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L’INTERVIEW : ISABELLE BENSIDOUN ÉCONOMISTE AU CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 17.02.2015 | EMMANUEL FRANCK

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L’INTERVIEW : ISABELLE BENSIDOUN ÉCONOMISTE AU CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

« Les “traits de caractère” expliquent 6,3 % de l’écart total de salaires entre les femmes et les hommes »

Vous avez publié en janvier, avec Danièle Trancart, une étude* sur le rôle des caractéristiques non cognitives dans les écarts de salaires hommes-femmes. De quoi s’agit-il ?

La réduction des écarts de salaires entre les hommes et les femmes est au point mort depuis une vingtaine d’années en France. Nous avons cherché à savoir si ces écarts peuvent s’expliquer, au-delà des facteurs traditionnels – temps de travail, caractéristiques professionnelles, éducation, expérience… –, par des caractéristiques non cognitives, c’est-à-dire des facteurs socio-psychologiques : la préférence pour la famille plutôt que pour la carrière, l’attitude face au risque et le rapport à l’avenir professionnel.

Nous avons donc d’abord cherché à savoir si les hommes et les femmes présentent des caractéristiques non cognitives différentes, puis à vérifier si – et à quelle hauteur – ces caractéristiques ont une incidence sur leur écart de salaires et leurs choix professionnels, ces derniers ayant une incidence sur les salaires.

On ne dispose pas, en France, d’enquêtes détaillées sur les préférences des individus ou leurs traits de caractère. Pour contourner cette faille – c’est l’un des apports de notre étude –, nous nous sommes appuyés sur les résultats de l’enquête “Génération 1998 à dix ans”, du Céreq.

L’attitude face au risque apparaît par exemple dans la question sur la perspective de se mettre à son compte. L’enquête du Céreq demande également aux personnes si elles sont optimistes ou inquiètes pour leur avenir professionnel. La préférence pour la carrière ou pour ménager sa vie hors travail est également interrogée.

A quels résultats parvenez-vous ?

Il ressort que les hommes disent plus fréquemment vouloir faire carrière que les femmes, qu’ils sont plus optimistes sur leur avenir professionnel et qu’ils ont un goût pour le risque plus prononcé. Nous démontrons que ces différences de “traits de caractère” expliquent 6,3 % de l’écart total de salaires entre les femmes et les hommes, qui est de 21,2 %.

La prise en compte des “traits de caractère” permet ainsi de réduire la partie inexpliquée des écarts de salaires. Il reste que cette dernière demeure conséquente : plus de 60 % de l’écart de salaires entre femmes et hommes ne sont liés ni aux facteurs traditionnels ni aux facteurs non cognitifs. Ces écarts non justifiés ne sont pas liés non plus au fait que les hommes valorisent mieux leur diplôme, leur expérience, leurs caractéristiques professionnelles (encadrement, notamment) ou non cognitives, mais à des raisons inexpliquées qui font qu’en tant qu’hommes, on leur accorde une rémunération supérieure à celle des femmes.

L’incidence des “traits de caractère” sur les écarts de rémunération semble finalement assez faible.

Les caractéristiques non cognitives ont bien sûr beaucoup moins d’incidence sur les écarts de salaires que, par exemple, le temps partiel ou le fait d’encadrer une équipe, mais elles pèsent deux fois plus que l’expérience et davantage que la formation qui joue à l’avantage des femmes. En outre, pour les raisons évoquées plus haut, nous n’avons pu mesurer l’influence de seulement certains facteurs socio-psychologiques.

Votre étude ouvre-t-elle des pistes aux pouvoirs publics et aux entreprises pour réduire cet écart ?

Les déterminants les plus importants des écarts de salaire renvoient à des constructions sociales, à des stéréotypes de genre, selon lesquels les femmes se doivent d’investir la sphère familiale et les hommes la sphère professionnelle. Il faut donc déconstruire ces stéréotypes. C’est ce que tente de faire l’Éducation nationale avec les ABCD de l’égalité, dont on a vu les réactions qu’ils ont suscitées. C’est aussi ce que devraient faire les DRH qui, lors des recrutements, continuent d’assigner un certain nombre de qualités ou de compétences aux candidats selon leur sexe. Une autre piste pour les DRH serait de pratiquer la transparence des rémunérations. Des études ont en effet montré que les femmes sont moins enclines que les hommes à négocier leur salaire, mais que le fait de connaître les rémunérations de ses collègues incite à le faire.

* “Écarts de salaires hommes-femmes : quels rôles des caractéristiques non cognitives ?”, document de travail 177, Centre d’études de l’emploi, janvier 2015.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK