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L’INTERVIEW : HERVÉ MATHE PROFESSEUR À L’ESSEC

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 09.12.2014 | L. G.

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L’INTERVIEW : HERVÉ MATHE PROFESSEUR À L’ESSEC

Crédit photo L. G.

« La communication interne est essentielle à l’innovation »

La communication interne est fondamentale à la construction de l’innovation, dites-vous. Pourquoi ?

L’innovation, c’est du mieux économique, de la valeur effective, ce n’est pas l’invention qui la précède. Par définition, l’innovation est le succès d’une invention validée après coup par le marché. En créant un environnement interne propice à l’échange, la communication interne favorise l’éclosion de ce qui fera l’innovation. Aujourd’hui, c’est absolument nécessaire au développement des activités des entreprises.

Quelles en sont les raisons ?

Avant la crise de 2008, beaucoup d’entreprises ont fait de l’argent avec l’argent, en jouant sur les marchés financiers : c’était majeur dans leurs résultats. Avec la crise, elles reprennent conscience – ou doivent reprendre conscience – de la nécessité d’innover vraiment en termes de produits et de services.

Les entreprises et les gouvernements asiatiques l’ont bien compris et sont dans des logiques de réinvention permanente des produits. Les investissements en recherche et développement sont massifs en Asie, de la part des entreprises comme des gouvernements. À ce propos, les salariés d’entreprise rachetées par des firmes chinoises sont souvent surpris ; ils ont moins de pression sur la productivité quotidienne, mais il est demandé d’augmenter la R & D et le maintien des talents à long terme.

Aux États-Unis, ce sont les entreprises qui investissent. En Europe, les investissements sont insuffisants. Or les entreprises doivent comprendre que, si la marque ne fait pas ce que veut le client, celui-ci a aujourd’hui une marge de manœuvre inégalée pour changer de marque et créer une relation étroite avec une autre.

Comment la qualité de la communication interne peut-elle jouer sur la création d’innovation ?

L’innovation est intimement liée aux notions d’écoute et de leadership des dirigeants. Mais pas un leadership à l’ancienne ! Le leadership, aujourd’hui, est la capacité des équipes dirigeantes et des échelons hiérarchiques intermédiaires à faire remonter les idées des équipes et du marché. Elles doivent donc communiquer sur le fait qu’elles sont à l’écoute. Elles ne doivent pas penser dans leur tour d’ivoire.

Ce qui est perturbant pour les dirigeants classiques est qu’Internet démocratise une forme de leadership : l’initiative qui débouchera sur l’innovation peut venir de partout ! Le problème est que tout le monde ne partage pas cette vision qui remet en cause un pouvoir, et beaucoup de managers sont contre. La communication interne doit à la fois délivrer un nouveau message auprès des managers sur les enjeux de l’écoute des salariés et des marchés ; et aider ces mêmes salariés à s’exprimer sereinement dans une ambiance protégée : les champions de l’innovation sont ceux qui protègent les innovants, c’est un point clé. Les leaders n’ont pas par définition les solutions produits.

En quoi la communication interne aide-t-elle à écouter le marché ?

Une ambiance interne propice à l’écoute de ce qui fera l’innovation pousse à engager le client dans le processus de rénovation. Par exemple, Lego a mobilisé ses clients sur les nouveaux produits, via un appel à leur communauté, ce qui a débouché sur un classement d’attractivité des produits, donc un révélateur de marché. C’est une très efficace posture d’innovation permanente, relayée par l’interne, qui lui a permis de renaître.

Zara, Decathlon, Ikea, Uniqlo… connaissent de grand succès sur une gamme de marché qui peut sembler banale, mais en fait ils font exactement ce que le client veut, les relations avec le marché sont en prise directe.

Le marché ne sait pas ce qu’il veut précisément, il faut le mettre en situation de révéler ce qu’il est capable d’absorber, en le mettant dans la boucle. Coller à l’avis du client, faire des allers-retours, éviter l’arbitraire, c’est impossible sans une bonne communication interne. Faire s’exprimer les idées et solutions nouvelles nécessite des changements de posture interne. L’autre frein est la pression financière à court terme.

Quel est l’impact de cette pression financière ?

La pression financière à court terme est conservatrice. Par exemple, Kodak a loupé le marché du digital, alors qu’il en avait inventé la technologie. À chaque innovation, Wall Street disait « Vendez ! Le management risque votre argent. » L’échec est dû aux financiers, au retour à l’actionnaire.

Un autre exemple : General Motors a le plus investi en R & D au monde, mais la machine comptable et financière qui tendait à réduire les risques à court terme a étouffé l’entreprise. La faillite lui a permis de rebondir en investissant beaucoup moins. Kondratief, Schumpeter et Drucker l’ont bien montré : la logique de rente s’oppose à celle de destruction-création que les finances n’aiment pas. Mais, à force de ne pas prendre de risque, on peut perdre des marchés.

Auteur

  • L. G.