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L’enquête

ÉDUCATION NATIONALE : LES PROTOCOLES DE LA DISCORDE À L’ACADÉMIE DE GRENOBLE

L’enquête | publié le : 02.12.2014 | E. F.

La réforme de la filière technologique a été l’un des gros chantiers RH de l’Éducation nationale ces dernières années, puisque des centaines de professeurs ont changé de discipline. La gestion de cette réforme dans l’académie de Grenoble souligne les difficultés à mener un dialogue social.

Le 19 février 2013, le comité technique de l’académie (CTA) de Grenoble a examiné, en deuxième lecture, la mise en place de protocoles de reconversion et d’adaptation pour ses professeurs. Il s’agit d’un document signé entre l’enseignant et le rectorat permettant au premier de changer de discipline.

Le Snes, syndicat majoritaire dans l’académie (5 sièges), a voté contre, parce que « ces protocoles méprisent le métier : il faut cinq ans pour former un professeur contre dix jours dans les protocoles », explique Corinne Baffert, secrétaire académique. La CFDT et l’Unsa (4 sièges) ont voté pour, nonobstant cette objection, car « nous considérons que nous sommes d’abord enseignants avant d’être d’une discipline », déclare Alexis Torchet, secrétaire général du Sgen CFDT de l’académie de Grenoble. FO (1 siège) s’est abstenue.

Les protocoles ont donc été rejetés en comité technique, mais ils existent cependant, car ce comité n’a qu’un rôle consultatif. « Le recteur prend sa décision à la suite de l’avis du CTA, je n’ai pas à commenter les positions des représentants des personnels », déclare Bruno Martin, secrétaire général adjoint, DRH de l’académie. Un exemple de dialogue social à l’Éducation nationale…

Malgré l’avis négatif du CTA, les 50 à 100 professeurs de l’académie qui, chaque année, selon la CFDT, veulent changer de discipline, pourront donc signer un protocole avec leur employeur, qui leur donnera de la visibilité sur leur parcours de reconversion : discipline visée, plan de formation. Ce document n’a pas de valeur réglementaire ; « Il a une valeur académique, explique Bruno Martin. Il nous engage sur des temps de formation, sécurise et donne de la lisibilité aux personnels qui choisissent ces parcours et nous permet de faire de la gestion prévisionnelle. »

Ces protocoles sont un des outils à la disposition des partenaires sociaux pour la mise en place de la réforme de la filière sciences et technologies industrielles (STI), premier gros chantier RH de l’Éducation nationale depuis la réforme du dialogue social de 2010. En 2012, à l’issue d’une « reconversion » massive, des milliers de professeurs de technologie ont changé de discipline dans la douleur (lire l’encadré). Dans l’académie de Grenoble, 753 enseignants ont été concernés.

Pour mettre en place la réforme des STI, les académies disposaient essentiellement de deux outils mis à leur disposition par le ministère : des formations à la nouvelle discipline (d’abord pour l’ensemble des professeurs puis individualisées) et des « ressources pédagogiques » (des séquences d’enseignement), toujours sur la nouvelle discipline. En termes d’accompagnement RH, Bruno Martin explique que les professeurs ont bénéficié d’un accompagnement individualisé lors de leur inscription dans leur nouvelle discipline. « Ceux qui ne voulaient pas s’inscrire l’ont été d’office », relate pour sa part Corinne Baffert.

Les professeurs craignaient également que cette réforme les oblige à une mobilité géographique, puisqu’il fallait aussi satisfaire aux besoins de la carte scolaire. La mobilité n’a été imposée qu’en dernier ressort : « Nous avons vérifié, avec le chef d’établissement, que la mesure de carte scolaire était indispensable », relate Bruno Martin.

UN OUTIL DE GRH INDOLORE

À côté de cela, les protocoles de reconversion et d’adaptation présentent quelques avantages : ils sont un outil de GRH indolore (puisque fondés sur le volontariat) et souple (car mis en place localement, selon les besoins). S’ils furent mal accueillis en 2013, tel ne fut pas le cas en 2008. Selon Alexis Torchet, la différence a tenu au départ d’une seule personne.

Dès 2008, très en amont de la réforme, le rectorat, pressentant que l’avenir professionnel des professeurs de STI était incertain, leur avait proposé de tels protocoles de reconversion et d’adaptation. Il s’agissait d’une initiative « hors cadre », prise par le secrétaire général de l’époque au rectorat, à l’issue d’une négociation « forte », quoique informelle, avec notamment le Snes et la CFDT, où les enseignants ont obtenu des moyens supplémentaires, relate Alexis Torchet. Ce dernier s’en souvient comme d’un vrai moment de dialogue social, dont la légitimité reposait sur l’implication des acteurs, et notamment celle du secrétaire général de l’époque, qui travaille d’ailleurs aujourd’hui au cabinet de la ministre de l’Éducation nationale. « Le dialogue social était dans l’air du temps, avec la position commune dans le secteur privé », se souvient Alexis Torchet. Rien de tel à partir de 2013. « Notre interlocuteur a changé ; du côté de l’administration, il y a une simple écoute », regrette Alexis Torchet. Arrivé en 2011, Bruno Martin explique qu’il n’avait pas connaissance de l’initiative prise par la précédente équipe. Quant au Snes, il semble qu’il se soit positionné sur une stricte défense du diplôme. Sur les 753 enseignants présents en 2012, 625 exercent toujours dans l’une des quatre disciplines STI. Dans l’intervalle, 78 ont cessé leur fonction (retraite, mobilité, disponibilité) et 50 ont fait ou font l’objet d’un accompagnement dans le cadre des protocoles.

Une réforme identitaire et douloureuse

À partir de 2012, les professeurs de STI, qui enseignaient dans une quarantaine de disciplines (génie civil, génie optique, génie mécanique maintenance…) ont été repositionnés dans quatre disciplines* plus généralistes, davantage tournées vers la conception et moins ancrées dans l’industrie et la production.

Les objectifs officiels du ministère étaient notamment de rendre plus attractive cette filière, qui avait perdu 20 % de ses élèves en moins de dix ans, et d’actualiser les programmes de technologie. Plus prosaïquement, « en réduisant les cours en atelier, l’Éducation nationale réalise des économies », remarque Corinne Baffert, secrétaire académique du Snes à de Grenoble. Cette réforme avait également pour but d’affecter le surplus de professeurs de technologie dans des disciplines en tension (mathématiques, physique).

« Chaque académie fait en sorte que les ressources enseignantes soient adaptées aux besoins d’enseignement devant les élèves, explique Bruno Martin. Cela répond aussi aux attentes des enseignants, qui veulent évoluer, changer d’orientation professionnelle ou retrouver une mobilité géographique. »

Tous les acteurs (y compris l’administration) s’accordent à reconnaître que cette réforme touchait à l’identité des enseignants. En outre, ils pouvaient être amenés à changer de lieu de travail, en fonction des besoins de la carte scolaire. Logiquement, la réforme a rencontré d’importantes résistances et suscité une souffrance que la CFDT a mesurée dans une de ses enquêtes “flash”, bien connues dans les entreprises.

Depuis la mise en œuvre de la réforme, les effectifs d’élèves de la filière, rebaptisée STI2D, ont progressé de 11 % dans l’académie de Grenoble.

* Innovation technologique et éco-conception, système d’information et numérique, énergies et développement durable, architecture et construction.

Auteur

  • E. F.