logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Négociations : UN DIALOGUE SOCIAL A MINIMA dans la Fonction PUBLIQUE

L’enquête | publié le : 02.12.2014 | EMMANUEL FRANCK

Image

Négociations : UN DIALOGUE SOCIAL A MINIMA dans la Fonction PUBLIQUE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

La loi du 5 juillet 2010 a profondément réformé les règles du dialogue social dans la Fonction publique et a permis l’organisation d’une élection professionnelle unique, le 4 décembre prochain. Quatre ans après, les effets se font encore peu sentir : le statut des fonctionnaires réduit la marge de négociation. Dans la Fonction publique d’État, l’employeur est rarement en situation de s’engager.

Pour la première fois, le 4 décembre, les élections professionnelles des trois fonctions publiques ont lieu en même temps. Cinq millions d’agents votent ainsi ensemble pour élire leurs représentants dans les instances et les lieux de négociation qui les concernent. C’est la conséquence la plus visible de la loi du 5 juillet 2010 sur le dialogue social dans la Fonction publique. Auparavant, les trois fonctions publiques votaient séparément.

Campagnes médiatisées, meetings dans toute la France, prises de position tranchées des syndicats sur fond de mécontentement des fonctionnaires, tout concorde pour faire de cette élection un événement. Cela contribuera, vraisemblablement, à la légitimité des représentants des agents. De ce point de vue, la loi de 2010 a atteint son objectif.

Tout le monde surveillera le taux de participation et les résultats, d’où l’on déduira qui est le premier syndicat de France, ainsi que les poids respectifs des syndicats dans le secteur public. De là découlera, plus prosaïquement, la répartition des moyens qui leur seront attribués, rappelle Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (lire son interview p. 25).

Mais l’objectif principal de la loi de 2010 était ailleurs : promouvoir la place de la négociation dans la Fonction publique afin qu’elle s’adapte mieux à ses nouvelles missions (lire l’encadré). Là, il est moins évident qu’elle ait réussi. Contrairement au secteur privé, il n’existe pas encore de bilan de la négociation collective dans la Fonction publique, qui permettrait d’objectiver le déploiement d’une culture de la négociation. Quatre ans après la loi, « ça n’a pas encore vraiment embrayé », constate Jean-Paul Guillot, président de l’association Réalité du dialogue social (RDS) et auteur de trois ouvrages sur le sujet*.

QUELQUES AVANCÉES

Au niveau national, quelques avancées sont à noter. Dans son dernier rapport annuel sur “l’état de la Fonction publique”, le ministère du même nom met en avant un accord sur l’égalité professionnelle signé en 2013, un autre sur les RPS la même année, une négociation en cours sur la qualité de vie au travail, une autre sur les parcours professionnels. « Mais la réforme territoriale échappe totalement aux représentants des fonctionnaires, alors qu’elle aurait pu être traitée dans le cadre du Conseil commun de la Fonction publique, créé par la loi de 2010 », remarque un observateur.

Qu’en est-il du dialogue social local, au plus près du travail des agents, dans les services déconcentrés des ministères, les hôpitaux, les académies, les villes ? « L’hôpital est le moins en retard dans l’usage de la négociation et la Territoriale s’en approche, estime Jean-Paul Guillot. C’est logique, car c’est là qu’on trouve des directeurs généraux. Il y a beaucoup moins de négociation dans la Fonction publique d’État : l’employeur et les organisations syndicales restent très marqués par une culture jacobine. »

DES MARGES LIMITÉES

La gestion de la réforme de la filière sciences et technologies industrielles (STI) dans l’académie de Grenoble, par exemple, illustre les limites du dialogue social local dans la Fonction publique d’État. Dans un contexte où le syndicat majoritaire est très attaché à la défense du diplôme, il a suffi que le secrétaire général de l’académie change et tout un capital de confiance ainsi qu’un savoir-faire de négociation et de gestion ont été perdus, compliquant le déploiement de cette importante réforme (lire ci-contre).

Il faut dire, à la décharge des partenaires sociaux, que la prégnance des statuts des fonctionnaires, décidés par la loi et la réglementation, réduit à peu de chose la marge de négociation. « Dans la tradition française de la Fonction publique, il ne peut y avoir d’accord puisque tout est décidé par la loi, le dialogue social servant à nourrir le débat », explique Gilles Jeannot, chercheur à l’école des Ponts et Chaussées. L’exposé des motifs de la loi de juillet 2010 prend soin de rappeler que « la Fonction publique de statut et de carrière conserve ses spécificités ». Autrement dit, un accord n’y a pas de valeur juridique comme dans le secteur privé.

