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COMPTE ÉPARGNE-TEMPS : UN NOUVEAU FILON pour la retraite

L’enquête | publié le : 20.01.2015 | Hélène Truffaut

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COMPTE ÉPARGNE-TEMPS : UN NOUVEAU FILON pour la retraite

Crédit photo Hélène Truffaut

De plus en plus utilisés comme un outil d’épargne de longue durée par les salariés, les CET mis en place dans la foulée des lois aubry explosent. L’heure est à la révision et à l’optimisation de cet avantage social, devenu bien plus qu’un simple dispositif de gestion du temps de travail. Certains employeurs l’utilisent pour planifier les fins de parcours. D’autres s’empressent d’organiser le transfert – avantageux – de jours monétisés vers les véhicules retraite. En proposant de l’abondement pour flécher les utilisations les plus profitables.

C’est le couteau suisse de la gestion temporelle », affirme Marc Salameh, responsable de l’activité conseil en avantages sociaux chez Aon Hewitt (conseil en RH). Le compte épargne-temps (CET) permet en effet au salarié « d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises ou des sommes qu’il y a affectées ». Pas de liste limitative des éléments entrants – sous réserve des règles concernant les congés payés(1) – ni des usages qui peuvent être faits, des droits accumulés (voir l’infographie ci-dessous) : tout s’organise par accord collectif.

CONSTITUTION D’UN PASSIF SOCIAL

Conçu à l’origine comme un outil d’aménagement du temps de travail apportant de la souplesse aux salariés comme à l’employeur, il a véritablement décollé dans les années 2000-2001 avec les lois Aubry. Une bonne partie des grandes entreprises en sont aujourd’hui équipées. « Plus leur taille est importante et leur dialogue social soutenu, plus elles offrent d’avantages sociaux, dont beaucoup de congés au sens large : RTT, fractionnement, assiduité, etc. Cela peut atteindre 40 jours par an voire plus. Le CET permet de s’organiser », expose Marc Salameh. Selon Laurence Onen, directrice grands comptes au sein du groupe de protection sociale Malakoff Médéric, le dispositif a même « connu un nouvel engouement en 2012-2013, avec la fin de la loi Tepa(2) ».Oui mais voilà : les CET de première génération, mal pilotés, ont pris du poids. Et généré de la mauvaise dette. « Si les jours épargnés étaient consommés au fil de l’eau, il n’y aurait pas de problème, mais les salariés stockent plus qu’ils ne déstockent, et le CET s’est peu à peu transformé en outil d’épargne longue, de plus en plus orienté sur la retraite », confirme Philippe Caré, directeur stratégie RH et rémunération du courtier d’assurances Siaci Saint Honoré. Une épargne indolore sans incidence sur le pouvoir d’achat des collaborateurs. Mais un passif social pour l’entreprise d’autant plus conséquent que la valorisation des jours est souvent indexée sur les augmentations de salaire.

Jusqu’à récemment, les DRH rechignaient à réviser un dispositif généralement logé dans un accord 35 heures âprement négocié. La pression des commissaires aux comptes et des directeurs financiers les amène à reconsidérer la question. D’autant qu’au-delà d’un certain montant(3), l’accord doit prévoir un dispositif d’assurance ou de garantie financière couvrant les sommes supplémentaires épargnées.

DÉPARTS ANTICIPÉS

Selon différentes sources, la principale utilisation du compte – hormis le paiement en cash quand le détenteur quitte l’entreprise – est le départ anticipé à la retraite. Une modalité qui, remarque Marc Salameh, intéressera davantage « les salariés qui touchent un salaire inférieur ou égal à la tranche A, et soumis à une certaine pénibilité ». Nettement moins les cadres, qui n’en sont qu’à la moitié de leur parcours… L’ennui, c’est que « la loi n’impose pas aux salariés de dire quelle utilisation ils feront de leur CET, relève Nicolas Friederich, responsable épargne et retraite du groupe de protection sociale AG2R La Mondiale. Et dans les préambules de nombre d’accords, il n’y a pas de vision des objectifs, pas de logique, si ce n’est de disposer de souplesse ».

PILOTAGE DE FIN DE CARRIÈRE

Or, estime-t-il, le CET peut être, pour les DRH qui n’ont guère de visibilité sur les départs à la retraite de leurs collaborateurs seniors, « un vrai outil de pilotage de fin de carrière », l’entreprise proposant, dans ce cas, un abondement en jours incitatif moyennant la communication de la date de liquidation. « C’est, en quelque sorte, un dispositif de préretraite cofinancé par le salarié et l’entreprise, qui permet à cette dernière d’organiser les flux. »

De fait, l’employeur peut parfaitement prévoir les modalités d’alimentation et de sortie du CET en fonction des besoins de l’entreprise et de ceux de ses collaborateurs (lire l’interview p. 23). Chez Herakles (filiale de Safran), par exemple, le plafond des comptes augmente en fonction de l’âge, l’entreprise proposant un abondement pour les départs anticipés, ainsi qu’un abondement pour le rachat de trimestres d’assurance vieillesse. Dans certaines entreprises, « il existe des CET avec plusieurs sources d’alimentation ayant chacune leur règle de valorisation propre, cela peut aller assez loin en termes de complexité », confirme Julien Jacquemin, en charge de l’activité retraite supplémentaire et épargne retraite à Mercer, société de conseils et services en RH, protection sociale et avantages sociaux. Selon Hubert Clerbois, associé fondateur d’EPS Partenaires, cabinet de conseil en épargne d’entreprise et protection sociale, « on peut même avoir deux accords CET : l’un de court terme, pour gérer les quelques jours de congés non pris dans l’année, l’autre orienté fin de carrière pour les collaborateurs à partir d’un certain âge ».

Mais, pour dégonfler leurs CET, beaucoup d’entreprises s’intéressent aujourd’hui aux passerelles vers l’article 83 et surtout vers le Perco, fiscalement et socialement avantageuses pour les deux parties (lire page suivante). C’est, selon Marc Salameh, « le meilleur antidote au passif social. Et cela permet aux salariés de se préparer un complément de retraite dont ils auront de plus en plus besoin ».

L’accord d’Herakles prévoit d’ailleurs ce pont avec le Perco. Chez Orange, où les CET comptent une quarantaine de jours en moyenne, un avenant concernant la possibilité de transfert vers le Perco est également soumis à la signature des syndicats, après une négociation difficile sur les modalités de cette option (lire p. 25).

Car, si certains syndicats, très attachés à la prise effective des congés, ne sont pas demandeurs, d’autres perçoivent clairement le CET comme un « plus » à proposer aux salariés, à un moment où beaucoup – à commencer par les cadres – s’attendent à une dégringolade des taux de remplacement. Une double aubaine, donc, pour les DRH toujours en quête d’avantages périphériques à iso-budget. « L’employeur va pouvoir convertir en abondement l’économie de charges sur le transfert vers le Perco », explique Hubert Clerbois (voir l’infographie ci-dessous). Une option qui, en tous les cas, figure dans les accords CET nouvelle génération, maintenant très encadrés.En dépit d’une législation particulièrement favorable, beaucoup d’employeurs sont cependant encore rétifs à toute idée de compte épargne-temps, exigeant l’épuration des congés à l’année, les jours non pris étant perdus ou reportés au cas par cas (d’où des bureaux désertés le vendredi après-midi…). Une politique vis-à-vis de laquelle un DRH fraîchement nommé sera peut-être moins à l’aise que son prédécesseur, estime Nicolas Friederich. De plus, « ces jours qui traînent dans un cadre juridiquement non bordé peuvent aussi inquiéter les représentants du personnel ». Philippe Caré abonde : « Supprimer les reliquats n’est socialement pas très accepté. »D’autant qu’une entreprise avertie peut s’équiper d’un dispositif strictement ficelé. Pour éviter les dérives tant redoutées, il est même possible de mettre en place un compteur, non pas en temps, mais en euros. « Le jour versé au CET est automatiquement converti. On stocke donc des euros, en prévoyant une petite formule d’indexation, explique Hubert Clerbois. C’est difficile à négocier, mais mieux vaut un petit CET géré en euros que rien du tout », conclut-il.

