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L’enquête

AGROALIMENTAIRE : DANS L’IMPASSE DE LA PÉNIBILITÉ

L’enquête | publié le : 03.02.2015 | ROZENN LE SAINT

Les multiples branches professionnelles du secteur ne se saisissent pas du compte pénibilité. Coop de France appelle même à son boycott. Isolées, de rares initiatives d’entreprises se détachent.

Coop de France, organisation professionnelle des coopératives agricoles, a demandé à ses entreprises de « ne pas appliquer en l’état le dispositif de pénibilité ». Dans son communiqué du 16 janvier, elle juge le dispositif « impossible à mettre en œuvre en raison de sa complexité ». D’autant plus « pour les TPE-PME, qui constituent les trois quarts des entreprises qui composent Coop de France : cela implique une analyse individuelle très fine, c’est décourageant », indique Emmanuel Paris, directeur des affaires sociales de Coop de France.

Même réflexion du côté de la FNSEA : « Les salariés sont souvent multitâches, ils exercent plusieurs métiers dans la même journée, parfois pendant des pics de température, d’autres non, par exemple. Il est très difficile de définir le temps passé dans des conditions de pénibilité », témoigne Jérôme Volle, vice-président de la commission emploi du syndicat agricole. Il craint aussi des conflits entre les employeurs et leur personnel : « Les exploitants travaillent souvent directement avec leurs salariés, et comme ils n’ont pas de DRH, ils devront évaluer sans intermédiaire leurs conditions de travail, cela peut créer des tensions au quotidien. »

ADAPTATIONS ATTENDUES

Même si le dispositif est entré en vigueur le 1er janvier pour quatre critères de pénibilité (travail de nuit, répétitif, en équipes successives alternantes et en milieu hyperbare), « l’obligation de cotiser sera constatée à la fin de l’année 2015 seulement », rappelle Emmanuel Paris, qui attend beaucoup de la mission de simplification (lire p. 21) qui devrait identifier les adaptations à réaliser d’ici au mois de juin.

Face aux demandes de simplification, le gouvernement a également appelé les branches professionnelles à la rescousse. Pour éviter de surcharger les entreprises, elles sont censées centraliser les avancées, établir et diffuser les modes d’emploi. « La solution pourrait être de recollectiviser l’attribution des points pénibilité, et les branches professionnelles devraient avoir un rôle à jouer », reconnaît Emmanuel Paris. Sauf que les coopératives agricoles sont couvertes par onze branches différentes… Sans aucune centralisation des éventuelles initiatives.

UNE ENTREPRISE PIONNIÈRE

L’usine rennaise Bridor du groupe Le Duff, dépendant de la branche de la boulangerie industrielle, a signé un accord pénibilité il y a deux ans, puis l’a renouvelé en décembre 2014. C’est une des rares qui semblent prêtes à mettre en place le compte pénibilité dans le secteur. Des responsables RH travaillent depuis des années avec le CHSCT pour réduire les sources de pénibilité, comme le bruit. Résultat, des contrôles ont déjà été réalisés : ce critère-là n’aurait pas été le plus compliqué à mettre en place même s’il a été reporté à 2016. Idem pour le port de charges lourdes : l’usine a investi dans des systèmes de chariots élévateurs automatiques afin d’éviter que les salariés portent des grilles de plus de 10 kg.

S’agissant des quatre critères prioritaires, les chefs d’équipe et responsables RH ont créé une fiche individuelle d’évaluation : « Les résultats économiques et le climat social sont bons, cela facilite la mise en place de ce genre de mesures contraignantes pour l’employeur », admet François-Xavier Agricole, représentant FO, syndicat majoritaire dans l’usine implantée dans une des zones géographiques où le chômage est le plus bas en France. Résultat, les salariés y restent. « La population des salariés vieillit ; l’employeur a compris que si on ne s’en occupait pas, ils seraient nombreux en arrêt de travail de longue durée », témoigne le délégué syndical, avant de souligner que l’initiative de cette entreprise, qu’il qualifie de « progressiste » n’est en rien impulsée par la branche de la boulangerie industrielle. Sur le sujet de la pénibilité, « il n’y a pas grand-chose de fait », selon lui.

« Il serait nécessaire d’ouvrir le dossier au niveau des branches, mais les organisations patronales n’en ont pas envie alors que les quatre critères de pénibilité entrés en vigueur le 1er janvier concernent pleinement le secteur », témoigne aussi Frédéric Malterre, secrétaire national de la FGA CFDT, syndicat ardent défenseur de la création du compte pénibilité. Pour le travail de nuit, par exemple, il craint que « les employeurs s’arrangent pour modifier légèrement les horaires et sortir ainsi les salariés du dispositif, car il existe des marges de manœuvre. » Il regrette que Coop de France en appelle à la désobéissance civile, dans le sillon de l’UPA, les représentants des artisans.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT