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PARCOURS SYNDICAL : Salariés mandatés, UNE RICHESSE POUR L’ENTREPRISE ?

L’enquête | publié le : 13.01.2015 | EMMANUEL FRANCK, HUBERT HEULOT

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PARCOURS SYNDICAL : Salariés mandatés, UNE RICHESSE POUR L’ENTREPRISE ?

Crédit photo EMMANUEL FRANCK, HUBERT HEULOT

Les partenaires sociaux négocient en ce moment la deuxième étape de la reconnaissance du parcours syndical. L’enjeu est de susciter des vocations, alors que de plus en plus de sujets sont confiés à la négociation d’entreprise. Les initiatives se sont multipliées ces dernières années, s’imposant comme un thème de progrès, mais il leur manque un cap.

Beaucoup de réflexions, des pistes, mais rien de vraiment probant pour le moment : la valorisation de l’expérience syndicale a beau être, depuis plusieurs années, à l’agenda des gouvernements, des partenaires sociaux, des associations et des chercheurs, personne n’a encore trouvé la martingale qui permettra de banaliser un mandat. Celui-ci demeure une source de discriminations, qu’un observatoire tente désormais de recenser (lire Entreprise & Carrières n° 1219 du 16 décembre 2014). Et, selon une étude non publiée de Thomas Breda et Jérôme Bourdieu, deux chercheurs de l’École d’économie de Paris, les représentants du personnel syndiqués perçoivent 4 % de moins que les autres salariés (lire l’article p. 21).

Tout cela n’incite pas les salariés à briguer un mandat syndical. Or c’est précisément ce que voudrait encourager le gouvernement. Dans ce but, il a demandé aux partenaires sociaux de traiter de la sécurisation des parcours des élus et des syndicalistes dans le cadre de la négociation interprofessionnelle en cours sur l’“efficacité du dialogue social”. Car il y a de plus en plus de sujets traités par la négociation, mais de moins en moins de salariés prêts à sacrifier leur carrière pour assumer cette fonction.

UNE SEULE PROPOSITION CONCRÈTE

Mais, pour l’heure, cette négociation, qui doit reprendre le 15 janvier, est engluée dans le débat sur la fusion des IRP et la représentation des salariés des TPE. Le sujet de la sécurisation des parcours des mandatés n’a pas encore été traité. « Ce n’est pas la question la plus importante », admet Marie-Alice Medeuf-Andrieu, négociatrice pour FO. La seule proposition patronale concrète consiste à recenser les compétences syndicales dans une certification.

« Insuffisant », répond Marie-Françoise Leflon, négociatrice pour la CFE-CGC, en pointe sur le sujet. Elle demande l’instauration d’entretiens à différents moments du mandat, la révision des objectifs professionnels du mandaté le cas échéant, une revalorisation salariale équivalente à celle des autres salariés, une évaluation syndicale – plus rapide qu’une VAE –, un abondement au compte personnel de formation et un statut pour les mandats extérieurs à l’entreprise. Les autres syndicats sont sur la même ligne, avec quelques variantes. La CGT insiste sur la validation de l’expérience syndicale par les instituts supérieurs du travail. FO met l’accent sur l’accès des mandatés à la formation. La CFDT veut des formations communes aux représentants des employeurs et des salariés. Si les partenaires sociaux n’aboutissent pas d’ici à quelques semaines, le gouvernement reprendra la main.

« Sans reconnaissance du surinvestissement que représente une responsabilité syndicale, sans mise en valeur des parcours syndicaux, personne, parmi les plus jeunes, ne prendra plus les responsabilités que nous avons prises », témoigne Sylvie Liziard, secrétaire générale de l’Unsa pour les Caisses d’épargne. À Orange, les élections professionnelles de décembre 2014 n’ont pas entraîné le renouvellement de génération qu’espéraient la direction et les syndicats. Les jeunes craignent apparemment de perdre leurs compétences technologiques et commerciales durant leur mandat (lire p. 22).

La valorisation de l’expérience syndicale est en fait à l’agenda depuis 2008. Dans la loi sur la représentativité, le législateur a introduit, à la demande des partenaires sociaux, l’obligation d’aboutir à un accord d’entreprise visant notamment à « prendre en compte l’expérience acquise » dans un mandat syndical. Il s’agissait alors de trouver un débouché aux représentants du personnel qui ne seraient pas réélus. Le bilan officiel de cette partie de la loi de 2008 n’a pas été tiré. Les partenaires sociaux qui négocient en ce moment la deuxième étape de la reconnaissance du parcours syndical travaillent donc, comme souvent, presque à l’aveugle.

VALORISATION DES COMPÉTENCES

Signalons tout de même que l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) a publié, en septembre 2014, un état des lieux des recherches et des initiatives – du niveau national jusqu’à celui de l’entreprise – en faveur de la valorisation des compétences syndicales. Manifestement, le thème progresse. Ainsi, la branche des sociétés d’assistance vient de signer un accord novateur dans ce domaine (lire p. 23). La fédération chimie-énergie de la CFDT développe l’accompagnement de ses militants pour mieux faire reconnaître leur valeur dans leur entreprise. La CFE-CGC travaille avec le Cnam sur un référentiel de compétences syndicales. Des entreprises (Areva, BPCE [lire p. 24], Casino, Orange [lire p. 22]) accompagnent les parcours de leurs représentants du personnel. Environ 500 syndicalistes d’une trentaine d’entreprises ont suivi une formation dédiée à Sciences Po.

RÉSISTANCES

Mais l’étude de l’Orse souligne également les freins à la reconnaissance de l’expérience syndicale : le conservatisme des directions, la réticence de certains syndicats à considérer l’engagement comme une profession – même si, pour d’autres, la promesse d’un parcours non pénalisant devient au contraire un argument de recrutement (lire le témoignage ci-contre) –, les limites de la VAE syndicale et, bien sûr, les discriminations et les préjugés à l’encontre des syndicalistes. C’est là qu’intervient une autre découverte intéressante des deux chercheurs de l’École d’économie de Paris. Ils suggèrent que la négociation sur le droit syndical a une incidence positive sur la discrimination salariale affectant les syndiqués. Autrement dit, l’obligation de négocier, instaurée en 2008, a eu des effets mesurables, alors même que toutes les entreprises ne s’y sont pas conformées, loin s’en faut (46 % selon les deux chercheurs). Dès lors, « rendre effective l’obligation de négocier est une piste intéressante pour les pouvoirs publics », analyse Thomas Breda. C’est déjà en instaurant une pénalité financière que les pouvoirs publics ont fait décoller la négociation sur l’égalité professionnelle…

Gabriel Artero négocie l’avenir des élus CFE-CGC avec les DRH

J’ai commencé il y a six ou sept ans et ça marche de mieux en mieux ! » Gabriel Artero, secrétaire général CFE-CGC de la métallurgie, rend visite, tous les deux ans, aux DRH des entreprises où des militants occupent des mandats “lourds” : comité central d’entreprise, comité de groupe, comité européen. Il discute de leur avenir post-mandat dans l’entreprise : « Rien n’est écrit. Tout fonctionne sur la confiance. Nous discutons profils, compétences, potentiel, trajectoire, sortie de la responsabilité syndicale. » Gabriel Artero croit davantage à ces discussions en direct qu’à d’éventuels référentiels de compétences syndicales établissant des correspondances avec des compétences professionnelles. « En Allemagne, je vous dirais oui. En France, ce n’est pas notre culture. » C’est en suivant cette méthode que, par exemple, Alain Champigneux, après vingt et un ans de syndicalisme comme administrateur salarié CFE-CGC chez Renault, est devenu, il y a deux ans, directeur adjoint de la direction de l’éthique de l’entreprise. Gabriel Artero demande à ses syndicats de terrain de s’occuper avec le même soin des délégués syndicaux d’entreprise : « Sans l’assurance de ces trajectoires de carrière, il n’est pas pensable d’intéresser un jeune de 35 ans à ce genre de mandat exigeant, exposé, public, où il n’y a a priori que des coups à prendre », explique-t-il.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK, HUBERT HEULOT