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L’interview

« La GRH doit se territorialiser pour maintenir l’attractivité des entreprises »

L’interview | publié le : 16.12.2014 | Éric Delon

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« La GRH doit se territorialiser pour maintenir l’attractivité des entreprises »

Crédit photo Éric Delon

Sous l’effet conjugué de la mondialisation, de la territorialisation des politiques publiques et de l’émergence de réseaux interentreprises, la GRH territoriale commence à s’installer, sous l’impulsion d’acteurs publics et privés.

E & C : En quoi la GRH territoriale (GRHT) représente-t-elle un modèle émergent de gestion des ressources humaines ?

Anne Loubès : Le développement de la GRHT traduit le passage d’un modèle dominant de l’entreprise appréhendée comme une organisation hiérarchisée, ouverte sur son environnement mais déterritorialisée, à une entreprise partenariale et socialement encastrée sur ses territoires. Les raisons de ce mouvement ? Tout d’abord, la mondialisation et ses effets en local, au niveau de l’emploi notamment. Autre facteur : l’évolution de la place de l’État avec la territorialisation des politiques publiques, qui redéfinit le rôle des acteurs publics et de l’État lui-même aux niveaux décentralisés. Par ailleurs, des logiques partenariales de mise en réseau interentreprises ont émergé ces dernières années. Elles sont accompagnées, pour certaines, par des politiques de labellisations – par exemple, les systèmes productifs locaux en 1998 ; les pôles de compétitivité en 2005 – lancées par l’État. Les freins à la mobilité géographique ou l’attachement des salariés à leur territoire poussent également à ce changement de modèle. Enfin, les limites constatées des démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) internes à une seule entreprise militent également pour une approche globale, territorialisée.

Quels sont les principaux enjeux de ce mouvement de GRH territorialisée ?

Le déplacement de la GRH vers ce nouvel espace devrait constituer un levier favorable au renforcement des intérêts économiques des entreprises et des territoires dont l’attractivité devient un critère de performance, et donc à la création de ressources territoriales – compétences spécifiques, diversité et densité des relations sociales. Cette approche permet par ailleurs de préserver des principes fondamentaux de la GRH et de la RSE en recherchant une forme de cohésion sociale seulement dans l’entreprise, mais également à ses frontières. Il ne s’agit pas d’œuvrer pour l’employabilité des salariés uniquement au sein de l’organisation mais à ses interfaces.

Dans ce contexte, comment peuvent s’articuler les gouvernances de ces GPEC territoriales ?

Un territoire est un espace qui ne se situe pas seulement au croisement de la dimension géographique, politico-administrative et professionnelle, mais qui peut devenir une entité socio-économique et un lieu pertinent de régulation. Il s’agit d’une forme spécifique d’organisation, d’une construction sociale qui repose essentiellement sur des logiques d’acteurs économiques – entreprises du réseau, clients, fournisseurs, sous-traitants… –, institutionnels – collectivités territoriales, État, CCI… –, sociaux – syndicats, associations, etc. La notion de gouvernance territoriale est complexe et à géométrie variable. Elle s’appuie sur différents types de structures : groupement d’employeurs, pôle de compétitivité ou associations d’entreprises. Cette gouvernance peut reposer sur de multiples dispositifs, comme les engagements de développement emploi et compétences (Edec) territoriaux portés par les Direccte, ou bien encore un pôle de mobilité. Pour bien fonctionner, cette gouvernance territoriale doit reposer sur les ressources relationnelles préexistantes. Il est en effet plus facile de développer des projets territoriaux emplois-compétences sur des territoires où les différents acteurs se connaissent déjà et où ils ont déjà collaboré. Il est donc important de les mettre en relation autour de projets territoriaux orientés RH, favorables à la construction de représentations communes, de modes de compréhension réciproques permettant progressivement de développer des actions co-construites. Comment développer la proximité ? En organisant des rencontres afin de favoriser l’engagement progressif des différents protagonistes. La question du pilote ou du chef de file de ce processus est bien sûr posée. S’il existe une extrême hétérogénéité de cas, il est néanmoins possible de distinguer deux types d’acteurs : privé et public. Le territoire est un lieu où ces deux sphères peuvent s’entremêler. La capacité à se coordonner, voire à coopérer dans le cadre de projets inédits, constitue à mon sens une ressource territoriale clé.

Quelles sont les typologies de GRH territoriale qui apparaissent ?

Nos travaux de recherche nous conduisent à distinguer deux grands types de GPEC : celle de territoire et la GPEC territorialisée. La première est essentiellement portée par des acteurs institutionnels, des pouvoirs publics locaux qui s’efforcent d’impliquer les entreprises. Cette forme de GPEC s’insère dans une stratégie de développement territorial et implique les élus locaux. Les maisons de l’emploi, par exemple, coordonnent depuis 2005 des actions comme des démarches prospectives partagées auprès des entreprises pour identifier les besoins en termes de recrutement et de formation, afin d’apporter des réponses collectives locales.

La seconde approche, la GPEC territorialisée, est initiée par les entreprises sans pour autant en exclure les institutions locales. Le territoire est construit autour de stratégies partenariales entre entreprises, qui s’appuient par exemple sur des logiques de coactivité, de mutualisation. Les dispositifs de GRH élaborés sur la base de ces nouvelles dynamiques sont nombreux : pôles de mobilité, plates-formes territoriales emplois-compétences, bourses d’emplois interentreprises, plans de formation mutualisés, groupements d’employeurs… Ces deux grandes orientations constituent des cadres de référence qui masquent toutefois des réalités bien plus complexes.

Quel rôle les DRH d’entreprise peuvent-elles jouer sur le territoire ?

La DRH doit posséder une réelle compréhension du territoire sur lequel elle est implantée afin de pouvoir s’impliquer sur des projets. Elle doit accepter l’évolution de ses pratiques, le partage des informations et la mise en commun de certaines actions. Il faut par ailleurs qu’elle démontre sa capacité à innover, à communiquer et à se sentir à l’aise dans des logiques partenariales.

Anne Loubès Professeure de GRH à l’IAE de Montpellier

Parcours

→ Anne Loubès est maître de conférences, habilitée à diriger des recherches à l’IAE de Montpellier, responsable pédagogique du master SIRH.

→ Membre de l’AGRH, elle coanime depuis 2009 (avec C. Defélix et I. Bories-Azeau), le groupe de recherche GRH et Territoires, dont l’ouvrage Ressources humaines, RSE et territoires : défis théoriques, réalisations pratiques doit paraître en 2015.

→ Elle a coordonné, avec O. Uzan, l’introduction à un cahier spécial RSE, DD, GRH et territoire (Revue Management & Avenir, n° 59, 2013).

Lectures

→ Les Emplois atypiques. Quelles réponses aux besoins de flexicurité ?, C. Everaere, éd. Liaisons, 2014.

→ La Gestion des ressources humaines au service des réseaux d’innovation, D. Chabault, A. Hulin, D. Leroy, R. Soparnot, L’Harmattan, 2013.

Auteur

  • Éric Delon