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Sur le terrain

RETOUR SUR… La coopération transnationale sur le détachement des travailleurs

Sur le terrain | Pratiques | publié le : 03.02.2015 | N. L.

Depuis 2011, Eurodétachement permet des échanges d’informations et de bonnes pratiques sur le détachement des travailleurs, entre administrations du travail et partenaires sociaux de plusieurs pays européens. Quatorze pays participants, une soixantaine d’inspecteurs formés et des partenaires sociaux mobilisés constituent un dispositif encore modeste.

« En Pologne, les inspecteurs du travail ne peuvent avoir accès à certaines informations fiscales, contrairement à la France. » Affecté depuis près de dix ans à la lutte contre le travail illégal, Michaël Robin, inspecteur à la Direccte Lorraine, s’est rendu en Pologne durant une semaine l’an dernier, dans le cadre du projet Eurodétachement : « Connaître le fonctionnement et les prérogatives de l’administration du travail polonaise permet d’affiner nos demandes et d’en cerner les limites. Un inspecteur polonais est également venu en Lorraine. Il a visité une entreprise employant deux intérimaires polonais. L’un d’eux lui a signalé, de retour en Pologne, que son entreprise lui avait demandé de rembourser les frais d’hébergement en France. Ce qui a permis aux autorités polonaises d’instruire le dossier en vue de régulariser la situation. » Animé par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (Intefp) depuis son lancement en 2011, le projet Eurodétachement est financé à 80 % par la commission européenne. « Il existe de nombreux lieux de réflexions sur la réglementation, analyse Daniel Xirau, responsable du pôle partenarial de l’Intefp. Pour apporter une valeur ajoutée, nous nous situons plutôt sur les pratiques, sur les marges de manœuvre dans le cadre législatif actuel. La coopération telle qu’elle est encadrée par les textes ne peut se décréter, elle doit se construire entre les acteurs concernés. »

Le premier projet, mené en coordination avec Astrees, a permis à des inspecteurs du travail de six pays (France, Portugal, Espagne, Belgique, Luxembourg et Pologne) de suivre un cursus commun de formation et de croiser leurs regards. Ces six pays envoient ou accueillent de nombreux travailleurs détachés. Une mobilité essentielle pour la circulation du savoir et le développement économique, mais de plus en plus difficile à réguler.

Demandes de renseignements

« Nos systèmes nationaux de contrôle sont souvent assez différents, explique Joana Amorim, inspectrice du travail portugaise et référente Eurodétachement pour son pays. Nous recevons beaucoup de requêtes des Français et des Belges concernant des travailleurs détachés portugais dans la construction et le travail temporaire. C’est important de comprendre les informations dont ils ont besoin. Les périodes d’immersion des inspecteurs dans les différents pays facilitent ces échanges. » Ceux-ci passent par l’IMI, le système d’information du marché intérieur, qui achemine et traduit les demandes de renseignements entre les bureaux de liaison de chaque pays.

Faux indépendants, détachements anormalement longs, entreprises sans activité dans le pays d’origine (simples “boîtes aux lettres”)… les principales dérives lèsent les salariés, faussent la concurrence et pénalisent les caisses de sécurité sociale (lire Entreprise & Carrières n° 1169). « À l’issue d’une enquête européenne menée il y a cinq ans auprès de plusieurs centaines d’interlocuteurs, relève Werner Buelen, secrétaire politique construction de la FETBB (syndicat européen de la construction), nous avons pu estimer que 85 % à 90 % des détachements comportaient un abus sur les charges sociales, les rémunérations, voire des fraudes plus larges. »

Les partenaires sociaux ont été au cœur du deuxième projet Eurodétachement, davantage ciblé sur les pays nordiques, où patronat et syndicats jouent un rôle important (en Finlande et au Danemark notamment). « Nous avons pu analyser un exemple de coopération dans le cadre d’un projet d’infrastructures en Finlande, relate Domenico Campogrande, directeur des affaires sociales de la Fiec (patronat européen de la construction). De quoi tirer des enseignements pour de futurs chantiers faisant intervenir de nombreux salariés de différentes nationalités. »

« Cette meilleure connaissance réciproque nous permet d’améliorer notre communication, sur le terrain et par Internet », ajoute Pierre Cuppens, vice-président de la FETBB. Depuis 2008, les représentants européens des salariés et des entreprises de la construction ont également développé un site commun d’information sur les règles applicables dans chaque pays.

Une coopération à amplifier

Pour autant, le projet Eurodétachement est-il correctement dimensionné, au regard de l’ampleur croissante des fraudes ? « En quatre ans, nous sommes passés de six pays impliqués à 14, avec un réseau de 60 inspecteurs du travail formés en 2014 et des coopérations avec les organisations syndicales et patronales de la construction, de l’agriculture et du travail temporaire, constate Marie-Hélène Anselme, responsable du projet à l’Intefp. Mais nous sommes conscients que la coopération transnationale en est à ses balbutiements et qu’elle doit être amplifiée sur le terrain. » Un bilan au centre du séminaire consacré à Eurodétachement, des 26 et 27 janvier à Bruxelles.

« Nous n’avons pas besoin de contrôler tous les détachements et tous les chantiers, complète Lionel de Taillac, responsable du groupe national de veille, d’appui et de contrôle à la DGT*. Il faut des actions ciblées et de la prévention. Eurodétachement permet d’améliorer nos demandes. Nous devons mieux expliquer nos requêtes à nos homologues européens et davantage les informer des suites données à leurs réponses ». Le principal défi, pour l’administration française comme pour ses homologues européennes, est de s’adapter à la complexification de la fraude, qui fait transiter les travailleurs détachés par un nombre croissant de pays.

* La commission nationale de lutte contre le travail illégal dresse son bilan annuel le 5 février.

Auteur

  • N. L.