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L’interview

Samuel Mercier : « LE DRH DOIT JOUER UN RÔLE MAJEUR DANS LA POLITIQUE ÉTHIQUE DE L’ENTREPRISE »

L’interview | publié le : 24.02.2015 | Éric Delon

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Samuel Mercier : « LE DRH DOIT JOUER UN RÔLE MAJEUR DANS LA POLITIQUE ÉTHIQUE DE L’ENTREPRISE »

Crédit photo Éric Delon

Les exigences croissantes des investisseurs, des consommateurs et des salariés pour intégrer l’éthique dans la vie de l’entreprise doivent inciter les organisations à formaliser des politiques pertinentes en la matière en y associant la DRH dès l’amont.

E & C : Dans quelle mesure l’éthique et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont-elles devenues des enjeux d’importance dans les organisations ?

samuel mercier : J’observe les pratiques des entreprises dans le domaine de l’éthique et de la RSE depuis le milieu des années 1990. Je préparais à l’époque une thèse de doctorat à Paris-Dauphine portant sur la « formalisation de l’éthique dans les grandes entreprises ». À l’époque, cette problématique était déjà en vogue en France depuis quelques années. Cela ne s’est pas démenti depuis. Les exigences des parties prenantes – investisseurs, consommateurs, salariés, citoyens – génèrent une demande sociale croissante en faveur d’une plus grande intégration de l’éthique dans la vie des entreprises. Plusieurs facteurs se combinent pour aller dans ce sens : l’internationalisation de l’activité économique, qui rend toujours plus difficile sa régulation et appelle une autorégulation par les entreprises, la complexification du contenu du travail, l’intérêt croissant des entreprises pour leur image de marque, la réputation éthique en étant l’une des composantes.

Que recouvre la notion d’éthique dans l’entreprise ? S’agit-il de la dénonciation des mauvaises pratiques, notamment en matière de management ?

L’éthique est une branche de la philosophie qui tente, depuis plusieurs siècles, de proposer un guide à la conduite des hommes en société. Le foisonnement des réflexions en la matière met en évidence la grande difficulté à distinguer ce qui est éthique de ce qui ne l’est pas. Il est difficile de dégager une définition consensuelle. Je qualifierai d’éthique la réflexion, en amont de l’action, qui vise à distinguer la bonne façon d’agir de la mauvaise. Définir ce qu’est un comportement éthique individuel n’est pas tâche aisée. Il est encore plus complexe de préciser ce que recouvre l’éthique organisationnelle.

Nous nous trouvons au cœur d’un champ de tensions se situant entre des intérêts multiples – celui de l’entreprise, le général, ceux d’autrui. S’agissant de la gestion des ressources humaines, il n’est guère contestable que les pouvoirs de direction et les pouvoirs disciplinaires reconnus à l’employeur doivent être conciliables avec les droits et les libertés fondamentales des salariés.

À la question « Comment bien agir ? », les théories éthiques apportent trois réponses différentes qui peuvent se combiner : les approches conséquentialistes s’intéressent à la mesure du niveau de bien procuré par l’action. L’optique déontologique, quant à elle, se réfère à une règle obligatoire, au devoir. L’éthique de la vertu – aristotélicienne –, enfin, conduit à mentionner le trait de caractère dont l’action est l’expression typique ou représentative. Cette troisième approche se situe en amont des deux autres et est de nature préventive.

De quels outils les entreprises disposent-elles pour faire respecter, promouvoir, évaluer l’éthique ? Sont-ils suffisants ?

Le défi majeur consiste à provoquer un changement en profondeur dans les mentalités, afin que le comportement éthique représente la norme et non l’exception. L’entreprise doit pouvoir rappeler le plus régulièrement possible ses valeurs, ses responsabilités et ses règles de conduite interne – dans des chartes et des codes éthiques. Ces trois éléments se manifestent dans des proportions variables selon sa culture organisationnelle. Si la formalisation représente la clé de voûte de toute démarche éthique, elle n’est qu’un aspect d’un processus plus global d’institutionnalisation de l’éthique dans la gouvernance des organisations. Au niveau d’un conseil d’administration, le comité d’éthique est le garant de cette politique en entreprise, en charge de surveiller la conformité des dirigeants et des collaborateurs avec les normes juridiques et éthiques. Certaines organisations nomment des déontologues, organisent des séminaires de formation à l’éthique, mettent en place des systèmes de dénonciation.

Un audit éthique périodique peut permettre de vérifier si les valeurs et les règles édictées sont appliquées au quotidien. Enfin, le bilan de responsabilité sociale permet de communiquer auprès des parties prenantes sur cette problématique.

Qu’en est-il de l’importance des dimensions culturelle, institutionnelle, voire nationale dans l’approche de l’éthique ?

Les Français ont depuis fort longtemps critiqué la manière américaine d’introduire une dimension éthique explicite dans la conduite des organisations. À partir de la fin des années 1990, la France, tout comme ses homologues européens, s’y est finalement intéressée et s’est lancée avec enthousiasme dans l’exploration du concept de RSE. L’intérêt pour cette question revêtait jusque-là des formes plus discrètes, l’entreprise étant depuis longtemps considérée comme ouverte aux intérêts des parties prenantes. La manière dont les Américains abordent les problèmes éthiques relève plutôt d’une logique utilitariste et légaliste. Dans cette optique, l’éthique n’est pas destinée à servir un idéal mais est appréhendée comme source – possible – de profits et de réussite. A contrario, l’éthique de l’entreprise japonaise est tournée vers la stabilité, la vision de long terme, la recherche du consensus, d’un dialogue social apaisé. À l’instar de nombreux pays dans le monde, les entreprises chinoises sont également concernées par le développement de la RSE. Accroissement des inégalités, problèmes écologiques, scandales liés à la corruption, statut des travailleurs migrants nourrissent le débat sur le rôle des entreprises.

Quel rôle peut jouer la DRH pour faire respecter cette éthique ?

La direction des RH doit jouer un rôle majeur dans l’animation de la politique éthique de l’entreprise. Le développement de la RSE pousse à remodeler la typologie de Dave Ulrich – célèbre gourou du management et de la GRH – distinguant les quatre rôles du RH : expert administratif, champion des salariés, acteur du changement et partenaire stratégique. Si l’on élargit aux parties prenantes, le RH peut devenir un expert en conformité, un acteur du changement sociétal et un partenaire au service de la triple performance – sociale, environnementale et économique. Une telle évolution est souhaitable si la fonction RH veut développer sa légitimité.

Samuel Mercier PROFESSEUR EN GRH

Parcours

→ Samuel Mercier est professeur en sciences de gestion et responsable pédagogique du master GRH à l’IAE de Dijon. Il est membre du Crego (Centre de recherche en gestion des organisations).

→ Il est également membre élu du conseil d ’administration et vice-président de l’université de Bourgogne, en charge des ressources humaines, de l’action sociale et de la vie sur les campus.

→ Il a publié la troisième édition de L’Éthique dans les entreprises (La Découverte, en septembre 2014).

Lectures

→ L’entreprise dans la société, M. Capron et F. Quairel-Lanoizelée, La Découverte, 2015.

→ La responsabilité sociétale des organisations. Des discours aux pratiques ?, D. Travaillé, J.-P. Gond et E. Bayle, Vuibert, 2014.

→ Encyclopédie des ressources humaines, José Allouche, Vuibert, 2012.

Auteur

  • Éric Delon