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RÉFORME DU DIALOGUE SOCIAL : LA FRANCE S’INSPIRERA-T-ELLE DE SES VOISINS européens

L’enquête | publié le : 16.12.2014 | NICOLAS LAGRANGE

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RÉFORME DU DIALOGUE SOCIAL : LA FRANCE S’INSPIRERA-T-ELLE DE SES VOISINS européens

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Allégement des procédures voire des instances, représentation des salariés des TPE, valorisation des parcours syndicaux…Sous la pression du gouvernement français, les organisations syndicales et patronales négocient de nouvelles relations sociales en entreprise. Et portent leurs regards vers d’autres systèmes européens.

Finis les CE, DP, DS et CHSCT, place au conseil d’entreprise ? C’est en tout cas la revendication du Medef, après l’enlisement de la première négociation nationale interprofessionnelle entre 2009 et 2012. « Cette fois, il ne s’agit pas de retoucher le système, mais de changer de paradigme », explique Antoine Foucher, directeur des relations sociales, de l’éducation et de la formation. Car le constat dressé par l’organisation patronale dans le préambule de son projet est sévère : « Les employeurs, plutôt que de se concentrer sur la qualité de l’information et le partage des enjeux […], en viennent à se focaliser trop souvent sur le strict respect des obligations formelles, par crainte de commettre un faux pas juridique […]. Les représentants du personnel en viennent souvent à éprouver un sentiment légitime de frustration, voire de suspicion, sentiment qui peut freiner, voire parfois bloquer les évolutions nécessaires de l’entreprise. »

Pour réduire la complexité actuelle, le Medef souhaite donc une instance unique, le conseil d’entreprise, qui regrouperait les compétences des quatre instances actuelles. Parmi lesquelles le CHSCT, désormais optionnel, objet croissant de controverses en France comme aux Pays-Bas (lire p. 24). Le conseil d’entreprise négocierait avec l’employeur, sauf si un ou plusieurs élus sont désignés délégués syndicaux. Ils auraient le pouvoir exclusif de négocier, mais au nom du conseil, pas en tant qu’entité indépendante. Une proposition très mal accueillie côté syndical : « La discussion s’organiserait avec des élus syndiqués et d’autres non, connaissant plus ou moins bien le droit social », critique Marylise Léon, la négociatrice CFDT.

PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Un conseil d’entreprise calqué sur le modèle allemand, selon le Medef, dont les négociateurs viennent en séance de négociation avec la loi germanique sur la constitution interne des entreprises : « Nous souhaitons également appliquer le principe de subsidiarité entre les branches et les entreprises, en vigueur outre-Rhin », assure Antoine Foucher. En cas d’accord de branche, les entreprises pourraient ne pas négocier sur les thèmes obligatoires (salaires, épargne salariale, protection sociale, durée du travail, GPEC…). En fait, le Medef n’a repris qu’une petite partie du modèle allemand, pas la plus audacieuse (lire p. 21).

Focalisée sur la fusion des instances, l’organisation patronale ne prévoit pas d’augmenter le nombre de représentants du personnel ni les heures de délégation, et encadre le choix et le financement de l’expertise. Sans pour autant conserver sa proposition initiale de consulter les salariés pour décider de la création ou non d’un conseil d’entreprise, un système proche du modèle britannique (lire p. 23).

DEUX VISIONS DU DIALOGUE SOCIAL

« Il y a une ligne de fracture persistante au sein du patronat sur le dialogue social, estime Jean-Paul Guillot, président de Réalités du dialogue social (RDS). Certains employeurs le voient comme un facteur de régulation sociale, quand d’autres considèrent qu’il peut se nouer directement avec les salariés, de manière informelle, sans représentant. » Pour Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, « le pouvoir, c’est de partager les informations et les enjeux, pas de les conserver. Mais la culture du dialogue social et de la négociation repose aussi sur une meilleure formation économique et sociale des IRP et sur une bonne connaissance des relations sociales par les managers, ce qui est rarement le cas ».

