mesurer les effets de la RSE sur le renouvellement du personnel, et les économies réalisées en matière de recrutement, il faut à la fois pouvoir mesurer le turnover subi et disposer d’une référence sûre pour les entreprises du secteur – sur ce dernier point, aucune donnée fiable n’existe. Ensuite, si effectivement le turnover subi chez D2SI est plus faible, peut-on affirmer que c’est bien une performance imputable à la RSE ? En raison du manque de robustesse des hypothèses, Sofiann Yousfi-Monod croit davantage au suivi et à l’analyse d’indicateurs dans un tableau de bord extra-financier.

huit à douze critères essentiels

Sensible lui aussi au risque de poser trop d’hypothèses, le consultant formateur en RSE Philippe Cornet propose de se focaliser sur l’essentiel : « Dans une entreprise, les actions RSE se chiffrent par dizaines. Certaines ont un caractère stratégique, d’autres relèvent de la gestion opérationnelle, d’autres encore rentrent dans le champ de la philanthropie. Pour une entreprise, il faut se focaliser sur huit à douze critères essentiels, pour lesquels les répercussions économiques et financières seront sinon faciles au moins possibles à déterminer. Chiffre d’affaires, productivité des capitaux, maîtrise des risques : on doit arriver à un ROI positif. Sinon, il faut se poser des questions sur la validité de la RSE. » Le consultant suggère, en matière de ressources humaines, que la RSE d’une entreprise vise à assurer aux salariés des conditions de travail optimales. L’absentéisme est alors un critère essentiel à analyser : « Il faut le suivre, en analyser les multiples causes et chiffrer l’ensemble des coûts associés. L’absentéisme a toute sa place dans un tableau de bord extra-financier du manager. Si l’absentéisme est élevé, il peut être judicieux de calculer le ROI des actions entreprises pour le réduire. Je ne suis pas convaincu en revanche que le turnover soit un critère à intégrer, sauf s’il est élevé et subi… » Comme Sofiann Yousfi-Monod, Philippe Cornet croit davantage au suivi des indicateurs et à l’analyse scrupuleuse des causes du niveau des indicateurs qu’à une traduction financière des retombées.

Jean-Claude Dupuis, professeur à l’IGS (Institut de gestion sociale) et impliqué dans les travaux menés sur l’évaluation de la formation professionnelle, est encore plus prudent : « Les grandes entreprises ont les compétences en contrôle de gestion pour mesurer, si elles le souhaitent, un ROI de la RSE. Cela signifie qu’elles sont en capacité technique de produire une chaîne de preuves sur la plus ou moins grande efficacité de telles politiques. Être en capacité de démontrer l’efficacité de la RSE, cela signifie être en capacité de produire un récit et un compte de la performance générée. Cela ne résume pas à “compter”. Cela implique aussi et surtout de savoir “raconter”. »

Selon lui, il faut même prendre garde à vouloir toujours quantifier. La mise en place d’un outil de mesure modifie les comportements : un stagiaire qui part en formation ne va pas avoir le même état d’esprit s’il sait que la formation donnera lieu à une évaluation en situation de travail, qui le poussera à se focaliser sur les conséquences opérationnelles du stage. Sans évaluation, il aura l’esprit plus libre et plus ouvert, ce qui peut être judicieux pour certaines actions.

Auteur

  • Séverine Charon