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Responsabilité sociale : Les fournisseurs MIS SOUS SURVEILLANCE

L’enquête | publié le : 17.03.2015 | V.L.

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Responsabilité sociale : Les fournisseurs MIS SOUS SURVEILLANCE

Crédit photo V.L.

Réputation oblige, les multinationales ne peuvent plus ignorer les conditions de travail chez leurs sous-traitants. Elles ont déjà engagé de multiples initiatives visant à les impliquer dans le respect de chartes et de codes éthiques. Mais les entreprises françaises pourraient être bientôt soumises à l’obligation légale de construire des plans de vigilance. Un cran supplémentaire dans leur responsabilisation au regard des dommages causés par leurs sous-traitants et fournisseurs.

Près de deux ans après l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, le 24 avril 2013, occupé par de nombreux ateliers textiles travaillant pour des marques européennes et américaines, qui a causé 1 138 morts, plusieurs entreprises françaises – dont Carrefour et Auchan – ont signé l’accord sur la sécurité incendie et la sécurité des bâtiments au Bangladesh. Négocié à l’initiative d’IndustriALL et d’UNI Global Union, il conduit les quelque 190 signataires à s’engager dans des programmes d’inspection des usines – auxquels participent les travailleurs et les syndicats – et à élaborer des plans de correction. Des comités de santé et sécurité élus sont aussi chargés de déceler les risques. À ce jour, 1 100 usines ont été inspectées, 86 000 problèmes de sécurité relevés, et 500 plans d’actions approuvés.

PROPOSITION DE LOI

Par ailleurs, la France va peut-être très prochainement se doter d’une loi instituant un devoir de vigilance des multinationales à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs. La proposition de loi, déposée le 12 février par le groupe socialiste, à l’initiative des députés Dominique Potier et Philippe Noguès, doit être examinée le 30 mars à l’Assemblée nationale (lire l’interview p. 22).

« La survenance des dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement engagera la responsabilité civile de la société mère française. Sur le terrain, il nous paraît impossible d’imaginer une obligation sur un champ aussi vaste », observe Stéphanie Robert, directrice de l’Afep (Association française des entreprises privées). Selon elle, si les entreprises s’accordent sur la nécessité de faire preuve de vigilance au-delà de leurs propres frontières et sont favorables à la transparence sur les processus mis en œuvre, elles s’inquiètent de la faisabilité et des incidences de la proposition de loi : « En effet, aucun pays n’a transformé la vigilance raisonnable en obligation légale, en raison de la difficulté d’en définir le contenu. De plus, une loi purement française n’est pas le bon vecteur pour atteindre les objectifs du texte. »

Source d’inquiétude supplémentaire pour l’organisation, le texte prévoit que toute association de plus de cinq ans pourrait saisir le juge pour qu’il mette en jeu la responsabilité et prononce une amende pouvant s’élever à 10 millions d’euros, avec publicité de la sanction.

Mais les ONG qui ont porté cette proposition de loi, dont Sherpa, le Collectif de l’éthique sur l’étiquette, CCFD-Terre solidaire, entre autres, font valoir qu’il est temps que les donneurs d’ordre prennent enfin leurs responsabilités : « Les chartes et les codes publiés par les entreprises étaient utiles il y a vingt ans, car elles n’avaient pas de discours sur la RSE. Aujourd’hui, ce sont plutôt des déclarations d’intention qui engagent surtout la chaîne de valeur et pas la multinationale. Les audits, s’ils sont importants, n’ont pas empêché la violation des droits humains au travail », constate Nayla Aljatouni, du Collectif de l’éthique sur l’étiquette, qui regroupe des organisations de la société civile, engagées pour défendre les droits humains au travail dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre (habillement, jouet, électronique). Pour le collectif, exiger des délais de production et des prix intenables a forcément une incidence sur les conditions de travail des salariés des sous-traitants.

Selon le cabinet Deloitte, qui a publié en février une étude sur les droits de l’homme dans les grandes entreprises européennes, si 67 % d’entre elles formalisent leurs exigences vis-à-vis de leurs fournisseurs, seulement 23 % intègrent des critères relatifs aux droits de l’homme ou aux droits sociaux fondamentaux à la qualification et à la sélection de leurs fournisseurs, parmi lesquelles Carrefour (lire page 23).

CONTRÔLE DES ENGAGEMENTS

Dans une étude à paraître prochainement, Vigeo a posé la question de la manière dont, concrètement, 25 grandes entreprises s’assurent de la tenue des engagements RSE dans le cadre de leur processus d’achats : « Les entreprises répondent : par les audits et par le choix d’être certifiées ou labellisées par tel ou tel organisme. Le problème c’est que l’on a souvent peu d’informations sur l’objet des audits et sur leurs résultats. Une grande opacité demeure sur la façon dont les entreprises s’assurent du respect de leurs engagements. L’information manque aussi sur les plans correctifs mis en place. »

Agathe Derain, manager Sustainability services chez Deloitte, pointe aussi leurs limites : « Les critères sont, de fait, assez généralistes. Ils ne prennent pas forcément en compte les enjeux systémiques propres à tel pays ou au contexte opérationnel. L’intérêt est alors de les compléter par des évaluations qualitatives plus ciblées, avec une évaluation d’impacts sur une zone et un périmètre précis, la consultation des parties prenantes et des salariés présents sur les sites, dans une logique plus collaborative et partenariale. » Cette pratique est, pour le moment, seulement émergente.

