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LA SEMAINE

Vigilance obligatoire POUR LES MULTINATIONALES FRANÇAISES

LA SEMAINE | publié le : 31.03.2015 | Virginie Leblanc

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Vigilance obligatoire POUR LES MULTINATIONALES FRANÇAISES

Crédit photo Virginie Leblanc

Discutée le 30 mars, une proposition de loi socialiste devrait contraindre les multinationales françaises à prévenir les atteintes aux droits humains et environnementaux chez leurs sous-traitants à l’étranger.

Un « rendez-vous historique » pour les syndicats et les ONG, de « nouvelles contraintes imposées aux sociétés françaises » pour Pierre Gattaz, le président du Medef, la proposition de loi socialiste relative au « devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre » était discutée en première lecture à l’Assemblée nationale le 30 mars.

Le texte continuera de faire l’objet d’un intense lobbying, même si son rapporteur, le député socialiste Dominique Potier, estime que son équilibre ne devrait pas être modifié. Si elle est adoptée, la loi obligera les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés en France ou d’au moins 10 000 salariés en France et à l’international à mettre en œuvre un plan de vigilance afin de prévenir les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, aux risques de dommages corporels ou environnementaux et à la corruption chez leurs sous-traitants ou fournisseurs.

Le Medef et l’Afep (Association française des entreprises privées) sont vent debout contre le texte. Ils estiment notamment que la France perdrait en compétitivité, isolée des autres pays n’ayant pas adopté une telle législation sur un champ aussi vaste. « Aucun pays n’a transformé la vigilance raisonnable en obligation légale en raison de la difficulté de définir le contenu de l’obligation elle-même. La France serait seule dans la concurrence internationale à devoir respecter cette obligation », assure Stéphanie Robert, directrice de l’Afep. En outre, le non-respect de cette obligation ferait peser sur les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre trois sanctions : une amende civile pouvant atteindre 10 millions d’euros, une responsabilité civile pour faute, une publicité sanction.

Initiative européenne.

Dominique Potier estime de son côté que cette loi « a vraiment pour vocation d’impulser une initiative européenne. Mais comment convaincre de l’adoption d’une directive sans montrer l’exemple » Les syndicats et les ONG, réunis en force lors d’une conférence de presse le 25 mars (CFDT, CGT, CFTC et CFE-CGC, ainsi que Amnesty International France, les Amis de la Terre, le CCFD-Terre solidaire, le collectif Éthique sur l’étiquette, la Ligue des droits de l’homme, Peuples solidaires-ActionAid France et Sherpa), sont du même avis, tout en réclamant des avancées.

Selon eux, plusieurs pays ont adopté des dispositions en la matière sans que le dynamisme de l’économie ne soit entravé (Espagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse, Canada et États-Unis). Geoffroy de Vienne (CFTC) va même jusqu’à soutenir que ce serait un facteur de compétitivité : « Cette loi envisage des actions qui sont déjà réalisées dans des entreprises qui ont compris le risque de réputation qu’elles pouvaient encourir. » Certaines sociétés admettraient même la nécessité de ce cadre juridique, selon les ONG, qui ne veulent citer aucun nom : « Elles se distinguent des organisations patronales inspirées par des positions idéologiques, relève Sandra Cossart, de l’association Sherpa. Mais elles ne veulent pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis des organisations qui les représentent. »

Ces ONG soulignent que si cette loi avait été adoptée dans les pays d’origine des multinationales, sa mise en œuvre aurait permis de prévenir de nombreuses catastrophes. Geneviève Garrigos, d’Amnesty international France, cite l’exemple de la catastrophe de Bhopal, en Inde, en décembre 1984 (10 000 morts en trois jours, des centaines de milliers de personnes intoxiquées): « La société mère américaine avait été alertée sur les risques, elle n’a rien fait pour des raisons économiques. » L’effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, en avril 2013, figure aussi parmi les motivations de cette loi.

Sandra Cossart mentionne un cas plus récent : « Si la proposition de loi avait été votée, Vinci aurait dû mettre en place un plan de vigilance et aurait évité le travail forcé que nous dénonçons aujourd’hui. » L’association a en effet déposé une plainte, le 23 mars, pour travail forcé, réduction en servitude et recel contre Vinci construction grands projets (VCGP) et les dirigeants français de sa filiale qatarie (QDVC), commises à l’encontre des migrants employés sur leurs chantiers au Qatar. L’entreprise dément fermement ces accusations, a déposé plainte pour diffamation et a invité les journalistes et Sherpa à visiter ses chantiers sur place.

S’ils saluent l’avancée de la proposition de loi, les ONG et les syndicats aimeraient que le texte aille plus loin sur deux points : les seuils d’effectifs qui limitent le nombre d’entreprises concernées, et l’inversion de la charge de la preuve.

Cent cinquante majors concernées.

Dominique Potier admet que cette demande n’a pas été satisfaite, mais souligne qu’ainsi, le texte concerne tout de même 150 majors, représentant deux tiers du commerce, hors OCDE. En outre, « les seuils pourront être abaissés par la suite », estime-t-il. Les ONG suggèrent d’utiliser le seuil de référence de la directive européenne sur le reporting extra-financier, qui est de 500 salariés, avec un séquençage progressif (5 000 salariés la première année, 2 000 la deuxième année, 500 la troisième année).

Quant à la charge de la preuve, la première proposition de loi écologiste, déposée par la députée Danielle Auroi et renvoyée en commission par l’Assemblée nationale, le 29 janvier 2015, établissait une présomption de faute de l’entreprise. « Cette version initiale avait peu de chances d’aboutir au niveau européen », affirme Dominique Potier. C’est le manquement à une obligation légale, formalisée par le plan de vigilance que doivent établir les grandes entreprises, qui fonde désormais la responsabilité de la société défaillante.

Relation commerciale.

Par ailleurs, le député souligne que le travail en commission a permis d’améliorer le texte. Les députés ont précisé que « les sous-traitants et fournisseurs devaient entrer dans le périmètre du plan de vigilance de la société dès lors qu’elle entretient avec eux une relation commerciale établie ». Cette dernière notion étant substituée à celle d’« influence déterminante ».

L’examen de la proposition, le 30 mars, est le début d’un long processus. Et les ONG insistent sur le fait qu’elles resteront « vigilantes », craignant que le texte perde de sa substance lors des débats et que le décret ne renvoie aux calendes grecques l’application des principes retenus.

« Ce décret ne devra pas amenuiser la portée de cette loi, répond le rapporteur. Le gouvernement a même proposé que la plate-forme RSE soit saisie pour qu’une concertation ait lieu sur sa rédaction afin de rassurer tant les ONG que les organisations patronales. On pourrait même envisager que ce décret ait commencé à être rédigé pour la deuxième lecture du texte. »

Auteur

  • Virginie Leblanc