LES DATES CLÉS DU CET

25 juillet 1994 : création du compte épargne-temps (CET) dans le cadre de la loi n° 94-640 relative à l’amélioration de la participation des salariés dans l’entreprise. Dispositif d’aménagement du temps de travail subordonné à la conclusion d’un accord collectif, il permet au salarié qui le désire d’« accumuler des droits à congé rémunéré ». Avec différentes sources d’alimentation – congés payés (CP) dans la limite de dix jours par an, primes conventionnelles, primes d’intéressement, fraction d’augmentation individuelle de salaire, repos compensateur, abondement de l’employeur –, qui seront encore élargies par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail et par celle du 19 février 2001 sur l’épargne salariale (RTT, participation).

17 janvier 2003 : la loi n° 2003-47 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi introduit la monétisation du CET – ce qui, du coup, permet au salarié de se constituer une épargne (les droits à CP affectés au compte épargne-temps peuvent être valorisés en argent dans la limite de cinq jours par an).

31 mars 2005 : la loi n° 2005-296 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise simplifie le dispositif, l’ensemble des conditions d’alimentation, d’utilisation et de liquidation étant désormais fixées par accord collectif (avec la possibilité de prévoir une alimentation collective du CET à l’initiative de l’employeur pour les heures effectuées au-delà de la durée collective du travail). Les titulaires peuvent désormais bénéficier d’une rémunération immédiate ou différée.

20 août 2008 : l’article 26 de la loi n° 2008-789 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail exonère des cotisations salariales de Sécurité sociale et des cotisations à la charge de l’employeur au titre des assurances sociales et des allocations familiales les sommes issues d’un CET – autres que l’abondement de l’employeur – utilisées pour alimenter un Perco ou contribuer au financement de prestations de retraite revêtant un caractère collectif et obligatoire, dans la limite d’un plafond de dix jours par an. La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ouvre ces passerelles aux salariés ne disposant pas de CET, dans la limite de cinq jours par an. Un plafond que le projet de loi Macron prévoit d’amener à dix jours.

17 décembre 2014 : parution du décret fixant les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue par l’article 18 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il prévoit, à titre expérimental et jusqu’au 1er octobre 2016, la possibilité pour les salariés d’utiliser jusqu’à 50 % des droits affectés au compte épargne-temps pour financer des prestations de services à la personne au moyen d’un chèque emploi service universel (Cesu), le dispositif étant subordonné à la conclusion d’un accord.

LES AVANTAGES DES PASSERELLES “RETRAITE”

VERS LE PERCO :

→ Droits issus d’un abondement par l’employeur : Assimilables à un abondement sur le Perco. Exonération de charges sociales dans la limite de 16 % du plafond annuel de Sécurité sociale (PASS); contribution patronale spécifique de 8,2 % sur la fraction excédant 2 300 euros par an et par salarié ; CSG-CRDS et forfait social. Déductibles de l’assiette du bénéfice imposable à l’impôt sur les société (IS) et exonération d’impôt sur le revenu (IR) dans la limite de 16 % du PASS.

→ Droits issus d’un versement (en temps ou en argent):Dans la limite de dix jours par an, exclusion de l’assiette des cotisations salariales et de la plupart des cotisations patronales ; CSG-CRDS. Exonération d’IR.

VERS LE 83 :

→ Droits issus d’un abondement par l’employeur : Assimilables à une participation de l’employeur. Exonération de charges sociales dans la limite de 5 % du PASS ou de 5 % de la rémunération annuelle brute limités à cinq PASS ; CSG-CRDS ; forfait social. Non soumis à l’IR, dans la limite de 8 % du revenu annuel brut (limités à huit PASS), diminués de l’abondement au Perco.

(1) Le congé annuel ne peut être affecté au CET que pour sa durée excédant 24 jours ouvrables (donc la 5e semaine). Mais seuls peuvent être convertis en argent les jours de congés payés au-delà des cinq semaines obligatoires, par exemple les congés pour fractionnement.

(2) Les lois en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (Tepa) et pour le pouvoir d’achat (PA) de 2007 et 2008 contiennent des dispositions, notamment diverses exonérations fiscales et sociales, visant à favoriser la réalisation d’heures supplémentaires, complémentaires et le rachat de jours de congés par l’employeur.

(3) Six fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des cotisations d’assurance chômage, soit 76 080 euros en 2015.

Auteur

  • Hélène Truffaut