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RECRUTEMENT : Les salariés MEILLEURS AMBASSADEURS DE L’ENTREPRISE

L’enquête | publié le : 03.03.2015 | S.M.

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RECRUTEMENT : Les salariés MEILLEURS AMBASSADEURS DE L’ENTREPRISE

Crédit photo S.M.

La génération Y, et son habitude des réseaux sociaux, fait vaciller le modèle traditionnel du recrutement. Elle demande désormais une transparence sur les réelles conditions de travail et veut dialoguer avec l’entreprise sur un pied d’égalité. Face à ce nouvel enjeu, les collaborateurs deviennent les meilleurs porte-parole de la marque employeur.

Kelly a un sourire qui attire le clic, sur la plate-forme Internet de recrutement du groupe La Poste. La blonde guichetière de Pont-sur-Yonne, en Bourgogne, a accepté de présenter son métier à travers une vidéo de deux minutes, qui la montre dans son quotidien. Une fiche profil, à côté de laquelle elle se tient, rappelle son niveau de diplôme – le bac –, et ses compétences – amabilité, rigueur, sens du travail en équipe. Efficace, transparente sur les conditions de travail, Kelly est une parfaite ambassadrice de son entreprise et de sa marque employeur. Peu l’imaginent, mais La Poste, sous ses airs d’institution ancienne, est réputée pour la qualité de sa communication RH digitale. Elle vient d’être classée 7e sur 126 entreprises par l’étude PotentialPark 2015.

S’appuyer sur ses salariés pour se promouvoir est une vieille recette, mais qui retrouve une nouvelle jeunesse sur le Web et les réseaux sociaux. Poster aujourd’hui une simple offre d’emploi ne suffit plus. Il faut séduire cette génération Y, qui a grandi avec Facebook et Youtube, mais aussi maîtriser son image sur ces nouveaux canaux que sont les réseaux sociaux.

COMMUNIQUER POUR RECRUTER

L’intérêt du groupe La Poste pour ces questions s’expliquent par ses importants besoins en recrutement : en 2015, elle embauchera 4 000 CDI, 4 000 jeunes en alternance, et offrira un stage à 7 000 étudiants. Afin d’attirer les candidatures et construire son e-reputation, elle s’appuie donc sur sa force : ses 26 000 salariés, présents sur l’ensemble du territoire français. « Les métiers classiques, facteur par exemple, sont très connus, car visibles du grand public », souligne Véronique Jau-Poupineau, responsable du département Marque employeur. « Mais, dans le groupe, nous avons 250 métiers différents, avec des niveaux de qualification du CAP à bac + 5. Nous devons communiquer sur cette diversité importante, expliquer que nous employons aussi des analystes de données ou des experts bancaires. Nous voulons également montrer que nous confions des responsabilités importantes à de jeunes collaborateurs. » Laurent, conseiller en gestion du patrimoine, témoigne donc aux côtés de Michel, opérateur colis ou de Laurence, directrice de centre de livraison.

Les entreprises ont mis cependant du temps à saisir l’enjeu de l’e-reputation dans le domaine des ressources humaines. Agnès Duroni, fondatrice d’Adevea Consulting, et auteure d’une thèse sur le sujet, se souvient : « Leur première prise de conscience est apparue avec les phénomènes de buzz négatif. Les sociétés se sont dit qu’avec la multiplication des réseaux sociaux, il fallait être vigilant et savoir calmer le jeu. » Le premier réflexe est alors d’écrire une charte d’utilisation des réseaux sociaux pour donner un cadre aux salariés. L’assureur Axa a publié en 2011 son “Guide du bon sens numérique”, toujours une référence aujourd’hui. « Ensuite est venue la grande mode des témoignages, poursuit la consultante. On mettait des salariés en avant, mais le discours restait très contrôlé. » C’est dans cette veine que se situe l’initiative de La Poste ou d’Air France, qui avait dédié au genre un site Internet nommé Inside Air France, avec des vidéos étudiées, tournées par des professionnels, dans lesquelles, par exemple, la journée type d’un commandant de bord est mise en scène. Celui-ci – surprise – est une femme, alors que les hommes sont très majoritaires dans cette catégorie professionnelle. Désor mais, le site n’existe plus, et le service communication de la compagnie promet pour bientôt une nouvelle plate-forme dédiée au recrutement, avec des outils plus modernes. Car faire témoigner ses salariés est considéré comme trop formaté, même sur le mode humoristique qu’avait choisi la chaîne d’hôtels Marriot sur Instagram, avec des photos décalées prises par les salariés sur leur lieu de travail. Le candidat veut désormais connaître sa future entreprise de l’intérieur et en détail. Titres restaurant, garderie, surface des bureaux… Tout compte.

