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Faits religieux : À TRAITER AU CAS PAR CAS

Les clés | publié le : 17.03.2015 | Nicolas Lagrange

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Faits religieux : À TRAITER AU CAS PAR CAS

Crédit photo Nicolas Lagrange

vie au travail. Prières, fêtes et signes religieux, alimentation sacrée… autant de problématiques qu’un nombre croissant de sociétés prennent très au sérieux. En première ligne, face à des demandes ou à des situations sensibles, le manager doit apporter des réponses individuelles, en recherchant d’abord le bon fonctionnement de l’entreprise et l’équité.

« Si l’on nous demande un aménagement d’horaire ou un jour de congé pour une fête religieuse, nous précisons que nous n’avons pas à connaître le motif et que seuls les besoins de service sont pris en compte. » Directrice du centre bus de Flandre de la RATP, à Pantin (93), qui regroupe 770 salariés dont 690 machinistes, Hélène Laborie ajoute que « le principe de laïcité est porté par une information régulière délivrée par les managers en matière de respect des engagements de service concernant la tenue de travail, la sécurité ou encore le contact avec la clientèle ».

Depuis mai 2013, les managers de l’entreprise publique peuvent se référer à un guide pratique de 36 pages, qui comprend notamment six fiches pratiques (relations interpersonnelles, comportements ostentatoires, recrutement, environnement de travail, etc.). « C’est le résultat de deux ans de travaux associant managers et RH, souligne Serge Reynaud, DRH groupe. Nous avons recensé les problèmes rencontrés sur le terrain, benchmarké avec d’autres entreprises, lu les recommandations de la Halde et consulté les IRP. Le guide couvre la quasi-totalité des situations et fournit de précieux points d’appui aux managers. »

Guides et chartes

Un outil intéressant pour enrayer les incidents et les poussées communautaristes que la RATP a connus. « Nous accompagnons de plus en plus les entreprises dans la rédaction de guides ou de chartes, assure Agnès Cloarec-Mérendon, avocate associée chez Latham & Watkins. Alors que le non-dit était très répandu, les rebondissements médiatisés de l’affaire Baby Loup ont été un déclencheur pour de nombreux employeurs. Aujourd’hui, ils souhaitent aider leurs managers à répondre à des situations délicates, dans le respect de la diversité et de la lutte contre les discriminations. »

Un défi plus compliqué dans le privé, faute de pouvoir s’appuyer sur le principe de laïcité. Ce qui n’a pas empêché le groupe de recyclage Paprec (4 000 collaborateurs sur 80 sites) de mettre en place il y a un an une charte de la laïcité et de la diversité. Un document d’une page, édictant huit principes, approuvé par les représentants du personnel (par les salariés directement sur les sites sans IRP) et intégré au règlement intérieur. « La diversité fait partie de nos valeurs depuis la naissance de l’entreprise en 1994, insiste Sylviane Troadec, directrice générale adjointe en charge des RH. Nous n’avons jamais eu de gros problème, mais nous avons préféré anticiper, en formalisant nos principes. »

« Quand je fais passer un entretien d’embauche, je fais systématiquement référence à la charte », explique Émilie Lacroix, directrice de l’usine du Blanc-Mesnil (93), qui compte une quarantaine de salariés d’une douzaine de nationalités, majoritairement de confession musulmane. Un candidat voulait être en repos le vendredi pour prier, c’est une journée chargée pour nous, je ne l’ai pas embauché. J’évite aussi la cooptation entre salariés, pour ne pas risquer un fonctionnement communautaire. Nous n’avons pas de dérogation automatique pour aménager les horaires de travail, nous répondons au cas par cas. Nous évitons de demander des heures supplémentaires pendant le ramadan, c’est une question de bienveillance et de bon sens, comme pour une femme enceinte. »

Signes ostentatoires

Dans la charte de Paprec, le septième principe stipule que « le port d’un signe ou d’une tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse n’est pas autorisé. » Une interdiction très fragile juridiquement, puisqu’elle n’est possible dans le secteur privé que dans de rares cas, rappelle Me Cloarec-Mérendon, qui traite désormais une vingtaine de dossiers par an, contre quatre ou cinq auparavant : « Les signes religieux ostentatoires peuvent être prohibés pour des motifs d’hygiène, de sécurité ou en fonction de l’intérêt commercial et de la bonne marche de l’entreprise. Il a été admis que le port du voile puisse ainsi être autorisé dans des locaux sans contact avec la clientèle, mais restreint lors de missions à l’extérieur. La décision du manager doit toujours être objectivement argumentée et proportionnée. »

De plus en plus d’entreprises organisent des sessions de sensibilisation de leurs managers, de deux heures à une journée, sur les enjeux et les risques juridiques liés au fait religieux, mais aussi sur le fonctionnement des systèmes de pensée religieux, leur impact sur la société et dans l’entreprise, accompagnées d’études de cas pratiques.

LES CONSEILS DU COACH

PATRICK BANON

Chercheur, directeur de l’Institut des sciences de la diversité, spécialiste des systèmes de pensée religieux*.

– 1 –

Ne pas éluder les situations conflictuelles

Éviter le conflit est souvent perçu, à tort, comme le signe d’un bon management. Il s’agit, au contraire, d’identifier la problématique sans idées préconçues. Le déni est pourtant parfois la seule réponse, mais cela ne fait que creuser l’incompréhension et le repli identitaire. Les managers peuvent se trouver désemparés, notamment face à des pratiques religieuses rigoristes, et choisir de laisser-faire. Ils doivent plutôt se faire accompagner pour évaluer et traiter les situations de manière neutre, sans en avoir une lecture religieuse ni affective.

– 2 –

Ne pas édicter de dérogation systématique a priori

Chacun en démocratie étant libre de décider de son propre comportement religieux, mieux vaut ne pas prendre de mesures collectives, attendre les demandes individuelles et les traiter au cas par cas, plutôt que de vouloir les organiser en amont, même lorsque la revendication est collective. Généraliser systématiquement l’aménagement des horaires de travail en fonction, par exemple, de temps de prières ou de la fête du ramadan reviendrait à préjuger de la pratique religieuse de salariés. Ce serait obéir à une logique stéréotypée.

– 3 –

D’abord tenir compte du bon fonctionnement de l’entreprise

Le manager doit toujours se demander si l’aménagement souhaité par un salarié en lien – ou pas – avec sa religion est compatible avec ses missions et avec la bonne marche de l’entreprise, et s’il est de nature à poser des problèmes d’équité à l’égard des autres salariés. Sa réponse doit toujours être motivée et proportionnée.

Mais quand un comportement crée une rupture sociétale, comme le refus par un homme d’être managé par une femme, de lui serrer la main ou de partager un bureau avec une collègue, il n’y a aucun aménagement possible. Aucune pratique religieuse ne peut justifier un comportement discriminatoire.

* Auteur notamment de Osons la mixité, l’entreprise au féminin masculin (Éd. Prisma) et de Réinventons les diversités, Pour un management éthique des différences (First).

Auteur

  • Nicolas Lagrange