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À Schneider Electric, LA MÉTHODE PAYANTE DU CV DE SITE

ZOOM | publié le : 11.11.2014 | Manuel Sanson, Xavier Gorce

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À Schneider Electric, LA MÉTHODE PAYANTE DU CV DE SITE

Crédit photo Manuel Sanson, Xavier Gorce

Peu à peu, la méthode dite du “CV de site” se diffuse dans l’industrie française. Avec cette démarche, il s’agit de redonner des perspectives d’avenir aux usines en difficulté. À Barentin, en Seine-Maritime, Schneider Electric a tenté l’aventure. Aujourd’hui, l’avenir du site est relancé. Décryptage d’une démarche RH participative et innovante.

Le “CV de site” fait des émules. Inauguré par le groupe Bosch à Vénissieux en 2010(1), ce nouveau process RH – breveté par le cabinet de conseil aux CE Syndex – a été, depuis, plusieurs fois expérimenté dans l’industrie française. La démarche consiste en une analyse fine des compétences collectives et des ressources d’un site pour, dans un second temps, envisager des reconversions en interne ou en externe. Une méthode reprise dans plusieurs usines à travers la France (lire p. 8). Et notamment dans celle de Schneider Electric(2) à Barentin (Seine-Maritime).

Le site, dédié à la production de composants électriques, s’est lancé dans “l’aventure” en 2012. Après deux ans de travail, le résultat est là. Menacée de disparaître, l’usine sera reprise par l’entreprise Lucibel, fabricant d’éclairage LED. Une majorité des 125 salariés devrait y être employée. Le site pourrait même accueillir jusqu’à 250 personnes d’ici à 2017. Que de chemin parcouru…

L’histoire débute au milieu de l’année 2012. « La direction annonçait le transfert d’une de nos productions vers la Bulgarie », se souvient Rémy Bogotto, coordinateur national CFDT à Schneider Electric. Conscient d’une grave menace, son syndicat se décide à agir. « La disparition du site était posée », rapporte le syndicaliste.

Explorer toutes les possibilités

La centrale fait alors appel au cabinet Syndex pour déployer son nouveau “process”. Il s’agit d’anticiper le départ de cette production et, en parallèle, d’explorer toutes les possibilités de réindustrialisation, sans se limiter aux solutions internes inspirées des seules activités traditionnelles de l’usine. « Il fallait voir plus loin que le petit bout de la lorgnette », résume Rémy Bogotto. Sur le papier, l’idée semble tomber sous le coup du bon sens. Dans la pratique, il a fallu batailler…

Pendant tout le deuxième semestre 2012, les directions nationales et locales se sont montrées réticentes. « Cela revenait à accréditer l’idée selon laquelle le site était menacé », analyse le coordinateur CFDT. Pierre Bablot, spécialiste chez Syndex du “CV de site”, y voit une autre explication, qui tiendrait davantage à la mise en œuvre de cette démarche participative : « La coconstruction va à l’encontre de la logique hiérarchique de l’entreprise. »

C’est en effet l’une des spécificités de cette procédure. Elle se déploie via la création d’un groupe de travail paritaire. À la même table siègent membres des directions locales et nationales et représentants syndicaux du site et du groupe. Après quelques mois de résistance, la direction de Schneider Electric en accepte le principe.

Bilan de compétences collectives

Début 2013, le groupe de travail a enfin été installé. Sa première mission ? La réalisation d’un bilan de compétences collectives au travers d’entretiens avec différents groupes de salariés. Le cabinet Syndex s’est attaché à révéler les compétences visibles, mais aussi les “cachées”. « Notamment, les méthodes de travail collectives », illustre Cécile Maire, secrétaire régionale CFDT pour la métallurgie. « Nous avons pu déceler des compétences pratiques, telle l’utilisation d’outils de précision ou de techniques d’assemblage spécialisées qui n’étaient plus employées par Schneider », ajoute Pierre Bablot. Quelques mois plus tard, ces compétences dissimulées s’avéreront décisives.

Pour le moment, armé du bilan détaillé, le groupe de travail a commencé à prospecter, à la recherche de nouvelles activités. « Nous avons d’abord testé des solutions en interne qui se sont révélées infructueuses », indique Rémy Bogotto. Il a fallu se tourner vers l’extérieur. Une orientation qui ne plaît pas à tout le monde. La CGT a claqué la porte du groupe de travail, souhaitant que le site soit maintenu dans le giron de l’électricien.

Malgré cela, le groupe de travail a poursuivi ses travaux. Un temps, une reconversion du site vers l’éolien offshore, en plein boom dans la région, a été envisagée. Sans succès. Jusqu’à la mi-2013 et les premières prises de contact avec une PME installée en Chine, Lucibel, dont le processus de retour sur le territoire français était déjà bien engagé. « C’était presque trop tard », se souvient Pierre Bablot.

L’entreprise étudiait déjà plusieurs options, notamment les sites Aulnay Peugeot ou Goodyear d’Amiens nord. Mais le site de Barentin disposait d’un atout de taille : son bilan de compétences collectives. « Le travail mené dans le cadre du “CV de site” a fait basculer Lucibel, les compétences visibles et invisibles collaient parfaitement avec ses besoins », analyse Pierre Bablot. Après plusieurs mois de tractations, Lucibel a choisi finalement Barentin. Restée confidentielle jusque-là, l’information a été rendue publique au printemps 2014 avec, à la clé, l’annonce d’une installation progressive du fabricant d’ampoules LED et la reprise échelonnée d’une majorité de salariés travaillant sur le site. « Environ une petite centaine de personnes », évalue aujourd’hui Rémy Bogotto.

Les négociations autour de ce transfert sont actuellement en cours dans le cadre d’un PSE : « Il n’y a pas d’autres cadres juridiques pour permettre la reprise des salariés », indique le syndicaliste CFDT. Ce transfert se fera sur la base du volontariat. Le salarié devra démissionner pour être immédiatement réembauché par Lucibel.

Rémunération et délai de prise de décision

Reste à définir sous quelles conditions. C’est l’enjeu des discussions menées en ce moment dans le cadre du PSE. Avec deux points particulièrement sensibles : la rémunération et le délai de prise de décision. La rémunération globale des salariés transférés devrait, en effet, être moins élevée que chez Schneider. « Avec le maintien de l’emploi, nous sommes prêts à accepter certaines baisses, mais il faut qu’elles soient limitées », indique Rémy Bogotto. Les discussions portent notamment sur une compensation via la prime de départ versée par Schneider Electric.

Autre enjeu : le délai de prise de décision accordé au salarié. La direction voudrait aller vite, entre trois et quatre mois, tandis que les syndicats souhaiteraient obtenir un temps plus long, de l’ordre de deux ans. Le transfert global devrait, en effet, s’échelonner jusqu’en 2017. « Nous attendons une vision plus fine des métiers et des postes qui seront disponibles », justifie le coordinateur CFDT. En acceptant le transfert, les salariés perdront, en parallèle, les possibilités de faire jouer les solutions de mobilité interne chez Schneider. Selon les dernières prévisions syndicales, les négociations autour du futur PSE devraient se terminer dans les prochaines semaines. La démarche du CV de site sera alors achevée à Barentin.

(1) L’entreprise s’est reconvertie dans le photovoltaïque après l’arrêt de sa production de pompes à diesel.

(2) Contactée à plusieurs reprises, la direction de Schneider Electric n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Auteur

  • Manuel Sanson, Xavier Gorce