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POLOGNE : Le détachement de travailleurs, secteur en plein boom

Sur le terrain | International | publié le : 23.12.2014 | François Gault, Guillaume le Nagard

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POLOGNE : Le détachement de travailleurs, secteur en plein boom

Crédit photo François Gault, Guillaume le Nagard

De multiples agences d’intérim proposent aux employeurs français ou allemands de bénéficier des libertés accordées par la directive de 1996 pour accueillir des travailleurs polonais dont le salaire brut est sans concurrence.

Plaquiste, manutentionnaire, carreleur, femme de chambre ou plombier polonais : les agences d’intérim de Varsovie ou de Cracovie peuvent tout proposer aux employeurs français ou allemands auxquels leurs sites s’adressent dans leur langue. Dans le cadre du détachement des travailleurs prévu par la directive européenne de 1996 (et d’un décret de 2007 permettant aux employeurs de faire appel à des prestataires étrangers), NJmultiservices, société basée à Cracovie, se fait fort de recruter en Pologne et en Roumanie pour des clients français « qui apprécient (leur) savoir-faire ». De son côté, Poland Workforce propose une « solution clé en main », en « parfait accord avec le droit européen ».

En 2013, selon la DGT, la France comptait 210 000 salariés détachés mais, d’après le sénateur PCF Éric Bocquet, auteur d’un rapport sur le sujet, le chiffre de 300 000 « salariés low cost » est vraisemblable en comptabilisant les non-déclarés. Les ressortissants de la Pologne en représentent la plus grande partie (18 %), devant les Portugais et les Roumains.

Avantages

Le détachement de main-d’œuvre y est devenu un véritable secteur économique. Il existe une centaine d’agences intérimaires spécialisées dans l’offre de travail à l’étranger et, depuis dix ans, le nombre de travailleurs détachés de Pologne a bondi de 45 %. Les conditions d’activité du personnel mis à disposition doivent correspondre au “noyau dur” de la législation du travail du pays d’accueil : salaire minimum, temps de travail, congés payés. Mais la directive permet que l’affiliation au régime de sécurité sociale, et donc le montant des charges sociales, soit celui du pays d’origine : un sacré avantage pour l’employeur quand elles plafonnent à 18 %, contre 45 % en France.

François Rebsamen, le ministre du Travail, s’en est encore inquiété fin octobre en visitant un chantier de construction en Île-de-France, annonçant que le contrôle sur les travailleurs détachés allait être renforcé. C’est aussi ce que prévoit la loi passée cet été, qui renforce la responsabilité des donneurs d’ordres et de maîtres d’ouvrages, devenant comptables de la déclaration de détachement du travailleur au même titre que leur prestataire. Car des affaires comme celle du chantier de l’EPR de Flamanville piloté par Bouygues, en cours d’instruction, mettent aussi au jour des circuits de fraude, en l’occurrence des travailleurs polonais recrutés par l’officine chypriote d’une agence irlandaise. L’opacité est souvent la règle, selon Jean-Yves Leconte, sénateur des Français de l’étranger, qui a travaillé vingt ans en Pologne et dans les pays limitrophes : « Certains exemples relèvent davantage de l’esclavage que du travail… Un tiers de ces migrants seulement sont déclarés de façon officielle et légale. » Dans cette zone floue, les entorses au droit sont nombreuses, sur les heures supplémentaires ou sur les salaires, notamment. « Il est normal qu’un employeur veuille accroître ses marges, estime, sous couvert d’anonymat, le cadre d’une agence de Varsovie. Il a bien d’autres frais. »

Lutte contre les abus

Mais les agences intérimaires ne logent pas toutes à la même enseigne. Certaines, en tout cas, font profession de gérer cette activité en se montrant socialement responsables. C’est le credo d’Aterima, l’une des plus importantes et des plus connues en France, située à Cracovie. Jean-Philippe Chavant, responsable du service commercial, l’assure : « Nous luttons contre l’esclavagisme moderne. S’ils ne connaissent pas les mécanismes, ces travailleurs détachés deviennent rapidement la proie des recruteurs malhonnêtes… » Aterima a réalisé, avec l’ONG Po-MOC, un guide en polonais, à l’usage des femmes de retour d’un détachement, « afin qu’elles évitent les pièges ou les abus dont elles pourraient, à leur tour, devenir les victimes ». L’agence adhère aussi au Global Compact de l’ONU, qui recense les initiatives sociales responsables.

Mais, même si le secteur devait s’assainir, la directive de 1996 risque de continuer d’attiser les tensions entre partenaires, alors que Donald Tusk, Premier ministre polonais, vient de prendre la direction du Conseil européen.

DANS LES MÉDIAS

SOLIDARITÉ Les émigrés polonais préfèrent rester loin de chez eux

Selon un sondage réalisé parmi les Polonais travaillant à l’étranger, 46 % ne veulent plus rentrer dans leurs pays d’origine. Seuls 10 % planifient leur retour dans un avenir proche, et 18 % dans quelques années. Parmi ceux qui habitent à l’étranger depuis moins de quatre ans, 33 % souhaitent rester plus longtemps, et 33 % hésitent. Après un séjour de quatre ans, cela change : 8 % veulent rentrer au pays et presque 60 % veulent rester dans le pays d’accueil. 3 décembre 2014, hebdomadaire Solidarité, Tygodnik Solidarnosc.

Auteur

  • François Gault, Guillaume le Nagard