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L’interview

Delphine Lacaze : «LES MANAGERS DOIVENT ÊTRE SOUTENUS POUR ACCOMPAGNER LES JEUNES SALARIÉS»

L’interview | publié le : 20.01.2015 | Éric Delon

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Delphine Lacaze : «LES MANAGERS DOIVENT ÊTRE SOUTENUS POUR ACCOMPAGNER LES JEUNES SALARIÉS»

Crédit photo Éric Delon

Faute de temps et de formation, les managers intermédiaires éprouvent des difficultés à accueillir, à gérer et à motiver une jeune génération, certes prête à s’investir professionnellement, mais qui refuse de signer un chèque en blanc à l’entreprise.

E & C : Dans l’univers professionnel, la spécificité de la génération Y* est-elle, selon vous, un mythe ou une réalité ?

Delphine Lacaze : Lorsqu’on évoque cette génération, on a tendance à l’opposer au salarié du passé, une sorte d’idéal – fidèle, soumis à l’autorité, dévoué à son employeur – qui n’a sans doute jamais existé. Jamais la gestion des personnes au sein d’une organisation n’a représenté une tâche aisée pour les managers. La génération Y a sans doute la particularité de placer le management face à ses propres contradictions et à l’interroger de diverses manières. Pourquoi se comporter de manière loyale, alors que l’entreprise considère les salariés comme la principale variable d’ajustement en cas de difficulté économique ? Quel crédit accorder à des règles qui ne s’appliquent guère en haut de la hiérarchie ? Pourquoi être généreux vis-à-vis d’une entreprise lorsque celle-ci l’est surtout vis-à-vis de ses actionnaires ?

Il n’existe pas plus de “canards boiteux” dans la génération Y qu’au sein des autres générations. Les études de terrain montrent que, lorsque les employeurs tiennent leurs promesses, les membres de cette “jeune” génération sont capables de réaliser les efforts nécessaires pour s’adapter à des environnements de travail complexes, de se former, de travailler de manière intense, de se montrer innovants, de collaborer en équipe… Pour demeurer compétitives, les entreprises ont incontestablement besoin de flexibilité, notamment au niveau de l’emploi. Si les jeunes collaborateurs confient volontiers qu’ils ne se sentent pas “mariés” avec elle, ils se montrent tout à fait capables de s’impliquer dans leur travail à condition d’y trouver un intérêt. La vie professionnelle peut donc devenir extrêmement impliquante et déborder sur le temps de la vie privée. La génération Y l’accepte volontiers mais revendique, en échange, que cette vie privée puisse être éventuellement gérée pendant le temps de travail.

Traditionnellement domaine réservé des femmes, l’organisation de la vie familiale est désormais, en partie, assumée par les hommes de cette génération. Pour elle, ce qui compte avant tout, c’est que les tâches sont accomplies, quitte à sacrifier le respect des formes et de l’étiquette. Les membres de la génération Y considèrent que la carrière ne rime pas nécessairement avec progression linéaire et accordent davantage d’importance au développement personnel que professionnel. Au cours d’une vie, il est acté que des pauses sont envisageables pour pouvoir se consacrer à des projets personnels.

Par quels moyens motiver cette nouvelle génération arrivée dans les entreprises ?

Les nouveaux arrivants sont capables de se motiver fortement pour une mission, même temporaire, à condition qu’ils y trouvent un intérêt. Ces intérêts peuvent être regroupés en trois grandes catégories : autonomie, montée en compétences et sentiment d’appartenance. L’autonomie ? Les membres de la génération Y veulent pouvoir décider de la manière de réaliser leur mission tout en acceptant de recevoir des conseils et du feedback. Ils veulent avoir le sentiment d’être à l’origine de leurs actes et non pas de simplement répondre à des injonctions. La compétence ? Ces jeunes veulent se sentir capables de résoudre les problèmes afférents à leur mission et des problématiques de plus en plus complexes. D’où l’intérêt accordé à leur montée en compétences à travers, notamment, la formation. Le sentiment d’appartenance ? Ils souhaitent évoluer dans un climat de travail convivial, dans le cadre d’une relation “d’égal à égal” avec les autres salariés. Ils refusent en bloc l’autoritarisme, ils veulent être respectés en tant que personne. Ils trouvent parfaitement légitime de reconnaître la valeur de la contribution d’un stagiaire et réfutent l’iniquité et le cynisme.

