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L’interview

Catherine Delgoulet : « L’ACCUEIL DES NOUVEAUX ENTRANTS DOIT ÊTRE UN ENJEU COLLECTIF »

L’interview | publié le : 11.11.2014 | Pauline Rabilloux

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Catherine Delgoulet : « L’ACCUEIL DES NOUVEAUX ENTRANTS DOIT ÊTRE UN ENJEU COLLECTIF »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Un fossé existe entre le discours tenu sur la nécessité d’accueillir les nouveaux entrants dans l’entreprise et les pratiques constatées. Former aux savoir-faire pour mieux fidéliser ces nouvelles recrues est l’un des enjeux du contrat de génération, notamment. Mais, quel que soit le type de contrat d’embauche, le nouvel arrivant doit pouvoir être accueilli par l’ensemble d’une équipe.

E & C : En quoi l’accueil des nouveaux entrants est-il un enjeu important pour l’entreprise ?

Catherine Delgoulet : L’accueil des nouveaux arrivants en milieu de travail est particulièrement important pour deux raisons. Tout d’abord, les départs des baby boomers à la retraite n’imposent pas seulement de nouveaux recrutements, ils posent aussi la question de la disparition de savoirs et de savoir-faire critique pour l’entreprise.

Par ailleurs, l’importance du turnover et de la rotation des emplois oblige à recruter davantage que par le passé afin de compenser les départs. L’attente d’un retour sur investissement des frais de recrutement et de formation devrait conduire à bien gérer cet accueil pour ne pas décourager les nouvelles recrues, tout en permettant de sauvegarder, voire d’améliorer la performance. Malheureusement, cet accueil fonctionne mal dans de trop nombreuses entreprises.

Comment s’articulent l’accueil des entrants et la transmission des savoirs professionnels ?

Ils s’articulent par exemple via le contrat de génération : les pouvoirs publics prévoient une incitation pour les entreprises de moins de 300 salariés, afin d’encourager l’embauche des jeunes et de garantir le maintien dans l’emploi des seniors, tout en assurant la transmission des compétences. Mais l’accueil des nouveaux entrants ne saurait pourtant se résumer à la seule constitution de binômes jeunes-seniors, d’une part parce que les entrants sont loin d’être seulement des jeunes, de l’autre parce que, sans gestion collective de l’accueil, une personne seule peut rarement assumer en plus de sa charge de travail l’accueil et la formation des nouveaux venus.

On assiste dans les faits à une sorte de clivage entre le discours tenu et les pratiques. D’un côté, on parle de la nécessité de fidéliser la main-d’œuvre, de l’autre, il semble qu’on incite les nouveaux entrants à ne pas s’engager au long cours. Une part importante des entrées se fait désormais via les CDD et l’intérim. Cela brouille le message que l’on prétend faire passer tant aux nouveaux arrivants qu’aux salariés en place. Les premiers ne ressentent pas forcément la nécessité de s’intégrer et de se former à un emploi perçu comme temporaire, quand les seconds finissent par se décourager d’accueillir sans cesse de nouvelles personnes. Accueillir n’est pas une disposition naturelle, surtout quand cela se répète et accroît la pression sur les personnes en place.

La question de l’accueil des entrants rejoint-elle celle de la gestion des âges ?

La gestion des âges n’est pas simplement une question démographique, elle concerne aussi le rapport entre le vieillissement et les conditions de travail. Cela souligne le fait que cette question des parcours dans l’entreprise et du contenu du travail doit être présente dès le départ. Les nouveaux entrants d’aujourd’hui sont les futurs anciens de demain.

Les approches cloisonnées par catégories d’âge créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Notamment, elles renforcent les soi-disant conflits de génération, qui résultent souvent simplement de la manière dont on oppose les classes d’âges les unes aux autres. La motivation n’est évidemment pas la même selon qu’on est recruté en CDD ou en CDI, selon le salaire, les perspectives de carrière et de formation. Recruter en permanence de nouveaux entrants sans prendre la peine de bien les accueillir, c’est favoriser cette opposition entre les insiders et les recrues, parfois plus jeunes mais surtout moins intégrés, qui ont donc un pied dedans et un pied dehors. La mobilité du travail dont se réclament les entreprises au nom de la réactivité et de la flexibilité ne réduit pas la question de l’accueil à la question des jeunes. Concernant ces derniers, d’ailleurs, nombre d’entre eux ont déjà une expérience de l’entreprise acquise au fil de stages ou de petits boulots ; la question n’est pas de les plonger dans le bain mais plutôt de leur faire vraiment une place et de leur ouvrir des perspectives.

Quelles sont les conditions d’un meilleur accueil ?

Il faut considérer l’accueil comme une activité à part entière, c’est-à-dire prévoir de libérer du temps pour le tuteur ou le référent, et assurer sa formation ou, en tout cas, programmer des situations d’échange sur les manières de faire. Être tuteur, ça s’apprend. Il ne suffit pas d’être expert dans son métier pour savoir transmettre. C’est là un paradoxe : plus on est expert et plus ses savoirs sont incorporés ; plus ils deviennent évidents pour celui qui les maîtrise et moins il est à même d’appréhender les difficultés de leur acquisition. Mais, au-delà des compétences à transmettre, l’accueil doit être un enjeu collectif afin de répartir les charges de travail pour que cela ne soit pas juste une contrainte de plus pour la personne désignée responsable. De même, des relais doivent pouvoir se mettre en place quand celle-ci est absente. Il faut donc avoir suffisamment stabilisé une équipe pour qu’elle soit à même d’accueillir et de transmettre. Quand les salariés et les pratiques changent tout le temps, personne n’a le temps ni la maîtrise nécessaires pour initier quelqu’un d’autre à un savoir-faire sans cesse remis en cause. À cet égard, le lean management, qui préconise l’amélioration continue par la suppression systématique des opérations sans valeur ajoutée, rend difficile un accueil de qualité. Deux logiques s’opposent : le temps court du profit et le temps long de l’acquisition des savoir-faire et des carrières.

Par ailleurs, il convient d’être attentif à ce que les recrutements soient échelonnés dans le temps plutôt que groupés. Davantage de personnes dans une équipe, ne signifie pas d’emblée un travail mieux réparti et allégé. Dans un premier temps, le nouveau venu est une charge pour ceux qui doivent l’initier et, dans un temps très contraint, souvent faire le travail à sa place. Pourquoi intégrerait-on tant de nouveaux s’ils ne sont pas destinés à rester ? La question du sens est déterminante.

Catherine Delgoulet ERGONOME

Parcours

→ Catherine Delgoulet, docteur en ergonomie, est maître de conférences au Laboratoire adaptations travail-individus de l’université Paris-Descartes.

→ Elle est l’auteure de nombreux articles et collabore aux travaux du GIS-Creap. Elle a introduit le rapport du séminaire de recherche du Creapt-CEE intitulé Les arrivants en milieu de travail : accueil, fidélisation, échanges de savoirs (juillet 2014, sur <www.cee-recherche.fr/publications/rapport-de-recherche>).

Lectures

→ La transmission des savoirs de métier et de prudence par les travailleurs expérimentés, E. Cloutier, P.-S. Fournier, E. Ledoux, I. Gagnon, A. Beauvais, C. Vincent-Genod, Rapport R-740, IRSST, 2012.

→ Transmission des savoirs et mutualisation des pratiques en situation de travail, C. Gaudart, J. Thébault, Actes du colloque de décembre 2009, rapport de recherche CEE, n° 64, 2011.

Auteur

  • Pauline Rabilloux