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L’enquête

HP : QUAND LES NÉGOCIATEURS FONT DES MATHS

L’enquête | publié le : 17.02.2015 | CHANTAL FÉMINIER

Chez le fabricant informatique, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes ont déjà été évalués par deux méthodes successives. La dernière, appliquée par la direction le 1er octobre 2014, a été amendée depuis par les partenaires sociaux et intégrée au dernier accord égalité professionnelle, qui devrait être signé ce mois-ci.

En 2010, HP, qui emploie 4 300 salariés, a signé pour trois ans un accord égalité professionnelle prévoyant une enveloppe de 1 million d’euros pour combler les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. La méthode utilisée pour diagnostiquer ces écarts avait été coconstruite par la direction, les syndicats et le cabinet de conseil Sextant, intervenu alors dans le cadre d’une mission paritaire.

Élaborée à l’aide de l’outil Compa-ratio, qui donne le positionnement moyen des salariés par rapport à un salaire de référence du marché (par exemple, untel est à 120 par rapport à la référence 100 du marché), elle permettait d’évaluer, au sein de groupes de métiers ou de classifications, les écarts de salaires entre femmes et hommes, non justifiés par l’âge ou l’ancienneté.

Mais la méthode n’a pas résisté à l’épreuve de la mise en pratique : « La nécessité de créer des groupes supérieurs à 30 salariés conduisait à réunir certains métiers de manière incohérente avec des moyennes faussées, décrit Jean-Louis Turlier, délégué syndical CFTC et président de la commission égalité professionnelle du CE HP France. De même, dans des métiers très féminins, où il peut y avoir un homme débutant pour dix femmes expérimentées, la comparaison femmes-hommes était trompeuse ». Plusieurs femmes s’estimaient toujours discriminées.

Les syndicats trouvent également injuste de réserver les mesures de rattrapage aux seules femmes, comme le prévoyait l’accord. Ils le font savoir lorsque démarre, en juin 2013, la négociation pour le renouvellement de l’accord déjà prolongé d’une année.

« Au départ, nous voulions juste faire évoluer la méthode d’évaluation », assure Jean-Louis Turlier. Mais, au fil des réunions, les partenaires ne parviennent pas à surmonter les obstacles décrits plus haut. « Le 1er avril 2014, voyant que la négociation patinait, la direction nous a proposé d’appliquer la méthode statistique de régression linéaire multiple étudiée par un cadre du département total rewards [finances, DRH, paie, mutuelle] féru de mathématiques. On a cru à une blague : que venaient faire les maths dans une négociation syndicale ! ? », se souvient le délégué CFTC.

MÉTHODE STATISTIQUE

Perplexes, les syndicats confient à Sextant le soin d’expertiser la nouvelle méthodologie. « Compte tenu de sa technicité, le cabinet a lui-même sollicité l’appui de chercheurs du CNRS », souligne Jean-Louis Turlier. En juillet, le cabinet livre ses conclusions et pointe un problème majeur : la méthode ne permet pas d’évaluation individualisée, et toutes les femmes bénéficiaient du même rattrapage : trop pour les unes, pas assez pour les autres », commente Fabrice Elustondo, directeur des équipes sociales de Sextant. « La direction proposait en effet d’augmenter d’office toutes les femmes de 100 euros par an pour rendre la variable sexe non significative. Nous avons refusé », explique Jean-Pierre Turlier.

L’accord n’étant toujours pas signé, la direction, qui n’a pas souhaité s’exprimer, opte, en octobre 2014, pour l’application unilatérale de la méthode, déjà partiellement corrigée. Les 4 300 salaires sont ainsi passés au crible ; 639 salariés bénéficient d’une régularisation, dont 2 hommes, soit 15 % de l’effectif global et 48 % de l’effectif féminin. L’augmentation moyenne accordée est alors de 0,8 % (minimum 0,1 %, maximum 4,1 %).

Finalement, la méthode de régression linéaire multiple amendée en profondeur est intégrée au chapitre rémunération du projet d’accord d’égalité professionnelle. Le modèle retenu consiste à réaliser une équation en deux temps : d’abord avec la variable sexe, puis sans, la différence entre les deux résultats représentant l’écart entre le salaire théorique des femmes et le salaire théorique “asexué”.

Une commission de suivi est prévue, qui traitera les cas individuels litigieux et pourra, si nécessaire, introduire de nouvelles variables. Pour financer les rattrapages, les syndicats ont obtenu une enveloppe globale de 1,2 million d’euros, susceptible d’être augmentée à chaque NAO. « Malgré les imperfections techniques et le manque de transparence – les détails des calculs sont top secret – ; nous incitons les syndicats à signer cet accord parce qu’il reconnaît l’existence d’écarts de rémunération et qu’il bénéficie d’un financement », explique Fabrice Elustondo.

FACTEURS INEXPLICABLES

Un point de divergence, cependant, subsiste : une part (15 %) des écarts est due à des facteurs inexplicables. « Partant de là, note Jean-Louis Turlier, la direction considérait qu’il n’y avait pas lieu de rattraper un écart en deçà de 420 euros par an. Nous avons obtenu que cette disposition ne soit pas appliquée avant fin 2016 et sous réserve d’une discussion préalable. » Enfin, les partenaires sociaux s’accordent sur le fait que la méthodologie sera difficile à présenter aux salariés…

REPÈRES

Activité

Fabricant de matériel informatique.

Effectif France

4 300 salariés.

Chiffre d’affaires monde

82,6 milliards d’euros.

Auteur

  • CHANTAL FÉMINIER