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LES HÔPITAUX N’EN FINISSENT PAS de digérer les 35 heures

ZOOM | publié le : 10.03.2015 | Caroline Coq-Chodorge

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LES HÔPITAUX N’EN FINISSENT PAS de digérer les 35 heures

Crédit photo Caroline Coq-Chodorge

La maîtrise du temps de travail à l’hôpital demeure problématique.Dix ans après la réforme des 35 heures, les infirmières, mais surtout les médecins, continuent à multiplier les heures supplémentaires, stockées sur les comptes épargne-temps.

Auditionné en octobre dernier par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction du temps de travail », l’ancien Premier ministre Lionel Jospin a exprimé un seul regret, concernant l’hôpital : « Je suis obligé d’admettre que nous aurions dû attendre deux ans de plus. » Devant cette même commission, la ministre de la Santé Marisol Touraine a, elle aussi, admis que « les spécificités de l’hôpital y ont rendu la mise en œuvre des 35 heures plus difficile que dans d’autres secteurs ».

Si le rapport parlementaire, rendu début décembre, tire un bilan global plutôt positif de cette réforme, il relève également que le passage aux 35 heures a été « difficile et mal vécu » à l’hôpital, car le nombre de postes créés a été insuffisant en raison de la pénurie de médecins et d’infirmières. Résultat : les agents ont multiplié les heures supplémentaires, stockées sur les comptes épargne-temps (CET).

Le dernier bilan social des établissements de santé, réalisé par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), comptabilise à fin 2012 près de 923 000 journées de travail stockées par les personnels médicaux, les jours épargnés par les personnels non médicaux (paramédicaux, personnels administratifs et techniques, etc.) atteignant 900 000. En moyenne, cela représente 26,9 jours par médecin, et 2,8 jours par agent non médecin. De quoi déstabiliser un peu plus des établissements déjà exsangues, contraints de mettre en réserve le paiement de ces jours dus à leurs agents.

économies

À l’hôpital, l’objectif est donc clair et partagé par les directions et les syndicats : faire baisser le nombre de jours stockés. « Les CET auraient dû être des outils pour mieux gérer le temps de travail, explique Denis Garnier, assistant fédéral de FO Santé Sociaux. Mais ils ont en réalité permis aux établissements d’allonger le temps de travail des agents afin de faire des économies à court terme. Pour les personnels non médicaux, les heures supplémentaires non payées représentent 3 000 emplois. L’hôpital tourne à crédit sur le dos des agents, insiste-t-il. Notre position syndicale est que les personnels doivent pouvoir prendre leurs jours de récupération. Limiter les CET permet de protéger les agents. »

Le dispositif a donc été réformé en 2012. Il existe désormais deux types de CET : les comptes “historiques”, où sont stockés les jours de récupération non pris jusqu’en 2012, et les dispositifs “pérennes” accueillant ceux versés depuis le 1er janvier 2013, ces derniers étant fermement encadrés. Les médecins peuvent ainsi stocker sur leurs CET 20 jours maximum par an, qui peuvent s’accumuler au fil des années dans une limite de 300 jours. Ce plafond sera abaissé à 208 jours en 2016. Les CET des personnels non médicaux sont plus contraints encore : ils peuvent stocker 20 jours par an, mais dans la limite de 60 jours.

Si les agents et les médecins dépassent le plafond annuel, deux choix s’offrent à eux : valoriser financièrement les journées non prises à hauteur de 65 euros par jour pour un aide-soignant ou de 300 euros par jour pour un médecin, ou les convertir en points de retraite additionnelle de la fonction publique, suivant le même barème.

Cette réforme a-t-elle été efficace ? « Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2013, mais il est probable qu’on assiste à un dégonflement des CET », estime Marie Houssel, adjointe au pôle ressources humaines de la Fédération hospitalière de France (FHF). « Aujourd’hui, avec les comptes épargne-temps, certains agents peuvent cesser de travailler plusieurs mois avant la date de leur départ à la retraite, tout en étant payés. C’est lourd financièrement. On peut espérer que le nouveau dispositif mette fin à ce genre de situation », renchérit Matthieu Girier, vice-président de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess) et DRH au centre hospitalier de Lens-Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).

Patrick Deniel, le directeur des affaires médicales des Hospices civils de Lyon (HCL), le 2e CHU de France (qui emploie 5 000 médecins et internes), est moins optimiste : « En 2013, nous avons constaté une forte augmentation du nombre de jours provisionnés par les médecins : 15 200 jours ont été stockés au cours de l’année. Ce niveau n’est pas soutenable. Et la situation des HCL n’a rien d’exceptionnel. » Les médecins ont, en effet, les comptes épargne-temps les mieux fournis.

« Nous engageons un travail de longue haleine pour convaincre les médecins de prendre leurs jours de congés, poursuit Patrick Deniel. Nous travaillons avec les chefs de service et les chefs de pôle sur l’organisation du temps de travail, mais cette démarche est parfois vécue comme une infantilisation par une profession qui a eu longtemps une autonomie de gestion. »

Rachel Bocher, président de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers de France (INPH), constate néanmoins une évolution entre l’ancienne et la nouvelle génération : « Les 55-65 ans accumulent des jours sur leurs CET pour partir à la retraite plus tôt. Mais les jeunes générations utilisent leurs jours de repos pour s’occuper de leurs enfants, partir pour de longs voyages, etc. Ils ont l’habitude de prendre deux mois de congés annuels, ou d’alléger leurs semaines de travail. »

renégociations conflictuelles

Si les médecins ont une grande liberté d’organisation de leur temps de travail, celui des personnels non médicaux est, au contraire, très encadré par des accords souvent signés lors du passage aux 35 heures en 2002. Mais d’un établissement à l’autre, ces dispositions sont très diverses, selon une enquête de la FHF : le nombre de RTT accordés aux salariés varie de « zéro à plus de vingt par an », a expliqué, devant la commission parlementaire, Frédéric Valletoux, le président de la FHF. Si la fédération ne remet pas en cause les 35 heures, elle souhaite « plafonner les RTT à 15 jours ». Pour y parvenir, il faudrait renégocier les accords sur le temps de travail dans les établissements, ce qui suscite des conflits sociaux parfois lourds. À l’hôpital, le temps de travail est une réforme sans fin.

Auteur

  • Caroline Coq-Chodorge