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L’enquête

FONCTION PUBLIQUE : LA DIFFICILE RÉDUCTION de l’emploi précaire

L’enquête | publié le : 18.11.2014 | ÉLODIE SARFATI

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FONCTION PUBLIQUE : LA DIFFICILE RÉDUCTION de l’emploi précaire

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Avec 900 000 contractuels, la fonction publique est un gros pourvoyeur d’emplois précaires. La loi Sauvadet de 2012 permettra-t-elle d’en résorber le volume ? Une première estimation évalue à 125 000 en 2016 le potentiel de titularisations à l’issue de l’application des plans de déprécarisation. Mais les critères d’éligibilité ont laissé de côté nombre de non-titulaires, tandis que d’autres étaient dissuadés par les contraintes de rémunération ou de mobilité liées au statut de fonctionnaire.

Certes, c’est un « plan de déprécarisation de plus, comme il y en a tous les dix ans », ainsi que le rappelle Sophie Loiselet, présidente de l’ANDRH des territoires. Mais la loi Sauvadet – adoptée en mars 2012 – devait néanmoins permettre de stabiliser dans l’emploi 150 000 contractuels de la Fonction publique. Deux voies pour ce faire : la titularisation, via des concours ou examens fondés sur la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP), ou en bénéficiant de la transformation de son CDD en CDI. À condition de justifier d’une ancienneté chez le même employeur de quatre ans pour la titularisation ou six ans pour la “CDIsation”, appréciée au moment de la publication de la loi. À mi-parcours (les plans de titularisation s’échelonnent jusqu’en 2016), un rapport du Sénat publié cet été estime que les employeurs ont globalement « joué le jeu » (lire p. 25). Pour autant, la mise en œuvre de la loi en a aussi souligné les limites, et d’abord ses critères d’accès : « Dans les universités, de nombreux contractuels n’étaient pas éligibles parce qu’ils ont été recrutés au moment de la loi d’autonomie (LRU) en 2010, et qu’ils ne justifiaient pas de l’ancienneté suffisante, témoigne Frédéric Bessière, DRH de l’université d’Auvergne et président de l’association des DRH des établissements publics d’enseignement supérieur. Dans mon établissement, la moitié des contractuels seulement était éligible. »

CONTRAINTES BUDGÉTAIRES

Ensuite, dans les possibilités offertes. Les contraintes budgétaires, le surcoût des cotisations retraite payées par l’employeur en cas de titularisation, ont pesé sur les choix opérés par les administrations. « La règle de “un poste par agent éligible” n’est que trop rarement respectée », déplore la Fédération des services publics CGT. Certaines collectivités, assure le syndicat, n’ont pas encore voté de plan de titularisation, ou alors avec aucun poste ouvert. Dans les organismes de recherche (CNRS, Inra, Inserm…), « on n’a prévu qu’un poste pour trois éligibles », dénonce Michel Pierre, secrétaire général adjoint du SNTRS-CGT. À l’inverse, à la Ville de Poitiers, « nous avons fait le choix d’ouvrir à la titularisation tous les postes occupés par des contractuels éligibles, parce qu’ils correspondent aux besoins de la collectivité, rapporte Thomas Girard, responsable de la gestion statutaire à la DGA RH. Seulement, cela nécessite d’avoir une vraie GPEC ». Le plan de résorption de l’emploi précaire a aussi des vertus en termes de GRH, abonde Sophie Loiselet : « Il permet de consolider les compétences des agents sur des postes pour lesquels il n’y a pas de candidats parmi les titulaires. » À la région Midi-Pyrénées, les 83 agents des services généraux éligibles ont pu prétendre à la titularisation dès 2013 : « On s’est donné trois ans pour les agents des lycées – environ 80 personnes –, le temps que des postes se libèrent, avec le jeu des mobilités », précise la DRH, Laurence Peyronel.

Si tous les éligibles ne seront pas titularisés, c’est aussi parce que tous n’ont pas été admis aux concours ou examens professionnels. La primauté donnée à l’expérience professionnelle n’a pas toujours été bien appliquée, dénoncent plusieurs syndicats de l’Éducation nationale. « Les jurys ont eu tendance à appliquer les mêmes démarches que pour des concours classiques, constate Franck Loureiro, en charge du dossier des contractuels pour le Sgen CFDT. Beaucoup de candidats s’étaient préparés à parler de leur expérience professionnelle et ont été interrogés sur leurs connaissances académiques. Certains se sont retrouvés avec des notes catastrophiques alors qu’ils sont en poste depuis plusieurs années, ce qu’ils ont très mal vécu. Du coup, sur 8 000 postes ouverts dans l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur dans le cadre de la loi Sauvadet, il n’y a eu que 4 000 lauréats. »

VOIES RÉSERVÉES

Pour autant, la question est complexe : « L’accès à la titularisation par des voies réservées peut paraître injuste vis-à-vis des fonctionnaires qui, eux, ont passé des concours parfois difficiles », note Pierrette Leroy, DRH de l’hôpital de Redon et représentante de l’association des DRH des établissements de santé. « Il a fallu veiller à bien communiquer pour éviter les discours sur la dévalorisation du concours », glisse également Thomas Girard, à Poitiers. Pas question, donc, de déprécier les sélections professionnelles, insiste Gersende Constantin, DRH adjointe du conseil général de la Charente-Maritime, où plus de deux tiers des contractuels étaient éligibles : « Cela ne doit pas être une simple formalité : les candidats doivent démontrer leur aptitude à être titularisés sur le grade auquel ils postulent, à travers la présentation de leur parcours, mais aussi leur connaissance de la fonction publique territoriale ou de l’environnement juridique de la fonction qu’ils vont occuper. »

Du coup, la collectivité a renforcé l’accompagnement des candidats. En 2013, des préparations à l’oral leur étaient proposées. « Puis, comme nous avons eu des résultats moyens pour la filière administrative – 7 candidats sur 13 n’ont pas été admis sur le grade d’attaché –, nous avons monté cette année, avec le CNFPT, un parcours de formation dédié : deux jours sur l’environnement territorial, un jour sur le statut et une demi-journée de préparation à l’oral. » Autre initiative du département : « Une indemnité cliquet adossée au régime indemnitaire pour neutraliser les éventuelles baisses de rémunération consécutives à la titularisation, poursuit Gersende Constantin. Les agents titularisés sont placés au premier échelon de leur cadre d’emploi. Or certains contractuels touchaient une rémunération supérieure. »

Mais tous les employeurs n’ont pas fait ce choix. La perte de rémunération a donc dissuadé un certain nombre de contractuels de se lancer dans un processus de titularisation, ont pointé les sénateurs. Les obligations de mobilité des fonctionnaires étant l’autre frein majeur. À Poitiers, outre des séances d’information collective sur les mesures de la loi, les services RH ont reçu les agents individuellement « pour échanger sur leur déroulement de carrière en cas de titularisation, faire des simulations de rémunération – celle-ci pouvant, selon les cas, être plus élevée ou plus faible – et préciser les règles en matière de mobilité », décrit Thomas Girard. 32 agents sur 49 éligibles ont été candidats.

LA PRÉCARITÉ SUBSISTE

Au final, s’il y aura bien titularisation d’un volume non négligeable d’agents non titulaires, la Fonction publique n’en aura pas fini avec la précarité. Au-delà des anciennetés insuffisantes, de nombreux contractuels ont été écartés du bénéfice de la loi parce que leur temps de travail était trop faible, ou parce qu’ils étaient recrutés sur des postes considérés comme non permanents. « Or certains tournent depuis dix, quinze ans sur des postes, remarque Michèle Ducret, secrétaire générale CFDT au ministère de la Culture. La loi n’a pas résorbé la vraie précarité. » Dans les organismes de recherche, l’exclusion des docteurs du bénéfice de la loi fait grincer des dents. À l’hôpital de Valenciennes (lire p. 23), la titularisation profitera en priorité aux contractuels déjà en CDI, comme, d’ailleurs, dans l’ensemble de la fonction publique hospitalière (30 000 CDI et 13 600 CDD titularisés d’ici à 2016, d’après les estimations). « Pour les agents de catégories C, les problèmes de précarité sont surtout liés aux faibles rémunérations et aux temps non complets, dans les petites et moyennes collectivités », note Sophie Loiselet. À Strasbourg, un plan plus vaste que la loi a d’ailleurs été mis en place pour résorber au maximum l’emploi précaire (lire p. 24).

Reste également la question de l’avenir : le « stock » d’emplois précaires se reconstituera, prévient le rapport sénatorial, même si la loi Sauvadet encadre mieux le recours aux contrats – durée, renouvellement, passage en CDI – pour prévenir, à l’avenir, les situations de précarité. Mais cela demande aussi, de la part des employeurs, d’y prêter attention. « Plus qu’avant, nous essayons de pousser les contractuels à passer les concours en les informant, après un mois de présence, et en ouvrant plus rapidement les postes à la titularisation », assure Frédéric Bessière. Seulement, le mouvement ne sera pas facile à inverser : dans la Fonction publique, l’emploi non titulaire a augmenté de plus de 30 % entre 2000 et 2011.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI