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LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Chronique | publié le : 27.01.2015 | STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE

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LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Crédit photo STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE

Quand les juges du fond touchent le fondLes juges d’appel ont consciencieusement occulté l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur en matière de prévention des risques professionnels, et notamment de harcèlement.

Par construction plutôt favorables aux salariés, les prud’hommes laissent parfois parler leur instinct protecteur au profit de salariés qui ne le méritent vraiment pas. Et parfois au mépris de la règle de droit. De sorte que les décisions des juges du fond sont ensuite censurées par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui veille à faire rentrer les brebis égarées dans le troupeau.

L’arrêt rendu le 3 décembre 2014 (Cass. Soc. n°.13-22151) illustre ce type d’égarement des juges du fond.

À l’origine de cette décision, le licenciement pour faute grave d’un formateur de Renault pour harcèlement sexuel, résultant de brimades, propos désobligeants et vexatoires, attitude indécente et comportement indélicat, réitérés, à l’égard de jeunes femmes en stage de professionnalisation.

Le conseil de prud’hommes, en départage, puis la cour d’appel ont considéré que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Quatre jeunes femmes en contrat de professionnalisation avaient pourtant témoigné par écrit de propos très déplacés, tenus par leur supérieur sur leur apparence (« que tu es belle », « tu es trop mignonne », « tu t’habilles bien »), de propos plus crus de nature sexuelle (« bon, c’est quand qu’on couche ensemble », « tu as vu la nuit qu’on a passé tous les deux, ça t’a plu », « tu t’es fait violer »), et de gestes ambigus (prendre la main, caresser la cuisse, les photographier à leur insu).

Contre toute attente, les juges du fond n’ont été choqués ni par la grossièreté des propos, ni par l’indécence du comportement, ni par la vulnérabilité des victimes ; un quinquagénaire, avec quatorze ans d’ancienneté, interpellait ou tripotait des jeunes femmes de 20 ans en contrat d’apprentissage, qu’il était censé former… Ils ont jugé les griefs invoqués par la société insuffisamment établis et non pertinents pour constituer des atteintes à la dignité des stagiaires justifiant le licenciement !

Au regard des textes applicables et des obligations de l’employeur en la matière, la clémence des juges du fond est inexplicable.

En retenant que le comportement « familier » du salarié ne pouvait s’analyser en une invitation ou une provocation à caractère sexuel, ni révéler une quelconque atteinte délibérée à la dignité, la cour d’appel a fait fi des dispositions de l’article L. 1153-1 du Code du travail. Car, pour caractériser le harcèlement sexuel, ce texte n’exige pas que soit rapportée la preuve d’une intention réelle d’obtenir un acte de nature sexuelle. L’intention apparente suffit à caractériser la faute.

Les juges d’appel ont aussi consciencieusement occulté l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur en matière de prévention des risques professionnels, et notamment de harcèlement. Ils sont pourtant les premiers à sanctionner lourdement les employeurs qui restent passifs devant la survenance d’un harcèlement sexuel (car, au fond d’eux, ils les considèrent vaguement complices).

Enfin, la cour d’appel s’est affranchie de l’avis des juges suprêmes qui, depuis leur arrêt de principe du 5 mars 2002, considèrent que le harcèlement sexuel par un supérieur hiérarchique constitue nécessairement une faute grave.

Mettant un terme à cette erreur d’appréciation grave, la Cour de cassation a sèchement cassé l’arrêt.

La décision de la Haute juridiction doit être saluée. D’abord parce qu’elle est conforme à l’esprit de la loi du 6 août 2012. Sous l’impulsion du droit communautaire, ce texte s’est attaché à donner du harcèlement sexuel une définition précise et plus large, afin d’en faciliter la répression. Ensuite parce que si – sous couvert de paternalisme – des comportements machistes de ce type pouvaient passer inaperçus voilà trois décennies, ils ne sauraient désormais plus être tolérés, a fortiori dans des entreprises parangons de parité, diversité, et responsabilité sociale.

Les salariés (masculins ?) doivent intégrer que la familiarité, la grossièreté et l’indécence n’ont plus leur place dans l’entreprise.

Auteur

  • STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE