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RÉSEAUX SOCIAUX D’ENTREPRISE : L’ART DE MOBILISER L’INTELLIGENCE collective

L’enquête | publié le : 24.02.2015 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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RÉSEAUX SOCIAUX D’ENTREPRISE : L’ART DE MOBILISER L’INTELLIGENCE collective

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Des organisations plus agiles, un management participatif, des salariés en confiance… : les réseaux sociaux d’entreprise, un levier parmi d’autres de la transformation numérique, tiendront-ils leurs promesses ? Peut-être, mais à la condition que les DRH soutiennent ces projets et travaillent sur l’accompagnement du changement auprès des managers. Une mutation dont la fonction RH pourrait d’ailleurs elle-même tirer parti.

L’outil s’est largement répandu dans les entreprises du CAC 40 : 80 % d’entre elles sont équipées d’au moins un réseau social d’entreprise (RSE), 75 % disposant d’une plate-forme transversale accessible à tous les collaborateurs du groupe, indique la dernière étude du cabinet de conseil en organisation Lecko, parue le 29 janvier.

Cependant, l’Observatoire de l’intranet et de la stratégie numérique (piloté par la société de conseil Arctus) concluait, en mai 2014, qu’en dépit du nombre important de RSE en cours de développement ou d’expérimentation, dans les organisations, l’outil était « loin d’avoir encore conquis le plus grand nombre ». Les projets étant parfois différés à cause de problèmes techniques ou économiques.

Mais cette enquête(1) indiquait aussi que, depuis trois ans, les fonctions facilitant la production de contenus élémentaires sur l’intranet (commentaires, likes, mini-messages, etc.) étaient en forte progression. Signe d’une volonté d’ouverture de l’entreprise, qui souhaite conférer à sa communication une dimension plus participative, considère Isabelle Reyre, directrice associée d’Arctus. Par ailleurs, la fiche annuaire enrichie était la première fonction en projet pour l’année à venir. « L’annuaire unique, centralisé, intégrant des données fiables, est la base à partir de laquelle on peut proposer des espaces personnalisables, expose-t-elle. C’est un chantier sur lequel toutes les grandes entreprises sont en train de se pencher. »

UNE DIMENSION PARTICIPATIVE

Si les premières expériences de RSE ont souvent été menées par les directions marketing et communication – davantage au fait des mutations digitales et des possibilités d’interaction avec les clients que les fonctions supports –, « les entreprises ont aujourd’hui compris les vertus du partage et souhaitent étendre ces expérimentations à l’ensemble de leur organisation. On entre vraiment dans l’ère de la collaboration », avance Isabelle Reyre.

Un point de vue que beaucoup partagent. Tout en déplorant le manque d’implication de la fonction ressources humaines dans les projets de RSE : « Nos principaux interlocuteurs sont les directions de la communication et les DSI, les DRH sont toujours en retrait », constate Vincent Bouthors, Pdg de l’éditeur français Jalios. Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko confirme : « Souvent, ils ne sont absolument pas leaders sur ces projets et fonctionnent plutôt en mode réaction. » Un constat à nuancer concernant les entreprises membres de l’Observatoire des réseaux sociaux d’entreprise, explique son directeur Ziryeb Marouf (par ailleurs directeur applicatifs RH groupe et réseaux sociaux chez Orange). Ces chantiers y sont majoritairement portés par les DRH, dès lors qu’il s’agit de « mieux travailler ensemble » (lire l’interview p. 25). Des démarches organisationnelles qui nécessitent, du reste, une information-consultation du comité d’entreprise et quelques précautions juridiques (lire l’encadré p. 21).

Besoin de s’adapter à un nouvel environnement économique ou de créer des communautés d’expertise, volonté de développer l’innovation participative ou encore de favoriser un climat de confiance, comme à la Française des jeux (lire l’avis du DRH p. 23): quels que soient les objectifs poursuivis, « le RSE est un catalyseur de la mise en réseau des acteurs de l’entreprise pour maximiser les opportunités de synergies et mobiliser l’intelligence collective afin de traiter une problématique », soutient Arnaud Rayrole.

CONVAINCRE LES MANAGERS

Encore faut-il que cette démarche collaborative soit soutenue, expliquée et accompagnée. « Généralement, le déploiement est précédé d’une phase pilote impliquant 5 % à 10 % de l’effectif, ce qui permet d’embarquer les collaborateurs les plus moteurs et de lever les réticences », illustre Vincent Bouthors. Les managers devant être les premiers convaincus qu’avec ces outils, qui induisent des façons de travailler différentes, ils gagneront en efficacité. Chez GrDF, c’est la raison d’être de la plate-forme d’échanges qui a été déployée en 2012 (lire p. 24). Il incombe donc aux DRH de proposer à l’encadrement des formations aux nouvelles pratiques managériales. Bouygues immobilier s’efforce ainsi de promouvoir un style de leadership plus coopératif et moins centré sur le contrôle des tâches (lire p. 23).

Un accompagnement encore sous-estimé, juge Vincent Bouthors. Et qui est pourtant le point clé de l’adoption d’un RSE : « Il faut instaurer le réflexe de partage, car déposer un document au bon endroit sur le réseau plutôt que d’envoyer un mail ne va pas de soi, souligne-t-il. Il est en outre très facile de porter un coup d’arrêt à cette dynamique : il suffit qu’un manager demande à son collaborateur s’il n’a rien de mieux à faire que de publier une information sur le RSE ou lui fasse des remarques sur son orthographe, et c’est terminé ! Tout cela nécessite des pratiques bienveillantes qui ne s’acquièrent pas de manière spontanée. » Les “e-managers” doivent donc apprendre à lâcher prise pour optimiser les interactions que permettent ces plates-formes.

Par ailleurs, si de multiples communautés se créent spontanément – et c’est également un choix RH que d’autoriser la constitution de groupes non professionnels –, certaines (centrées sur l’expertise, des projets particuliers, etc.) s’ouvrent à l’initiative de l’entreprise, « qui s’est rendu compte de la valeur de ces espaces gouvernés », souligne Isabelle Reyre. À charge, pour le DRH, d’identifier et de former ceux qui, par leurs compétences métier et digitales, leur connaissance de l’entreprise et leur talent de médiateur, pourront animer ces communautés, voire de superviser toute l’activité du RSE. Arctus, pour n’en citer qu’un, propose ainsi des formations de deux jours destinées aux community managers (pilotage opérationnel, dynamisation, gouvernance, tableau de bord de suivi).

DES QUALIFICATIONS OUBLIÉES

Avec les RSE, les DRH ont une sérieuse carte à jouer en termes d’intégration des nouvelles recrues (via les communautés). Et, surtout, de gestion des compétences dans l’entreprise. Les profils enrichis par les collaborateurs eux-mêmes (lire l’encadré ci-dessus) permettent de faire remonter des qualifications enfouies dans les CV (de fait, oubliées) et, plus globalement, tous les domaines d’expertise et les connaissances sur lesquels ils s’estiment suffisamment à l’aise pour être contactés par d’autres.

La promesse d’une base à jour des ressources humaines de l’entreprise – si les salariés jouent le jeu – qui devrait aussi donner une nouvelle dimension à la mobilité interne. « Les systèmes traditionnels d’évaluation reposant sur les fiches de poste ne donnent qu’une vue parcellaire des compétences accumulées par les collaborateurs. Ils ont atteint leurs limites ! », juge Arnaud Rayrole, évoquant, au passage, l’emballement pour la « recommandation » sur les réseaux sociaux professionnels. Les employeurs peuvent d’ailleurs, à travers la qualité des posts, voir émerger des profils intéressants et prometteurs.

Reste une grande interrogation : faut-il valoriser les contributions des uns et des autres sur le RSE ? Tenir compte du fait que certains jouent le jeu de la coopération, d’autres pas ? « Le problème, à l’heure actuelle, c’est qu’il n’y a jamais plus de 5 % ou 6 % de contributeurs actifs ; 10 % à 15 % sont réactifs et les autres ne font que lire les informations », remarque Lionel Ploquin, responsable de la mission usages numériques innovants à la Direction générale des finances publiques (la DGFiP étant dotée d’un RSE) et qui a copiloté un groupe de travail sur les RSE dans les administrations (lire ci-dessous). Même si, à terme, la démarche devrait être pleinement intégrée dans les pratiques, il est important d’encourager les personnes motrices pour amorcer le mécanisme – tout en gérant les phénomènes de surprésence et les “trolls”(2) qui polluent le réseau. »

Selon Vincent Bouthors, « il devient pertinent de prendre en compte la dimension collaborative dans les évaluations. Mais distribuer des incentives est généralement inadapté ». Il serait d’ailleurs « contre-productif », pour Arnaud Rayrole, de regarder précisément qui publie quoi : « Ce qui compte, en définitive, c’est le résultat, pas la manière de faire. » Chez Orange, qui a déployé son RSE, Plazza, dès la fin 2010 dans l’optique de recréer du lien social, les choses sont claires : « À l’exception des community managers mandatés par l’entreprise et évalués sur leur mission, il n’y a pas de valorisation pécuniaire de l’utilisation du réseau social, explique Ziryeb Marouf. C’est dans l’économie de partage qu’on trouve de la valeur, et la notion de générosité ne peut pas être objectivée ! »

1) Enquête menée en ligne du 13 janvier au 31 mars 2014 (474 réponses traitées, dont 21 d’entreprises du CAC 40).

2) Personne qui génère des polémiques sur Internet.

UNE PLATE-FORME D’EXPRESSION

Qu’est-ce qu’un RSE ? Pour Vincent Bouthors, Pdg de l’éditeur Jalios, il se définit par certaines caractéristiques essentielles.

D’abord, « les utilisateurs peuvent y décrire eux-mêmes ce qu’ils sont et font, en choisissant les informations – expériences, compétences… – qui leur semblent les plus intéressantes. L’aspect déclaratif peut paraître moins complet, mais il est en réalité plus riche », assure-t-il.

Ensuite, on y communique sous divers formats, depuis les simples likes, votes ou commentaires jusqu’à la conversation plus élaborée. « Ces discussions peuvent être structurées, par exemple dans le cadre d’une boîte à idées, où l’on va pouvoir commenter, enrichir et, au final, sélectionner les meilleures trouvailles, explique-t-il. Dans une foire aux questions, le fait de structurer les questions et les réponses permet de les classer par ordre de pertinence. Bref, le RSE permet des échanges qui ne se perdent pas et dont on tire le meilleur parti possible. »

S’y ajoute enfin la notion de flux d’activité. « Le salarié reçoit les informations en lien avec ses centres d’intérêt, il est averti de ce qui se dit dans les espaces de discussion. Et, là encore, le flux peut être structuré, en distinguant ce qui nécessite une action – par exemple une relecture ou une validation – de la part de l’utilisateur. Ce qui évite que l’information soit perdue dans la masse », complète Vincent Bouthors.

Pour l’éditeur, le RSE a vocation à s’intégrer dans un intranet collaboratif*. « Sur l’intranet social, c’est l’institution qui parle, précise Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko.

Tandis que, sur le RSE, c’est la parole des salariés qui circule. C’est un mécanisme de diffusion, d’organisation et de hiérarchisation de l’information différent, mais les deux approches sont complémentaires. »

* Doté de fonctionnalités sociales permettant l’interaction sur les contenus et d’espaces de travail collaboratifs.

Des enjeux juridiques

« Dans huit ou neuf cas sur dix, selon les fonctionnalités qui y sont proposées, le déploiement d’un réseau social d’entreprise (RSE) nécessite une information consultation des instances représentatives du personnel et ce, pour plusieurs raisons », prévient Emmanuel Walle, avocat en charge du département droit du travail numérique au sein du cabinet Alain Bensoussan Avocats. L’introduction de cet outil peut en effet avoir un impact sur l’organisation du travail (article L2323-13 du Code du travail).

En outre, il permet de collecter des données personnelles sur les salariés. Et peut éventuellement être utilisé à des fins d’évaluation (article L2323-32): « Cette problématique va émerger avec l’expansion de ces plates-formes dans les grands groupes. Tout dépend du niveau de maturité des projets et de l’analyse RH qui en est faite, mais il est important de lister l’ensemble des possibilités qu’offre le RSE et de se poser la question de l’évaluation des managers, dès lors que l’utilisation de ces outils a un impact sur l’efficacité de l’organisation. »

Il faut également adosser au RSE des conditions générales d’utilisation – information sur l’ensemble des fonctionnalités, accessibilité pour les personnels non équipés, règles de bonne conduite, engagements du concepteur… –, sans oublier le droit à l’information des utilisateurs concernant la collecte et le traitement des données, le droit d’accès et de rectification (article 39 de la loi Informatique et libertés), le droit à l’oubli et la durée de conservation des données, etc. L’entreprise est d’ailleurs tenue de faire une déclaration à la Cnil : « Il est intéressant, à cet égard, d’établir des passerelles entre DSI et DRH, et que chacun soit sensibilisé à ces enjeux. »

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT