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L’interview

Mathilde Guergoat-Larivière et Séverine Lemière : « LES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES D’ACCÈS À L’EMPLOI SONT SOUS-ESTIMÉES »

L’interview | publié le : 03.03.2015 | Violette Queuniet

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Mathilde Guergoat-Larivière et Séverine Lemière : « LES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES D’ACCÈS À L’EMPLOI SONT SOUS-ESTIMÉES »

Crédit photo Violette Queuniet

Malgré un taux de chômage équivalent, les femmes et les hommes ne sont pas égaux dans l’accès à l’emploi. Faute d’indicateurs économiques pertinents, cette situation demeure peu visible, avec le risque d’écarter les femmes des publics prioritaires des politiques publiques de l’emploi.

E & C : Ces dernières années, le taux de chômage des femmes et des hommes tend à converger. Cela signifie-t-il que les hommes et les femmes sont égaux dans l’accès à l’emploi ?

Mathilde Guergoat-Larivière et Séverine Lemière : Il est vrai que le taux moyen de chômage des femmes est égal, voire légèrement inférieur à celui des hommes*. Cette convergence s’explique à la fois par des raisons conjoncturelles – les secteurs les plus touchés par la crise sont ceux où travaillent davantage d’hommes, comme l’industrie – et par des facteurs plus structurels, notamment la hausse du niveau d’éducation des femmes. Mais cela ne signifie pas que les inégalités d’accès à l’emploi entre hommes et femmes ont cessé. Certes, les taux de chômage des hommes et des femmes sont égaux « toutes choses inégales par ailleurs », c’est-à-dire dans une situation où les femmes et les hommes ont des parcours différents, n’ont pas les mêmes diplômes, ont des contraintes familiales différentes. Mais, si l’on corrige les différences pour considérer la situation « toutes choses égales par ailleurs », alors, la probabilité d’être au chômage pour une femme reste supérieure à celle d’un homme.

Il faut constater aussi que l’indicateur du taux de chômage est insuffisant pour rendre compte des inégalités d’accès à l’emploi. Car, si on regroupe à la fois le chômage et l’inactivité, le non-emploi des femmes reste bien supérieur à celui des hommes.

Existe-t-il des indicateurs plus pertinents que le taux de chômage pour rendre compte de l’inégalité d’accès à l’emploi des hommes et des femmes ?

Oui. Il existe l’indicateur standard du taux d’emploi : l’écart entre les hommes et les femmes reste important : 67,6 % pour les hommes et 60,9 % pour les femmes en 2011. Il l’est bien davantage si l’on considère le taux d’emploi en équivalent temps plein (ETP), puisque le temps partiel est beaucoup plus développé chez les femmes.

D’autres indicateurs, plus intéressants, se sont développés ces dernières années comme le sous-emploi et le halo du chômage. Le sous-emploi prend en compte les personnes qui travaillent mais qui souhaiteraient travailler davantage. Le halo du chômage regroupe les personnes sans emploi, qui souhaitent travailler mais ne sont pas considérées comme chômeurs parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour occuper un emploi ou parce qu’elles ne sont pas en recherche active d’emploi – deux critères nécessaires pour être considéré comme chômeur. Il y a, en France, dans ce halo du chômage, 1,3 million de personnes. Les femmes y sont majoritaires, notamment à cause de l’impossibilité d’être disponibles rapidement : beaucoup d’entre elles qui n’ont pas de mode de garde pour leurs enfants sont dans ce cas-là.

Ces indicateurs sont plus fins que le taux de chômage, même s’ils ne permettent pas de rendre compte d’autres situations où les femmes sont majoritaires comme l’inactivité. Il serait donc intéressant de réfléchir à un indicateur de non-emploi, qui regrouperait le chômage, le halo, l’inactivité.

Vous mettez en exergue un “continuum d’emploi” très différent entre les hommes et les femmes. De quoi s’agit-il ?

Alors que les hommes sont beaucoup plus polarisés dans deux situations – chômage et travail à temps complet –, les femmes sont davantage réparties dans des situations particulières entre ces deux extrêmes : inactivité, halo du chômage, temps partiel, sous-emploi, etc. Et, lorsqu’on regarde les différents états de ce continuum, les chiffres sont systématiquement défavorables aux femmes : elles sont plus nombreuses dans les CDD courts, dans les “petits” temps partiels. Pour un même taux de chômage, il y a donc un continuum de situations sur le marché du travail très différent selon le sexe.

Le diplôme favorise-t-il l’accès à l’emploi des femmes ?

Le diplôme favorise l’accès à l’emploi des hommes et des femmes, en particulier l’emploi à temps complet. Mais on observe que, à niveau de diplôme identique, l’accès à l’emploi des femmes est moindre que celui des hommes. Elles sont plus au chômage, plus inactives, plus souvent à temps partiel que les hommes. Donc, si on regarde toutes choses égales par ailleurs, le fait d’être une femme continue à jouer négativement sur l’accès à l’emploi.

Le fait que, depuis plusieurs années, les femmes soient maintenant plus diplômées que les hommes a rapproché leurs taux de chômage, mais a peu compensé les inégalités d’accès à l’emploi à diplôme identique. Par ailleurs, il est important aussi de réfléchir non pas uniquement en termes d’accès à l’emploi et donc de quantité d’emplois, mais de considérer la qualité des emplois sur lesquels se positionnent les femmes. Et là, on a toujours du travail à temps partiel, un accès aux emplois cadres plus faible pour les femmes et des inégalités de salaire qui persistent.

Faute de mobiliser d’autres indicateurs que ceux du taux de chômage, les femmes courent-elles le risque de ne plus apparaître comme un public prioritaire des politiques publiques d’emploi ?

Nous pensons en effet que les indicateurs utilisés actuellement rendent moins visibles les situations d’emploi, de sous-emploi ou de non-emploi des femmes. Et, quand un public n’est pas visible, il n’est pas prioritaire dans les dispositifs de politique publique. Travailler sur d’autres indicateurs avec une lecture “genrée” permettrait de rendre visibles les situations et donc de pouvoir agir. Construire des indicateurs plus larges de non-emploi, c’est aussi poser la question de l’autonomie économique des femmes.

* Au troisième trimestre 2014, il était de 9,9 % pour les hommes et de 9,4 % pour les femmes.

Mathilde Guergoat-Larivière et Séverine Lemière ÉCONOMISTES

Parcours

→ Mathilde Guergoat-Larivière (à droite sur la photo) est maîtresse de conférences en sciences éco– nomiques au Cnam et chercheuse associée au Centre d’études de l’emploi (CEE).

→ Séverine Lemière est économiste, maîtresse de conférences à l’IUT Paris-Descartes, membre du réseau Mage (Marché du travail et genre).

→ Elle a coécrit, avec Rachel Silvera et Marie Becker, le Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine (sur <www.defenseurdesdroits.fr>)

→ Elles ont écrit Emploi non-emploi : une analyse femmes-hommes (document de travail du CEE, n° 176, déc. 2014, <www.cee-recherche.fr>).

Lectures

→ Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Patrick Modiano, Gallimard, 2014

→ Lettres à sa fille, Calamity Jane, Rivage poche, 2014.

→ Écarlate, Hilary Jordan, 10/18, 2013.

→ Purge, Sofi Oksanen, Livre de Poche, 2012.

Auteur

  • Violette Queuniet