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UNE LOI POUR ACCÉLÉRER les procédures prud’homales

ZOOM | publié le : 27.01.2015 | Hubert Heulot

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UNE LOI POUR ACCÉLÉRER les procédures prud’homales

Crédit photo Hubert Heulot

Juges plus présents, formation, déontologie, délais de procédure encadrés. Selon le projet de loi sur la croissance et l’activité, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, les prud’hommes seront davantage intégrés au système judiciaire pour gagner en efficacité.

Faire des conseillers prud’homaux des « juges à part entière ». L’expression, utilisée à plusieurs reprises par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, et son entourage, est approximative. Dans la réforme qui est arrivée à l’Assemblée le 26 janvier (articles 83 et 84 du projet de loi sur la croissance et l’activité), les conseillers prud’homaux sont loin de devenir des magistrats. Mais la formule réapparaîtra dans les débats car elle indique la direction : les prud’hommes, cette justice des relations de travail – actuellement justice de la rupture du CDI pour 90 % des affaires –, originale en ce qu’elle est rendue par des conseillers employeurs et salariés réunis à parité, va devoir subir un contrôle plus étroit de l’institution judiciaire. Sous cette “pression”, les délais de traitement des affaires, devenus beaucoup trop longs (lire l’encadré p. 7), pourraient se réduire.

Pour cela, Christiane Taubira compte sur une innovation majeure de la loi : le bureau de jugement restreint à deux conseillers au lieu de quatre, l’un employeur, l’autre salarié. Comme en référé. Comme au bureau de conciliation, en début de procédure. Cette partie du texte a fait l’objet de nombreux amendements en commission. Le projet de loi prévoit que ce bureau pourra être sollicité, à la demande d’une des parties, dans les affaires de licenciement (ou de demande de résiliation judiciaire) – plus de 90 % des cas – et n’aura que trois mois pour statuer. Ce bureau de jugement pourra comporter un juge professionnel, dit « départiteur », pour départager deux conseillers qui n’auraient pas réussi à se mettre d’accord ; on parlera alors de « formation de jugement ».

bureau de conciliation et d’orientation

Cette formation avec juge pourra être saisie dès le début de la procédure par le bureau de conciliation (deux conseillers), rebaptisé bureau de conciliation et d’orientation. Celui-ci voit réaffirmer son rôle d’accoucheur d’un compromis immédiat entre les parties. Et, avec lui, celui des conseillers prud’homaux qui le composent. « Il entre dans la mission du bureau de conciliation et d’orientation de concilier les parties », rappelle le projet de loi. Car, dans beaucoup d’endroits, le bureau de conciliation (dix minutes par dossier à Paris) ne dresse que l’état du dossier et constate le désaccord.

Mais surtout, l’intervention d’un juge « départiteur » n’attendra plus forcément le désaccord entre les conseillers prud’homaux. Elle aura lieu dès qu’une partie la demandera. Là aussi, le temps de traitement global des dossiers pourrait s’en trouver raccourci.

Pour résoudre le problème des délais, tout ne passe pas par la loi. Denys Robiliard, député du Loir-et-Cher et rapporteur du volet social du projet de loi sur la croissance et l’activité à l’Assemblée (hors travail dominical), « attend de la ministre qu’elle indique les mesures réglementaires qui seront aussi prises ». Christiane Taubira a évoqué de nouvelles « garanties procédurales de nature à améliorer le traitement des litiges, notamment l’instauration d’un calendrier de procédure évitant les manœuvres dilatoires ». Pour ­Denys Robiliard, « le rapport au temps de l’institution des prud’hommes va être modifié ».

« Bureau de jugement à deux ou à quatre, avec ou sans juge départiteur, cela fait beaucoup de procédures possibles. Le système se complexifie », observe Laurence Gautier, conseillère prud’homale côté employeur à Bordeaux, et présidente du conseil de prud’hommes. Pour Bruno-André Giraudon, conseiller prud’homal CFTC à Paris : « Nous devrons apprendre à juger à deux. Cette situation, en bureau de jugement restreint, conduit a priori à plus de blocages qu’à quatre, où l’on peut décider à trois contre un. Là, il faudra se mettre d’accord, sauf à voir l’affaire passer dans les mains d’un juge. »

L’intervention possible plus fréquente des juges professionnels fait beaucoup réagir les conseillers prud’homaux : « Si l’on doit systématiquement se retrouver avec un juge départiteur, l’intérêt d’un mandat de conseiller prud’homal diminue considérablement », prévient Laurence Gautier, laissant poindre le risque de tarissement des vocations. Pour Bruno-André Giraudon, ce pas vers l’échevinage est une « grande déception ». « Que le juge départiteur devienne l’alpha et l’oméga des prud’hommes, et nous perdrons en équité. Je crains les analyses trop juridiques, les décisions un peu déconnectées de la réalité de l’entreprise dont nous sommes, employeurs ou salariés, des connaisseurs, ce qui nous rend plus justes ! »

Le rôle des juges s’accroît d’autant plus qu’ils pourront, à la demande du premier président de la cour d’appel, « en cas d’interruption durable de son fonctionnement ou en cas de difficultés graves », prendre la main sur le conseil des prud’hommes. Des juges du tribunal de grande instance, désignés par lui, traiteront les affaires tant que le conseil ne sera pas en mesure de fonctionner.

Obligation de formation

Le projet de loi met d’autres ressorts en place. La formation initiale et continue des conseillers prud’homaux devient obligatoire, en plus de celles qu’ils suivent dans leurs organisations patronales ou syndicales. Une commission nationale de discipline est créée. Elle veillera notamment à leur respect de la déontologie de leur fonction. Le défenseur syndical prend du galon. Il acquiert un vrai statut et il est rétribué par son employeur, qui est ensuite remboursé par l’État. Il peut intervenir en appel. Dernière “normalisation” judiciaire : la Cour de cassation pourra se prononcer sur des conventions ou accords collectifs posant problème dans les instances prud’homales.

Entre 26 et 80 magistrats supplémentaires

Le ministère de la Justice a réalisé une étude d’impact de la réforme des prud’hommes. Elle nécessiterait entre 26 et 80 juges supplémentaires. Ils émaneraient des tribunaux de grande instance, dont les effectifs sont supérieurs à ceux des tribunaux d’instance, d’où viennent les juges départiteurs aujourd’hui.

Auteur

  • Hubert Heulot