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L’enquête

OUTILS : LES MATHS AU SECOURS DE L’ÉGALITÉ SALARIALE

L’enquête | publié le : 17.02.2015 | E. F.

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OUTILS : LES MATHS AU SECOURS DE L’ÉGALITÉ SALARIALE

Crédit photo E. F.

Dans certaines entreprises pionnières, la recherche de l’égalité salariale est entrée dans une phase technique : afin de diagnostiquer les écarts, elles recourent à des modèles statistiques. Ces derniers procurent un gain de fiabilité, mais leur utilisation n’est pas à la portée de tous.

Les DRH ont beau travailler sur la “pâte humaine”, les maths leur sont parfois utiles. Par exemple pour mesurer les écarts de salaire entre les hommes et les femmes. Un tel diagnostic est intéressant pour mieux connaître les pratiques de son entreprise, être plus équitable et performant et faire de la pédagogie vers les salariés et leurs représentants. « Les entreprises s’aperçoivent souvent que l’écart est plus faible que ce qu’elles-mêmes pensaient », constate Pierre Lamblin, directeur du département études à l’Apec, qui réalise ce type de diagnostic. À noter que celui-ci ne permet pas de démontrer une discrimination – le juge traite de situations individuelles – mais seulement de repérer des écarts. Enfin, ce diagnostic est une nécessité pour objectiver des rattrapages de salaires – pratique de plus en plus courante dans les entreprises.

DIVISION EN SOUS-GROUPES HOMOGÈNES

Il existe plusieurs méthodes pour mesurer les écarts de salaires hommes-femmes, mais le principe reste toujours le même : « Mesurer les écarts à caractéristiques équivalentes », explique Jean-François Amadieu, professeur à Paris 1, directeur de l’Observatoire des discriminations, donc à coefficients, âges, anciennetés, diplômes… égaux. Une façon de procéder consiste à diviser les salariés en sous-groupes homogènes. « Cela suppose des effectifs suffisants dans les deux sexes afin de faire des comparaisons salariales hommes-femmes, idéalement par métiers, rappelle Jérémy Guyon, consultant chez Secafi. S’il n’y a pas d’hommes, ou de femmes, dans un sous-groupe, on ne peut pas conclure à des discriminations salariales. On ne peut conclure qu’au caractère “genré” du métier. » Autre limite de la méthode : « On constatera que les hommes et les femmes sont payés de la même façon à poste égal, mais on risque de passer à côté de la ségrégation professionnelle », explique Dominique Meurs, professeure d’économie à Paris 10, qui s’apprête à publier une étude sur les écarts de rémunération dans la fonction publique. Or une bonne part des écarts de salaire s’explique par la concentration des femmes dans certains emplois.

Pour contourner ces deux écueils, les entreprises peuvent alors recourir aux statistiques. La méthode qui a fait ses preuves est la régression linéaire multiple et ses variantes (lire p. 21). Cinq ou six variables suffisent en général à expliquer l’essentiel des écarts de rémunération entre salariés, si le sexe en fait partie, c’est qu’il y a un problème. Le grand jeu des chercheurs en économie est d’ajouter des variables afin de réduire la part inexpliquée des écarts de salaires. Une récente étude du Centre d’études de l’emploi a ainsi démontré l’incidence des variables non cognitives (les “traits de caractère”) sur ces écarts (lire l’interview p. 26).

RECOURS AUX STATISTIQUES

Bosch, HP (Hewlett Packard) et CGI ont recouru à la statistique pour vérifier l’équité de leur politique salariale. Bosch voulait démontrer à ses partenaires sociaux qu’il n’y avait pas, chez lui, les 24 % d’écart entre salarié(e)s constatés dans la population active française ; il a quand même trouvé que les écarts de salaires s’expliquent principalement selon le sexe (lire p. 25) et a mené une politique autour du congé maternité et parental. CGI a démontré que ses pratiques salariales étaient globalement saines, mais le choix des variables observées fait l’objet de contestations de la part d’un syndicat (lire p. 24).

HP, après avoir éprouvé les limites de la méthode Comparatio (comparaison des salaires de l’entreprise avec ceux du marché), est passé à la régression linéaire multiple. Les discussions techniques qui ont suivi ont rapidement poussé les syndicats jusqu’aux limites de leurs compétences, et il s’avère compliqué de communiquer sur les résultats auprès des salariés (lire p. 23).

C’est une des difficultés des statistiques. Les professeurs d’université et les consultants en économétrie ont beau soutenir qu’elles sont à la portée de presque tous, « toutes les DRH ne sont pas équipées des compétences adéquates », admet Jean-François Amadieu. C’est aussi pour cela que des entreprises sollicitent l’aide de prestataires (notamment l’Apec et Eurodecision ; lire p. 22), qui apportent en outre une objectivité appréciée des partenaires sociaux. Mais cette sous-traitance a un coût. En outre, les informations ne sont pas toujours disponibles. Jean-François Amadieu rapporte par exemple que les entreprises ne fournissent jamais de données (même anonymes) sur les porteurs de mandats syndicaux. Enfin, on aura beau multiplier les variables, une part des écarts sera toujours inexpliquée. « Afin de les justifier, on évoquera par exemple l’état du marché de l’emploi », relate Pierre Lamblin. Les contraintes et les limites des statistiques peuvent dès lors rebuter les entreprises. Dominique Meurs préconise de faire simple : « Il suffit souvent de regarder comment les femmes et les hommes se répartissent dans les coefficients de la convention collective pour identifier la source des inégalités. » Un simple tableau à double entrée suffit pour identifier un plafond de verre ou une concentration dans certains métiers.

Auteur

  • E. F.