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L’interview

Danut Casoinic : « CONSIDÉRER UN ÂGE SUBJECTIF PERMET DE REVOIR LES STÉRÉOTYPES GÉNÉRATIONNELS »

L’interview | publié le : 18.11.2014 | Pauline Rabilloux

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Danut Casoinic : « CONSIDÉRER UN ÂGE SUBJECTIF PERMET DE REVOIR LES STÉRÉOTYPES GÉNÉRATIONNELS »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Dans un contexte professionnel où l’âge continue d’être un facteur de discrimination, certains comportements de leadership affichés par les seniors semblent plus légitimes aux yeux de leurs collaborateurs que ceux d’un chef plus jeune. Comprendre pourquoi permet de lutter contre les stéréotypes générationnels et d’améliorer les relations intersubjectives au travail.

E & C : La perception des âges dans l’entreprise a-t-elle évolué ces dernières années ?

Danut Casoinic : Malgré l’allongement de la vie professionnelle qui résulte du report de l’âge de la retraite à 62 ans au minimum, la perception dans l’entreprise des salariés vieillissants reste globalement plutôt péjorative, avec cependant de grandes différences selon les secteurs d’activité. Dans ceux de la haute technologie, du marketing ou des services, l’image des salariés vieillissants est particulièrement mauvaise en raison des stéréotypes générationnels. Les salariés âgés sont souvent jugés inaptes à s’adapter aux nouveautés technologiques ou commerciales ; ou, en tout cas, ils sont perçus comme ayant des difficultés à le faire, à l’inverse des digital natives, pour qui la technologie et le marketing seraient presque un sixième sens. L’âge reste le premier critère de discrimination dans l’entreprise. Pourtant, ces préjugés négatifs se renversent quand le senior n’est plus en position subalterne mais, au contraire, en position de leader. Le facteur âge semble alors devenir un atout.

En quoi l’âge est-il un atout à des fonctions de leadership ?

En fait, ce n’est pas tant l’âge du manager qu’il convient de considérer, que le différentiel entre l’âge du manager et celui des managés. Plus la différence d’âge est importante entre un manager et ses subordonnés plus jeunes, plus il semble enclin à afficher un comportement de leadership dit transformationnel, c’est-à-dire un comportement qui le rend capable de donner aux salariés son propre exemple comme modèle à suivre, de les inspirer, de les motiver, de les stimuler intellectuellement, d’encourager leur développement et de leur témoigner à chacun du respect. La satisfaction au travail et l’attachement des collaborateurs à l’entreprise sont ainsi favorisés. À l’inverse, des managers plus jeunes que leurs subordonnés semblent à la fois moins enclins à manifester ce type de leadership transformationnel motivant et, éventuellement, plus mal à l’aise dans leur rôle. Pour les collaborateurs plus âgés, la qualification d’un chef jeune, son diplôme, ne semble pas suffire à légitimer son autorité. On l’accuse volontiers de manquer d’expérience, de sens des relations humaines, voire de faire preuve d’arrogance. On tombe vite, là encore, dans les stéréotypes générationnels : les jeunes étant supposés manquer de respect, être arrivistes, plus soucieux de leur propre intérêt que de celui du collectif, etc. Le manager plus jeune que ses collaborateurs, s’il a confiance, peut réagir en ignorant tout simplement ces reproches, au risque de creuser encore le fossé avec ses subalternes. S’il manque de confiance en soi, il peut se trouver très vite déstabilisé par cette situation de défiance. Dans tous les cas, il parviendra difficilement à cette position d’un leadership fait de charisme, de compétences, de respect pour le travail des collaborateurs, nécessaire pour encadrer et motiver son équipe ; et ce, d’autant moins que l’écart d’âge est important avec des salariés plus âgés. La satisfaction au travail de tous en sera pénalisée.

Pouvez-vous préciser la différence et l’intérêt de la différence que vous faites entre l’âge biologique et l’âge subjectif ?

Ces différences entre le fonctionnement du leadership selon l’âge du manager et celui de ses collaborateurs dépendent de manière assez générale de l’âge biologique des protagonistes, mais peuvent être nuancées en fonction de l’âge subjectif, qui résulte à la fois de l’âge ressenti par la personne elle-même, de celui perçu par les autres, des centres d’intérêts et de ses activités. Les managers plus âgés ont tendance à se sentir plus jeunes qu’ils ne le sont vraiment. Les managers plus jeunes, qui tendent à se sentir plus âgés que leur âge chronologique, sont probablement perçus par leurs collaborateurs comme ayant une maturité qui leur permet d’assumer un comportement de leadership transformationnel.

Quels enseignements tirer de cette mise en perspective du leadership par rapport à la question de l’âge ?

Comprendre pourquoi le leadership transformationnel et motivationnel est plus facile pour les salariés âgés permet de pointer les éventuels ratés de la qualité relationnelle entre un manager jeune et ses collaborateurs plus âgés. Cela permet également de mettre en évidence la nécessité d’accorder plus de temps à l’analyse du niveau de qualité relationnelle entre les managers et leurs collaborateurs. La différence entre l’âge objectif et l’âge subjectif offre aussi une marge de manœuvre, puisque tout n’est pas simplement une question d’âge chronologique. Tout n’est pas inscrit une fois pour toutes. C’est un moyen de remettre en cause les stéréotypes générationnels. L’entreprise peut aider les managers à prendre conscience de cette composante de l’âge subjectif et, ainsi, contribuer à améliorer l’interaction entre des jeunes managers et des managés plus âgés. Dans cette même logique de distinction entre l’âge subjectif et l’âge biologique, l’entreprise pourrait avoir intérêt à évaluer l’âge subjectif des managers pour leur attribuer des responsabilités en fonction de leur maturité plus que de leur âge chronologique. Concernant les managers seniors, le constat est plutôt positif dans un contexte professionnel où l’âge est souvent perçu comme un handicap. Concernant les managers les plus jeunes, un travail est à faire afin d’améliorer la communication là où tendent à prévaloir les préjugés : travail sur soi, sur la relation professionnelle avec ses collaborateurs, travail pour comprendre les enjeux de celle-ci en termes de satisfaction et d’engagement organisationnel. La diversité en entreprise, on le sait, est positive, puisqu’elle est un gage d’ouverture et stimule la créativité et l’innovation. Il en va de cette diversité d’âges comme, d’ailleurs, des autres diversités ; la favoriser contribue à rendre l’entreprise plus dynamique, donc plus performante.

Danut Casoinic PROFESSEUR DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

Parcours

→ Danut Casoinic est enseignant-chercheur à l’université de Strasbourg (laboratoire Humanis) en gestion des ressources humaines et management des organisations.

→ Il est l’auteur, entre autres, de Leadership et diversité des âges (Publibook, 2008).

Lectures

→ Les Défis du vieillissement, Anne-Marie Guillemard, Armand Colin, 2010.

→ Le Management de la diversité, Isabelle Barth et Christophe Falcoz, L’Harmattan, 2007.

→ Tous différents : gérer la diversité dans l’entreprise, Jean-Marie Peretti, Eyrolles, 2006.

Auteur

  • Pauline Rabilloux