Le problème des audits, souligne de son côté Martine Combemale, directrice de Ressources humaines sans frontières (RHSF), association dont l’objectif est d’améliorer concrètement la situation au regard des droits de l’homme dans la chaîne de sous-traitance, est qu’ils répondent à une question : « Y a-t-il du travail forcé ou du travail des enfants ? Or, dans certains pays d’Asie, il n’est pas crédible de dire qu’il n’y en a pas. Il vaudrait mieux poser la question ainsi : pourquoi n’en avez-vous pas ? Et en Chine, où les heures supplémentaires sont endémiques : qu’avez-vous fait pour ne pas en avoir ? »

CIBLER LES RISQUES

Pour progresser, les experts insistent sur un préalable : réaliser sa cartographie des risques. « Il faut que les entreprises sachent identifier leur chaîne de valeur, cibler les principaux risques par pays. Elles peuvent aussi réaliser des audits en binôme avec des personnes de culture locale et des auditeurs de l’entreprise », suggère Sophie Thiery.

Certains géants de la distribution ont d’ailleurs choisi de mutualiser leur référentiel d’audit. Initié en 2007 par Carrefour, Walmart, Tesco, et Migros, le Global Social Compliance Program (GSCP) vise à améliorer les conditions travail et le respect des droits humains dans les chaînes d’approvisionnement des sociétés adhérentes. « Nous sommes partis du constat que toutes les entreprises avaient adhéré à un système d’audit social. Mais, in fine, nous demandions tous aux fournisseurs plusieurs fois les mêmes informations, se rappelle Véronique Discours-Buhot, qui était alors directrice du développement durable chez Carrefour et aujourd’hui directrice du Global Food Initiative. Nous avons décidé de sélectionner les meilleurs critères de nos dispositifs pour en faire un outil de référence commun et public, qui permet aux entreprises de se benchmarker. Le fait que tous les donneurs d’ordre aient le même discours a bien plus de poids face aux fournisseurs. »

Autre intérêt du GSCP : des syndicats, des associations et des ONG sont présents dans le conseil consultatif.

La responsable de Vigeo met également en avant, l’accompagnement des fournisseurs, afin de les responsabiliser eux-mêmes. L’agence évalue d’ailleurs les engagements pris par les entreprises dans le cadre de la charte des achats responsables. Le label “Relations fournisseur responsables”, décerné pour la première fois en décembre 2012 par la Médiation interentreprises, la Médiation des marchés publics et la CDAF (Compagnie des dirigeants et acheteurs de France), distingue les entreprises françaises ayant fait la preuve de relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs. Il est attribué pour trois ans.

Martine Combemale insiste sur l’importance d’un nouveau mode de rapport entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Particularité de ces initiatives : « Nous travaillons dans les entreprises. Par exemple, en ce moment, nous sommes installés dans une société chinoise. Nous avons prouvé qu’il était possible d’augmenter la productivité tout en baissant le recours aux heures supplémentaires et en améliorant les salaires et les conditions de travail ».

Rééquilibrer les relations

De son côté, Yann Queinnec, directeur d’Affectio Mutandi, une agence conseil en stratégies sociétale, normative et réputationnelle sur les enjeux de RSE, travaille sur le concept de « contrat durable », rééquilibrant les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants. « La relation avec un fournisseur ou un sous-traitant est fondée sur le contrat, rappelle-t-il. Mais comment expliquer qu’un sous-traitant référencé prenne le risque de sous-traiter sans le consentement de son donneur d’ordre ? »

Selon le dirigeant, il faut se poser la question de l’adaptation de la durée des contrats : « Comment un sous-traitant va-t-il investir dans les conditions de travail s’il sait que, dans trois mois, un autre prendra sa place ? », fait-il remarquer.

Yann Queinnec cite l’exemple du guide des achats responsables de l’Alliance du commerce, publié en juin 2014, qui commente les clauses à proscrire et préconise des pratiques comme la mutualisation des audits, une responsabilité conjointe en cas de non-conformité sociale d’un produit, des mécanismes de résolution des litiges et l’implication des parties prenantes externes.

« Certains donneurs d’ordre s’engagent aussi dans la formation de leurs fournisseurs, et vont même jusqu’à les accompagner pour identifier les moyens permettant de réduire la surcharge de travail des employés », signale Agathe Derain, du cabinet Deloitte.

INCITATIONS

« Pour aller plus loin, les entreprises pourraient instaurer un système de “récompenses” au profit des sous-traitants respectant leurs obligations en matière de RSE, suggère Emmanuel Daoud, avocat associé au cabinet Vigo. Des grandes entreprises pourraient octroyer des avantages financiers aux sous-traitants qui n’ont pas les moyens de mettre en place des actions positives leur permettant de respecter ces conditions. De même, elles pourraient investir une partie de leurs bénéfices dans la formation au management de leurs sous-traitants, comme le fait, par exemple, la société H & M. »

Auteur

  • V.L.