Et qui de plus fiable que les salariés eux-mêmes, présents sur les réseaux sociaux, qui racontent leur vécu professionnel en dehors des cadres de communication habituels ? L’arrivée de l’Américain Glassdoor en France a confirmé la tendance, même si les responsables interrogés esquivent la question ou minimisent la portée de ce site, où chacun peut noter sa société et laisser un commentaire, flatteur ou pas. « C’est le Tripadvisor du recrutement », lance Béatrice Perrot, de BNP Paribas, pour qui seuls les mécontents témoigneront. Pourtant, les salariés y abordent des questions RH : salaire, conditions de travail, évolution de carrière… « Les réseaux sociaux restent un bon thermomètre », résume Aurélien Boutaudou, chargé de communication RH chez Viadeo. Et l’entreprise peut se saisir des interventions positives de ses collaborateurs sur Facebook ou Twitter pour renforcer sa marque employeur : « C’est un enjeu majeur en termes de recrutement d’être informé de ces interactions, de les soutenir et de les accompagner », souligne Aurélien Boutaudou. Viadeo applique d’ailleurs la recette : quand il repère des salariés qui mettent en avant la structure, il les aide en leur fournissant du contenu complémentaire, une vidéo sur le fonctionnement d’une équipe d’ingénieurs maison, et les informe des offres d’emploi en cours. « Ils les partagent avec leur vocabulaire », insiste-t-il, ce qui est un vrai plus dans les métiers à fort jargon professionnel comme celui de développeur informatique.

FAVORISER LES ÉCHANGES

La réaction des entreprises les plus matures sur le sujet ne s’est pas fait attendre : « Face à la parole non maîtrisée présente sur les réseaux sociaux, les entreprises ont créé des réseaux d’ambassadeurs qu’elles ont formés et informés », raconte Agnès Duroni. Avec un enjeu clairement posé : capter les talents. « Les salariés ambassadeurs constituent la première ligne d’attaque », affirme Jean-Marc Mickeler, responsable de la marque employeur au cabinet d’audit Deloitte, en tête du classement PotentialPark 2015. Il évoque une conviction intuitive : « Les meilleurs pour parler d’un métier, ce sont ceux qui l’exercent. Il faut donc favoriser l’échange en toute transparence entre le salarié et le futur collaborateur. » Et sans passer par des process internes institutionnels qui paraissent fastidieux à la génération Y. « Quand vous vendez de l’innovation, remarque Jean-Marc Mickeler, les jeunes attendent de vous un processus de recru tement conforme aux standards de ce qu’ils connaissent en tant que consommateurs. Ils postent une question, ils attendent une réponse rapide, comme sur Amazon. » De son point de vue, ce qui s’annonce est une révolution : la personnalisation du recru tement. Les premiers concernés par une embauche – c’est-à-dire l’équipe avec laquelle la nouvelle recrue va travailler – seront en situation de dialoguer avec le candi dat et de le choisir. Non seulement sur des critères de compétences, mais aussi sur sa personnalité. C’est une vision également partagée par Jean-Noël Chaintreuil, directeur de Digidust (lire l’interview p. 22).

Deloitte compte 250 ambassadeurs sur ses 9 000 collaborateurs français. Il n’est pas le seul : Total, CGI, La Poste, BNP Paribas… Tous ont désormais des réseaux similaires. Ils ont généralement lancé un appel en interne aux volontaires issus des différents corps de métier, le plus souvent adeptes des technologies de la communication. Ils les forment à l’utilisation des réseaux sociaux, notamment sur les règles juridiques. Et leur donnent deux fonctions principales : être des relais auprès des étudiants, cible privilégiée des embauches 2.0 ; répondre aux questions que posent les candidats sur les comptes que les entreprises ont créés sur les réseaux sociaux, ou sur le site Internet dédié au recrutement. « Le but n’est pas de piloter leur parole, rappelle Agnès Duroni, mais d’être dans une démarche partenariale avec eux, en leur donnant l’information dont ils ont besoin. » Car leur principale qualité est leur langage spontané, autre chose que la plaquette glacée institutionnelle. Aurélien Boutaudou le confirme : « Avoir ces ambassadeurs, c’est montrer un côté plus humain de sa politique RH. » Ils sont cependant cantonnés à leur savoir-faire métier : « Les entreprises peuvent leur faire confiance sur ce plan-là », analyse-t-il. Elles ne sont pas prêtes à laisser les salariés prendre trop de pouvoir dans leur communication.

Ces bénévoles ne reçoivent pas de rémunération supplémentaire et, le plus souvent, cette attribution reste informelle et n’est pas évaluée lors des entretiens individuels annuels. Ces salariés sont régulièrement conviés à des réunions d’information de leur club ambassadeur, une occasion de mieux connaître leur entreprise en transversal. Aurélien Boutaudou y voit un autre avantage : « Donner de la visibilité à son employeur sur les réseaux sociaux professionnels, c’est développer sa propre visibilité, et son employabilité. » Un bénéfice réel, donc, pour sa propre carrière, avec une reconnaissance interne et externe.

TENIR SES PROMESSES

L’entreprise y gagne sur un autre tableau : nommer des ambassadeurs, c’est valoriser la fierté d’appartenance et donc développer sa capacité de rétention des meilleurs talents. « Tout cela contrebalance largement les risques », sourit Aurélien Boutaudou. Le vrai écueil est ailleurs : que l’entreprise ne tienne pas les promesses de sa marque employeur, avec des recrues qui ne vont pas rester et qui vont twitter les raisons de leur déception. Une e-reputation de qualité ne peut être nourrie qu’avec une bonne dose de réel, pas avec des faux-semblants.

Auteur

  • S.M.