Pour donner plus de cohérence au dialogue entre directions et IRP, FO propose de regrouper certains thèmes d’information-consultation. Idem à la CFDT. « Nous pourrions aussi imaginer, dans certains cas, des informations conjointes du CE et du CHSCT », ajoute Marylise Léon. Autres rationalisations possibles, selon Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Ires : « Une NAO tous les deux ans et une délégation unique du personnel – regroupement du CE et des DP dans les entreprises entre 50 et 199 salariés – étendue et davantage promue par les organisations patronales, alors qu’elle n’est utilisée que dans un tiers des cas. »

En contrepartie de ces simplifications, les syndicats demandent à l’unisson une représentation du personnel pour toutes les TPE, pas seulement celles d’au moins 11 salariés. Avec une concession importante de la CGT : les sociétés comptant jusqu’à 49 salariés ne seraient plus obligées d’organiser des élections, sauf si deux salariés le demandent conjointement. Dans les faits, nombre d’entre elles sont dépourvues aujourd’hui de représentants du personnel (lire l’encadré ci-dessus). Les salariés éliraient tous les quatre ans des représentants indirects, siégeant dans des commissions paritaires territoriales. Sur le modèle des Commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA), créées en 2001 et contre lesquelles le Medef et la CGPME ont vainement épuisé toutes les voies de recours possibles. « Les CPRIA montent en puissance depuis quelques années, mettent en place des activités sociales et culturelles mutualisées, planchent sur l’emploi et les conditions de travail et pourraient favoriser demain le conseil et la prévention des conflits individuels », assure Patrick Liébus, le négociateur UPA. Pour la plupart des petits patrons, cette représentation indirecte, évoquée dans la feuille de route du gouvernement, serait préférable à des délégués au sein des TPE. Elle pourrait conduire les négociateurs (ou les pouvoirs publics, faute d’accord) à relever le seuil social de 11 à 21 salariés, obligatoire pour organiser une élection interne. Mais cette solution est rejetée par la CGPME pour des questions de partage de territoire patronal. Car la fédération française du bâtiment (FFB), puissant adhérent de la CGPME et du Medef, craint de perdre des parts de marché dans le cadre de la nouvelle représentativité patronale, au profit des artisans de la Capeb (membre de l’UPA), déjà active auprès des TPE du bâtiment avec les CPRIA.

Quant à la valorisation des parcours syndicaux, elle se limite pour l’heure à des entretiens avec la ligne hiérarchique, en début, au renouvellement et en fin de mandat, et à l’inscription des compétences acquises par les salariés mandatés dans une logique de certification. Pour réduire les discriminations salariales, la CFDT demande que les représentants du personnel bénéficient de la moyenne des augmentations individuelles de leur catégorie.

Les négociateurs syndicaux et patronaux auront du mal à surmonter leurs divergences… à moins que la crainte de voir le gouvernement reprendre la main permette, in fine, de trouver un terrain d’entente.

LES RELATIONS SOCIALES EN ENTREPRISE EN QUELQUES CHIFFRES

Où se trouvent les instances représentatives du personnel ?

63 % des entreprises de 11 à 19 salariés n’ont pas de représentant du personnel ; 35 % de celles de 20 à 49 salariés et 6 % de celles de plus de 50 salariés en sont dépourvues (source : Enquête Réponse, Dares, mai 2013).

Quelques caractéristiques des représentants du personnel dans les entreprises.

600 000 salariés détiennent au moins un mandat (soit 6 % des salariés des entreprises d’au moins 11 salariés); 56 % des représentants du personnel sont syndiqués.

Un représentant syndiqué a 40 % de chances en moins de voir son salaire progresser dans les 12 prochains mois qu’un salarié qui n’a pas de mandat et 20 % de chances en moins d’avoir obtenu une promotion au cours des trois dernières années écoulées (source : étude Dares, novembre 2014).

L’impact sur le recours aux prud’hommes

La présence d’un syndicat ou de DP réduit de 41 % la probabilité de saisir les prud’hommes, de 48 % dans le cas d’un CE et de 51 % dans le cas d’un CHCST (lire Entreprise & Carrières n° 1218, p. 38).

L’impact des seuils sur la taille des entreprises

Les effets de seuil (impacts sociaux, fiscaux, juridiques…) sur le passage des entreprises à 11, 20 et 50 salariés sont « à peine perceptibles » (source : Économie et statistique, Insee, n° 437, 2010).

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE