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L’INTERVIEW : EMMANUEL DAOUD AVOCAT ASSOCIÉ AU CABINET VIGO, MEMBRE DU RÉSEAU INTERNATIONAL D’AVOCATS GESICACINDY JOSSERAN ÉLÈVE-AVOCATE

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 17.03.2015 | V. L.

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L’INTERVIEW : EMMANUEL DAOUD AVOCAT ASSOCIÉ AU CABINET VIGO, MEMBRE DU RÉSEAU INTERNATIONAL D’AVOCATS GESICACINDY JOSSERAN ÉLÈVE-AVOCATE

Crédit photo V. L.

Actuellement, les entreprises peuvent imposer à leurs sous-traitants le respect de normes éthiques. Quelle responsabilité peut encourir une entreprise si l’un de ses sous-traitants présents à l’étranger ne respecte pas les principes sur lesquels il s’est engagé ?

En France, la mise en cause de la responsabilité juridique des groupes est empêchée par le principe de l’autonomie de la personnalité juridique des filiales. La problématique est identique dans une relation de sous-traitance. Elle empêche d’engager la responsabilité de la première pour les actes des secondes. Le droit commun de la responsabilité civile, fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil, détermine trois conditions d’engagement de la responsabilité : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Ce dernier est difficile à prouver.

Ainsi, il sera a priori possible d’engager la responsabilité du sous-traitant, ou de la filiale, seulement dans le pays où il est implanté et en vertu du droit local. Or l’accès à la justice est difficile dans de nombreux États.

Aujourd’hui, la position de la jurisprudence sur le sujet de la responsabilité de la société mère pour les agissements de sa filiale ou de ses sous-traitants est incertaine. La Cour de cassation a décidé, dans un arrêt Erika du 25 septembre 2012, que la responsabilité pénale et la responsabilité civile de l’entreprise Total étaient engagées. La Cour a caractérisé la responsabilité pénale et civile de la société sur la base d’une carence, en se référant aux règles de contrôle interne mises en place volontairement, et non au regard de dispositions réglementaires impératives (Cass. crim. 25 septembre 2012 affaire Erika n° 10-82.938).

Toutefois, les tribunaux ont des interprétations divergentes sur la force contraignante à donner aux engagements volontaires d’une entreprise.

Une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a été déposée le 11 février, après le renvoi en commission d’un premier texte ayant le même objectif. Quelle serait, en l’état actuel de sa rédaction, la portée juridique de l’obligation de prévoir un plan de vigilance ?

Cette proposition de loi consacre une obligation de vigilance pour les grands groupes vis-à-vis des sociétés qu’ils contrôlent et de leurs sous-traitants. Elle impose la publication et la mise en œuvre d’un code de vigilance. Si elle était adoptée, la loi cristalliserait une pratique existante dans de nombreuses entreprises, qui sont d’ores et déjà dotées de codes de conduite qui doivent être signés par leurs sous-traitants. Le soft law deviendrait ainsi une obligation légale.

Le champ d’application de la loi est étendu, puisque cette obligation concerne aussi bien les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les dommages graves aux personnes ou environnementaux, que les risques sanitaires ou de corruption. Le plan de vigilance devrait comporter des mesures raisonnables propres à prévenir les atteintes et risques identifiés précités. L’effectivité du plan serait garantie, d’une part, par sa publicité, et d’autre part, par le contrôle du juge.

En effet, celui-ci peut être saisi par toute personne justifiant d’un intérêt à agir, ou par des associations, dès lors qu’elles y sont autorisées par la loi, afin d’enjoindre à la société d’établir le plan, de le communiquer et de le mettre en œuvre. Le juge dispose donc du pouvoir de vérifier le contenu et la qualité du plan de vigilance. De surcroît, la procédure de référé permettra au juge de statuer en urgence sur l’existence et le sérieux de sa mise en œuvre. Le cas échéant, la société pourra être condamnée au paiement d’une amende civile.

Par ailleurs, la loi permettrait d’engager la responsabilité civile des sociétés concernées par un dommage qu’elles auraient raisonnablement pu éviter. Il s’agit d’une responsabilité de droit commun pour faute, fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil.

Cette responsabilité pourra être engagée dès lors que l’entreprise n’a pas institué une obligation de vigilance qui aurait pu éviter la survenance du dommage.

Outre la réparation du préjudice, le juge peut prononcer une amende civile et ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision. Il en résulte un risque d’atteinte à la réputation, ce qui peut favoriser le dynamisme des entreprises concernées dans la prise de mesures de prévention. L’engagement de la responsabilité pénale de la société, lui, n’est pas envisagé.

Auteur

  • V. L.