Les managers intermédiaires sont-ils donc totalement démunis pour “entraîner leurs troupes” ?

Non. Certains y arrivent très bien. La difficulté de la relation avec un nouvel arrivant est souvent liée au manque de temps à lui accorder. Cela conduit à des situations paradoxales. Un jeune collaborateur est embauché pour assister un manager, mais ce dernier ne trouve pas le temps nécessaire pour le former et l’accompagner. Bien souvent, les managers intermédiaires n’exercent pas de contrôle sur les formations et les évolutions de carrière de leurs collaborateurs. Ce qui est dommage. Il n’est pas rare qu’une demande de recrutement d’un jeune en CDI ne soit pas validée par la DRH.

Faute de formation adéquate, des managers intermédiaires “souffrent” d’un déficit flagrant en termes de leadership. Ils oscillent entre un excès de dirigisme et un excès de laisser-faire. Enfin, certains se sentent en danger eux-mêmes et perçoivent les jeunes comme une menace. Par ailleurs, le rôle du supérieur hiérarchique, pourtant essentiel pour satisfaire le besoin d’autonomie des nouveaux arrivants, n’est pas assez valorisé par les organisations, faute de moyens. Idéalement, un manager intermédiaire doit pouvoir confier des missions claires et précises à son collaborateur tout en lui laissant la liberté de trouver les moyens de les remplir. Il doit se montrer présent en cas de difficulté tout en délivrant du feedback régulièrement. Le manager intermédiaire doit également savoir organiser la montée en compétences de ses collaborateurs. À cet égard, les pratiques telles que la formation, le tutorat, les séminaires peuvent aider à satisfaire ce besoin. Enfin, le soutien des agents de socialisation – collègues, parrain… – peut répondre au besoin légitime de se sentir “en relation” avec les autres membres de l’équipe.

Comment les DRH doivent-ils s’emparer de cette question de l’intégration des jeunes générations ?

La DRH a un rôle essentiel pour structurer le parcours d’intégration et vérifier sa mise en œuvre. Elle doit attribuer des rôles à différents intervenants – suivi par le service RH, par un parrain ou un tuteur, par le responsable hiérarchique.

Elle doit également proposer des structures pour accompagner les managers : support à l’autonomie – coaching des managers, outils pour les entretiens de suivi –, écoute active à l’endroit des nouveaux arrivants, soutien de la montée en compétences par des formations et formes contractuelles adaptées – contrats d’apprentissage, CDD, VIE, CDI… –, création de missions ou de postes accompagnant la montée en compétences. Enfin, la DRH doit tout mettre en œuvre pour que se diffuse un climat convivial de travail, en organisant des événements festifs par exemple.

* La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990.

Delphine Lacaze DIRECTRICE DU MASTER OF SCIENCE IN INTERNATIONAL BUSINESS À AIX-MARSEILLE

Parcours

→ Delphine Lacaze est maître de conférences à l’IAE d’Aix-Marseille, où elle dirige le Master of Science in international business.

→ Elle a publié des articles dans de nombreuses revues de management et de RH et un livre, L’Intégration des nouveaux collaborateurs (Dunod, 2010), basé sur les pratiques des entreprises françaises du CAC 40.

Lectures

→ Le Leadership pour l’apprenti, tome II, Maurice Thévenet, e-book Kindle.

→ Management et leadership, Cécile Dejoux, Dunod, 2014.

→ Théories de la motivation au travail, Salvatore Maugeri, Dunod, 2013.

Auteur

  • Éric Delon