Les signataires de l’ “accord” sur le dialogue social à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), paraphé pendant l’été 2014, lui donnent la valeur d’un engagement moral. « Si la direction le remet en cause, nous ne pourrons que faire une alerte », explique Didier Choplet, secrétaire général adjoint de la CFDT de l’AP-HP. L’“accord” donne notamment aux syndicats des moyens supralégaux et maintient une présomption de représentativité (un syndicat représentatif au niveau central est présumé l’être aussi au niveau local) à la limite de la légalité. Démonstration qu’un contrat peut quand même l’emporter sur la loi.

L’hôpital de Beauvais a profité de la négociation d’un accord sur les risques psychosociaux – sujet central à l’hôpital – pour renouer avec les équipes et avec les syndicats. La CGT a même accepté, pour la première fois, de signer un accord. Elle s’est ensuite retirée du comité de suivi, estimant qu’avec cet accord, la direction s’exonérait de ses responsabilités sur le repos des agents et les jours de récupération (lire p. 24).

TROIS COMPOSANTES

La négociation semble également plus simple dans la Territoriale. « Pour que le dialogue social fonctionne, il faut réunir trois composantes, explique Gilles Jeannot. D’abord, pouvoir vérifier les avantages pour les usagers des services publics ; c’est possible pour les horaires d’une piscine municipale, pas pour le contrôle du plan d’occupation des sols. Puis avoir la possibilité de bloquer le service si les contreparties sont jugées insuffisantes. Enfin, avoir un employeur en situation de décider. » Ces conditions sont plus faciles à réunir dans la Territoriale et l’Hospitalière qu’au niveau de l’État.

À la communauté d’agglomération du Pays de l’Or, près de Montpellier, les partenaires sociaux se sont engouffrés dans une brèche ouverte par le législateur. Ils se sont saisis de la possibilité, offerte par un décret de 2011, de décider de la participation de l’employeur à la complémentaire santé, pour tout remettre à plat et négocier une nouvelle complémentaire avec le syndicat. La décision a ensuite été validée en comité technique (lire p. 23). Dans la ville de Suresnes (Hauts-de-Seine), la municipalité a négocié l’ouverture de la médiathèque 27 dimanches par an (lire Entreprise & Carrières n° 1084 du 21 février 2012). Autre exemple en Loire-Atlantique, à Carquefou (lire p. 25), où la ville et le CHSCT travaillent main dans la main pour aider les agents usés à la tâche.

* Faire vivre le dialogue social dans la Fonction publique d’État ; Faire vivre le dialogue social dans la Fonction publique territoriale ; Faire vivre le dialogue social dans la Fonction publique hospitalière, Jean-Paul Guillot, avec Dominique-Anne Michel, éditions de l’Atelier, 2011.

COMMENT LA LOI A RECENTRÉ LE DIALOGUE SOCIAL SUR LE TRAVAIL

La loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la Fonction publique est issue des accords de Bercy, signés en juillet 2008 par six des huit fédérations de fonctionnaires (sauf FO et la CFTC) dans la foulée de la « position commune » sur le dialogue social dans le secteur privé.

Cette loi opère des modifications importantes des règles du dialogue social de la Fonction publique sur plusieurs points :

– Extension du champ de la négociation au-delà des salaires auxquels elle était jusque-là cantonnée. Entrent dans le périmètre : conditions de travail, dont télétravail ; déroulement de carrière ; formation continue ; protection sociale complémentaire ; hygiène-santé-sécurité ; insertion des handicapés et égalité professionnelle. Toutefois, les statuts des fonctionnaires ne peuvent être modifiés par accord.

– Validation des accords par la majorité des syndicats (50 %).

– Élections ouvertes à toutes les organisations syndicales remplissant certaines conditions (fin de la présomption de représentativité).

– Représentativité calculée sur le nombre de sièges obtenus dans les comités techniques. « En fondant les élections sur les comités techniques, qui traitent des questions collectives, et non sur les commissions administratives paritaires, qui traitent des questions individuelles, le législateur a mis le collectif de travail au centre du dialogue social, au détriment de la logique des corps qui prévaut dans les commissions administratives », explique Gilles Jeannot, chercheur à l’école des Ponts et Chaussées.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK